Hamma-Radhia Un couple fusionnel
Qui dit Hamma Hammami dit forcément Radhia Nasraoui. Un couple qui a été pour beaucoup dans la chute de la dictature. Souvenez-vous de ce fameux 14 janvier 2011 au matin. L’avenue Bourguiba était quasi déserte quand Radhia l’a investie pour faire sortir son compagnon de mari, Hamma Hammami, des geôles du ministère de l’Intérieur où il était enfermé. La foule devait grossir à vue d’œil jusqu’à ce qu’elle devînt une marée humaine et emportât l’ancien régime avec la fuite sans retour de sa tête. Qui l’aurait imaginé. Le fruit du combat de toute une vie. Quelque quarante ans pour Hamma et son alter ego Radhia.
Au début des années 80, se rappelle-t-il, il était en prison quand on arrivait à lui faire parvenir clandestinement le journal El Raï; il y lisait les comptes rendus du combat déjà de Radhia en faveur des prisonniers politiques. «Voilà la femme qu’il me faut», se disait-il. Quand ils se sont mariés c’est comme un miracle qui se réalisait et pas seulement un rêve. On est subjugué par leur complicité. J’allais dire l’osmose, voire la symbiose, entre les deux êtres. Quand ils se regardent, il y a cette tendresse ineffable dans laquelle les deux —sans doute Hamma davantage que Radhia— trouvent les raisons de continuer sans jamais désespérer ni se départir d’une détermination toujours renouvelée.
«Avec Radhia, dit-il, il y a deux choses qui m’ont attiré chez elle, c’est qu’elle n’a à aucun moment dit ou pensé qu’elle est toute seule à subvenir aux besoins de la famille». Puis jamais elle ne lui a dit ou suggéré d’arrêter car elle en a marre. Le père de Hamma, âgé aujourd’hui de 95 ans, a toujours pensé que c’est elle qui l’encourageait à continuer, alors que ce n’était pas du tout vrai.
Radhia a souffert du harcèlement de la police et des tracasseries des autorités de Ben Ali, mais jamais elle n’en a montré le moindre signe de faiblesse. Elle a souffert aussi de l’absence de son compagnon, puisqu’il a totalisé, selon le décompte des deux, dix ans de prison et dix ans de clandestinité. Leurs trois filles aussi, la dernière, Sarra, qui vit encore avec ses parents, est même née alors que son père était dans la clandestinité. Tous ses compagnons, à un moment ou un autre, montraient qu’ils en avaient ras-le-bol. Jamais lui. En prison, il faisait rire la chambrée pourtant remplie de dangereux criminels dont l’un, se rappelle-t-il, a égorgé son père et a joué à la balle avec sa tête.
Dans la clandestinité, il avait entretenu des relations de complicité avec les familles qui l’avaient hébergé. Avec les enfants surtout qui l’ont caché dans une discrétion qui l’a toujours touché. Une fois une petite fille a renvoyé de chez elle un oncle auquel elle tenait beaucoup, parce qu’elle sentait qu’il pouvait dévoiler le secret.
Radhia et Hamma partagent certainement les mêmes idées et les mêmes convictions politiques et il n’est pas utile de les interroger sur ce sujet. Mais à chacun son rôle et son statut. Au cours des trois heures que nous avons passées avec eux, à aucun moment elle ne s’est mêlée de politique. C’est lui qui tenait le haut du pavé.
Elle s’occupe de lui comme une mère le fait pour son enfant. C’est elle certainement qui lui achète ses vêtements et lui conseille quoi porter. Elle était soucieuse de son apparence physique allant jusqu’à lui peigner les moustaches dans un geste touchant de spontanéité. Elle n’a pas oublié de se mettre sur son trente et un pour le photographe, notre ami et confrère Mohamed Hammi. Certainement pour faire honneur à son mari.
Femme de caractère comme on le sait à travers un militantisme sans concession, elle devient femme tout court aimante et complice devant l’homme politique de première ligne qu’est devenu son mari. Mais aussi certainement sa première conseillère.
Est-elle jalouse de toutes ces femmes, nombreuses, qui doivent être amoureuses de Hamma, portant beau, aux cheveux cendrés sel et poivre?. «Pas du tout, dit-elle, dans un rire strident, ce sont elles qui doivent m’envier, car c’est mon homme». Tout est dit.