L'ATUGE lance le débat : Quelles énergies du futur pour la Tunisie ? La réponse de Kamel Rekik
A quelques jours de Sommet de Copenhague sur le climat qui relance la question des énergies nouvelles et renouvelables, et juste après le lancement mondial de Desertec, l’ATUGE reprend sa bonne tradition des Mardis de l'ATUGE, en posant ce 1er décembre la cruciale question : Quelles énergies du futur pour la Tunisie. Modéré par M. Kamel Rekik, consultant indépendant après avoir exercé pendant longtemps dans le secteur de l’énergie, le débat sera marqué par la participation de MM. Abdelaziz Rassaa, Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Industrie, de l'Énergie et des PME, chargé des Énergies renouvelables et des Industries alimentaires, et Mustapha El Haddad, expert dans le secteur énergétique.
Comment appréhender cette question qui se pose à tous les pays de la planète et fait l'objet d'une médiatisation presque obsédante? Elle interpelle (voire culpabilise) chaque citoyen du monde sur sa responsabilité personnelle dans les désordres qui risquent fort de nuire irréversiblement à notre cadre de vie sur terre, pour les décennies à venir. Et ce, du fait de l'utilisation intensive des énergies conventionnelles d'origine fossile, qui a pour double effet d'aboutir à l'épuisement des ressources en la matière et au réchauffement global du climat. En avant-propos au débat, M. Kamel Rekik répond pour Leaders aux questions de Walid Maaouia.
Le nucléaire est-il la solution? Pour Kamel Rekik, qui précise n'exprimer que son point de vue personnel, l'introduction de cette forme d'énergie dans le paysage électrique tunisien paraît difficile à envisager dans un proche avenir. Certes, elle a le grand mérite de ne pas émettre de CO2 dans l'atmosphère et donc de ne pas accroitre l'effet de serre. Mais son utilisation pose de sérieux problèmes, qui en font la cible préférée des mouvements écologistes (parfois jusqu'au parti pris) : (in)sécurité des centrales, dangers liés au transport de matériaux radioactifs, risques de prolifération, gestion des déchets. Quant aux atouts dont on crédite généralement le nucléaire (outre son innocuité en termes de carbone) qui lui ont valu un succès dont la France est le plus brillant exemple, ils pourraient cependant manquer de pertinence dans le contexte qui est le nôtre :
- au plan micro-économique : va-t-on, par ce moyen, produire de l'électricité moins chère qu'à partir des centrales classiques brûlant du gaz, du fuel ou du charbon ? Deux facteurs peuvent inciter au scepticisme à cet égard : en premier lieu, l'absence d'économies d'échelle et/ou d'effet de série, tant que l'intégration de réacteurs de taille standard (1700 MW actuellement pour l'EPR) dans le réseau national interconnecté ne sera pas compatible avec le niveau de la demande attendue (2500 MW à peine atteints en pointe en 2008, avec un programme d'installation de nouvelles unités optimisées autour de 400 à 500 MW pour la prochaine décennie) ; en second lieu, l'absence de garantie quant à l'évolution future du prix de l'uranium enrichi qui, faute de concurrence suffisante, pourrait évoluer parallèlement au prix du baril de pétrole, ce qui réduirait d'autant sa compétitivité en cours de vie.
- au plan macro-économique : les pays qui ont développé la filière depuis le minerai jusqu'au traitement des déchets, en passant par la fabrication de la centrale proprement dite, ont réussi à remplacer avantageusement des importations de pétrole par une valeur ajoutée endogène avec emplois à la clé, tout le long de la chaîne nucléaire ; pour les autres au contraire, la balance commerciale ne gagnerait pas au change, vu le degré de sophistication de cette industrie, qui limiterait les possibilités de sous-traitance locale par rapport à une ingénierie et des équipements plus classiques et depuis longtemps banalisés.
- au plan géopolitique : les mêmes pays qui ont la capacité de produire pour leurs propres besoins tout ou partie des composants précités (études, matières et/ou équipements) parviennent du même coup à améliorer leur sécurité d'approvisionnement, en s'affranchissant ainsi, pour tout un pan du bilan énergétique, de la dépendance vis à vis des producteurs de pétrole ou de gaz. Pour les consommateurs de cette technologie en revanche, un recours au nucléaire donnerait lieu à un autre genre de sujétion : la nécessité de faire appel, tout le long de la chaîne industrielle correspondante, à des bureaux d'études et des fournisseurs hautement spécialisés et en nombre relativement restreint, si ce n'est parfois en situation de monopole. Cette plus grande vulnérabilité ne peut pas être ignorée dans notre réflexion stratégique.
Que le nucléaire se concrétise en Tunisie à échéance plus ou moins lointaine ou bien qu'il se révèle finalement n'avoir été qu'un simple mirage à l'horizon, ce sont donc d'autres voies que les énergies du futur doivent emprunter pour les années à venir.
Un petit bout de chemin est déjà suivi avec les énergies renouvelables, sujet stratégique s'il en est et que notre entretien ne développe pas davantage, vu qu'il sera précisément abordé lors des communications respectives de Mustapha El Haddad et de Si Abdelaziz Rassaa qui, en sa qualité de Secrétaire d'État, a précisément en charge cette noble responsabilité.
Reste un troisième volet qui tient à cœur Kamel Rekik, à savoir l'efficacité énergétique, sans laquelle toute politique dans ce secteur serait vaine. Et il l'exprime en une seule phrase qu'il aime à répéter et qui clôt l'interview : l'énergie qui coûte le moins cher et qui préserve le mieux l'environnement sous tous ses aspects, c'est celle que l'on a évité de consommer !...
Walid MAÂOUIA
Manager PMGI Maghreb / ATUGE