L'ambassadeur d'Italie à Tunis: Replacer la dimension méditerranéenne au centre de la politique européenne
Demandez à un Tunisien quels sont les pays limitrophes de la Tunisie, il vous répondra, sans hésiter, l’Algérie et la Libye. Il a raison sauf qu’il oublie que l’Italie, notre autre voisin, n’est distante que de 50 km au plus des côtes tunisiennes.
La Méditerranée, notre mer commune «Mare Nostrum», nous unit plus qu’elle nous sépare puisque des deux côtés, on trouve le même mode de vie, des traditions analogues, une culture très proche mais surtout une histoire millénaire partagée. Des côtes du Cap Bon, on peut apercevoir les lumières sur l’île de Pantelleria de l’autre côté du Canal de Sicile, cette île tour à tour carthaginoise, grecque, romaine, byzantine puis arabe, avant de revenir à la chrétienté et de faire partie de l’Italie, la Botte dont elle est le talon. C’est tout naturellement que des relations intenses ont toujours lié la Tunisie et l’Italie.
L’ambassadeur d’Italie, Raimondo De Cardona, nous dit tout de suite au cours de la rencontre qu’il a bien voulu accorder à Leaders que l’amitié avec la Tunisie est une «constante» de la politique italienne quels que soient les régimes de part et d’autre car «les régimes passent mais l’amitié demeure éternellement». L’ambassadeur a bien voulu nous recevoir dans son immense bureau à la chancellerie en plein cœur de Tunis dans une bâtisse belle et imposante au style européen située parmi les rues populeuses de la ville. Le diplomate parle un français parfait avec certains anglicismes hérités de ses précédentes expériences diplomatiques de par le monde.
Une constante de la politique italienne
Tentant de le déstabiliser en lui posant la question qui embarrasse: «L’Italie, de Craxi à Berlusconi, a toujours soutenu le régime de Ben Ali, comment qualifiez-vous les relations tuniso-italiennes depuis le 14 janvier 2011?», le diplomate répond avec un calme olympien: «Avoir de bonnes relations étroites d’amitié et de coopération avec la Tunisie est une constante de la politique de l’Italie et cela ne changera pas». Bien mieux, maintenant plus que de par le passé, ce souci est d’actualité.
Pour lui, que le jeune chef du Conseil italien, Matteo Renzi (39 ans), ait choisi Tunis comme la destination de son premier déplacement à l’étranger est un «message» que la Tunisie est un pays qui compte. Le secrétaire général du Parti démocrate et ancien maire de Florence, la capitale de la Toscane, a tenu à venir en Tunisie pour montrer que l’Italie, lors de sa présidence de l’Union européenne à partir du 1er juillet prochain, «s’engage à placer la dimension méditerranéenne au centre de la politique européenne».
Depuis la chute du mur de Berlin, l’UE s’est concentrée sur l’Europe orientale et centrale et il est temps qu’elle revienne à son berceau d’origine, estime-t-il. «Une forte politique de partenariat de l’Union européenne avec le sud de la Méditerranée» est aujourd’hui nécessaire, en allusion à l’indispensable soutien aux pays du «Printemps arabe» particulièrement là où il réussit le mieux, la Tunisie. L’ambassadeur est admiratif des pas décisifs réalisés par notre pays sur la voie de sa transition démocratique. Il se félicite de la «dynamique politique» qui a permis d’approuver la Constitution et de mettre en place un gouvernement de compétences, se disant optimiste quant à la finalisation de cette phase transitoire par des élections aux normes internationales. «La destinée de la Tunisie est entre les mains des leaders tunisiens qui doivent s’habituer à rechercher le consensus, ce n’est pas facile mais ils y réussissent déjà» fort bien.
L’Italie à vos côtés
«Les pays amis, dont l’Italie, sont à vos côtés pour vous soutenir», dit-il dans un langage diplomatique qui ne manque pas d’élégance. Son pays «travaille sur plusieurs canaux» pour marquer son soutien à la Tunisie. En premier, il cite sa «volonté de promouvoir les investissements italiens dans le secteur privé », fort de l’expérience de l’Italie dans ce domaine puisqu’en Tunisie il y a quelque 800 entreprises entièrement ou partiellement italiennes qui emploient environ 60.000 Tunisiens. A cet égard, il annonce la prochaine visite, mi-mai à Tunis, de la ministre italienne du Développement économique.
Madame Federica Guidi, qui chapeaute un super-ministère rassemblant l’industrie, l’énergie, le commerce extérieur et les télécommunications, viendra examiner avec ses homologues tunisiens mais aussi avec les opérateurs économiques les possibilités de coopération et d’investissement en Tunisie. Selon lui, il s’agit d’une visite importante qui donnera de la substance aux relations entre les deux pays. En juin prochain, la ministre de la Défense, Madame Roberta Pinotti, sera à Tunis pour examiner les voies et moyens de nature à développer la coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité. Cette coopération qui est ancienne et traditionnellement dense a permis à l’Italie de mettre à la disposition de la Tunisie des équipements militaires et de sécurité pour un montant de 200 millions d’euros.
La reconversion de la dette
L’autre volet concerne la coopération financière qui revêt plusieurs formes. Dans ce contexte, il a indiqué que le directeur général de la Coopération au ministère italien des Affaires étrangères, M. Gianpaolo Cantini, était récemment à Tunis dans le but d’impulser la coopération à plusieurs niveaux. «On est en train de remodeler notre aide à la Tunisie», affirme l’ambassadeur De Cardona dans une belle formule en ajoutant : «A la demande des autorités tunisiennes, nous étudions aussi la possibilité de reconvertir une partie de la dette italienne à la Tunisie, par des modalités innovantes telles que nous ne l’avions jamais fait auparavant avec aucun autre pays». Les autres volets de la coopération financière concernent d’une part l’aide à la balance des paiements pour laquelle un montant de 95 millions d’euros a été alloué et dont la moitié a déjà été déboursée et d’autre part la ligne de crédit de 73 millions d’euros pour le financement des petites et moyennes entreprises (PME).
L’ambassadeur, qui est aussi fier de la coopération culturelle «très intense» entre les deux pays, se dit confiant du retour des touristes italiens en Tunisie, «une destination appréciée» par les Italiens.
S’agissant de l’émigration tunisienne en Italie, l’ambassadeur De Cardona estime le nombre de Tunisiens dans la péninsule à 170.000 personnes, y compris 35 000 en situation irrégulière. Les Tunisiens présents surtout en Sicile n’ont jamais constitué de problème, dit-il, en faisant l’impasse sur l’invasion de l’île de Lampedusa par plus de 25 000 Tunisiens il y a quelque trois ans.
Le lobbying indispensable
Quant à la forme que doit prendre le partenariat avec l’Union européenne, le diplomate a dit que son pays a toujours plaidé en faveur de la Tunisie dans les instances de Bruxelles. «Nous sommes votre avocat le plus déterminé» et nous faisons du « lobbying » à Bruxelles pour que la Tunisie ait la place qu’elle mérite dans la politique de l’Union européenne. «La représentation européenne à Tunis est très dynamique, indique-t-il, mais nous soutenons activement ses efforts auprès de la complexe administration de Bruxelles».
Raouf Ben Rejeb