News - 13.05.2014

Travail des enfants en Tunisie: Attention, danger!

Ouled Khmissa. Ce village d'Ain Draham (Jendouba), situé à la frontière tuniso-algérienne offre un autre visage de la Tunisie. Nous sommes en 2014 et pourtant dans ce patelin éloigné de tout et de tous, le temps semble s'être arrêté depuis belle lurette. Le progrès aussi. Une immersion presque surréaliste dans un quotidien fait de précarité, de misère et de privations. Au milieu des figuiers de barbarie qui bordent le chemin, s'avance un petit garçon d'à peine dix ans, à dos d'âne. C'est une scène des plus banales dans ce village où les voitures se font rares. Malgré son jeune âge, l'enfant semble porter sur ses frêles épaules le poids de longues années de souffrance. Ses traits, bien que juvéniles, ne sont qu'angoisse et tourment et de ses yeux jaillissent des éclairs de colère. Mahmoud passe chaque jour devant l'école du village qu'il ne fréquente plus depuis plus d'un an et demi. Pourtant, il était brillant...

Mahmoud a intégré l'école alors qu'il avait six ans et quelques mois. Chaque jour, il devait marcher 3 à 4 kilomètres à pied pour s'y rendre. Quand il pleuvait, Mahmoud était obligé de rester à la maison car cela devenait dangereux. Mais dès que les conditions météorologiques s'amélioraient, le petit élève reprenait le chemin de l'école. Pour lui comme pour ses camarades de classe, l'école était une échappatoire et leur seul espoir de s'en sortir un jour. Malgré le peu de moyens, Mahmoud excellait. Il avait cinq frères et soeurs.  Malheureusement pour lui, il était le plus intelligent de la fratrie. Car c'est sur lui que s'était porté le choix de son père pour l'aider au travail. Mahmoud était alors scolarisé en deuxième année primaire quand son géniteur a décidé qu'il avait assez étudié et que sa place était désormais avec lui, dans les affaires. Et quelles affaires ! Chaque jour, Mahmoud était réveillé peu avant l'aube et obligé de se rendre en Algérie à dos d'âne. Il avait pour consignes d'échapper à la vigilance des gardes-frontière. Chargé de deux grands bidons, l'enfant franchissait quotidiennement la frontière pour aller les remplir d'essence puis passait acheter des cartouches de cigarettes avant de revenir chez lui. D'ailleurs, au fil des interminables allers et retours, le petit garçon de huit ans s'était initié au tabagisme. Son père se chargeait ensuite de revendre la précieuse marchandise à des prix défiant toute concurrence. Evidemment, Mahmoud ne recevait pas de "salaire" car d'après son père, il devait s'estimer heureux d'avoir où loger et de quoi se nourrir. Quelques mois après, l'homme à peine âgé d'une quarantaine d'années est mort, foudroyé par une crise cardiaque. Bien que tenté au début par la reprise de ses études, Mahmoud s'est vite rendu à l'évidence. Désormais, il évoluait bien loin de l'univers candide des enfants de son âge. Désormais, il faisait partie du clan des travailleurs, tout comme ses deux soeurs, envoyées depuis des années à Tunis par leur père pour travailler comme aides ménagères.

Un cas, mille cas...

En Tunisie, le cas de Mahmoud et de ses soeurs n'est point isolé. Selon des statistiques nationales, très peu d'enfants issus des campagnes de Jendouba et de Bizerte ont la chance d'échapper à leur destin d'enfants travailleurs. Au pire, ils ne vont jamais à l'école. Au mieux, ils achèvent le cycle primaire. Leurs parents sont très souvent analphabètes, vivent dans une extrême précarité et ne voient pas l'intérêt de faire des études. Les problèmes familiaux, l'échec scolaire, le contexte socio-politique du pays... Autant de facteurs qui favorisent l'accès prématuré au travail des mineurs. Et pourtant, c'est interdit par la loi ! En Tunisie comme ailleurs, le travail des mineurs est une réalité amère, un phénomène complexe. Difficilement quantifiable à cause d'absence totale de statistiques exactes et vérifiables, il concerne autant les garçons que les filles. Des lois répressives existent bel et bien pour lutter contre ce fléau et pourtant nombreux sont les très jeunes garçons qui vendent des "machmoums" de jasmin et autres paquets de papier mouchoir et de chewing-gum dans les quartiers huppés de la capitale et nombreuses sont les fillettes qui travaillent comme aides ménagères dans des maisons de familles aisées, le plus souvent pour un salaire de misère. La législation est pourtant claire, les personne âgées de moins de seize ans ne peut être embauchées pour des emplois qui mettraient en danger leur santé, leur équilibre moral et physique ou qui empêcheraient leur accès à l'enseignement. Pour autant, ce même Code du travail stipule que la participation des enfants de 13 ans à des travaux agricoles légers non nuisibles à leur santé et à leur développement est autorisée, à condition que cela ne porte pas préjudice à leur assiduité et aptitude scolaire. Mais très souvent, les enfants embauchés dans les champs se voient imposer de longues, voire très longues et fatigantes journées de travail et sont donc contraints d'abandonner leurs études par manque de temps mais aussi d'énergie. Les filles, elles, se voient obligées de quitter le domicile familial, et regagnent généralement Tunis, Sousse ou Sfax. Au mieux elles seront traitées en esclaves et travailleront sans relâche de jour comme de nuit. Au pire, elles deviendront aussi des esclaves sexuelles en plus des tâches ménagères qui leur incombent.

Travail des enfants: Mise en place d'un plan d'action national

Face à ce fléau qui menace des centaines d'enfants chaque année, la Tunisie a décidé de réagir. Début mai, le Ministère des Affaires Sociales a organisé, en partenariat avec le Bureau International du Travail (BIT), l’UNICEF et l’UGTT, un atelier portant sur le plan d’action national (PAN) de lutte contre le travail des enfants en Tunisie. Ce projet, qui sera finalisé d'ici décembre 2014, est piloté par un comité constitué de représentants des ministères des Affaires Sociales, de la Formation Professionnelle et de l’Emploi, de l’Education, de l’Intérieur, de la Justice des droits de l’Hommes et de la Justice Transitionnelle, du Secrétariat de l’Etat de la Femme et de la Famille, de l’UGTT, de l’Union Tunisienne de l’Industrie du Commerce, de l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche et de l’UNICEF. Ce plan d'action national concernera dans un premier lieu les gouvernorats de Jendouba et Bizerte. Il vise à la longue à éliminer le travail des enfants de moins de 16 ans et à protéger les enfants travailleurs âgés entre 16 et 18 ans. Oui mais par quels moyens? D'abord par des mesures répressives qui dissuaderont les employeurs, spécialement ceux du secteur informel, de recruter des jeunes qui n'ont pas encore atteint l'âge légal de travailler. Les experts misent aussi sur les ministères concernés qui devront à l'avenir orienter leurs efforts vers des objectifs clairs et cordonnés en plus d’inscrire la lutte contre ce phénomène dans leurs différents programmes et stratégies. Autre point capital, impliquer plus es commissariats régionaux, les directions régionales, les délégués à la protection de l’enfance et les responsables des centres intégrés de la jeunesse et de l’enfance, notamment dans les régions les plus reculées géographiquement. Enfin, éradiquer à jamais le travail des enfants ne saurait se faire sans la conscience citoyenne générale. Signaler tout abus envers des enfants est avant tout un devoir car leur souffrance nous concerne tous en tant que citoyens. D'ailleurs, l'avenir d'une nation repose essentiellement sur celui de ses enfants et de leur bien-être. Et comme disait le très sage Albert Einstein: "Le mot progrès n'aura aucun sens tant qu'il y aura des enfants malheureux." Longue et belle vie à tous les enfants du monde!

La Journée Mondiale contre le travail des enfants est célébrée chaque année le 12 juin. A l'échelle internationale et bien qu'il soit difficile voire impossible d'avoir des statistiques exactes, on estime qu'il y a plus de 210 millions d’enfants travailleurs, âgés de 5 à 14 ans, dans le monde. Parmi eux, plus de 8 millions exerceraient une des «pires formes de travail des enfants» : enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics en tous genres... En Tunisie, le nombre de travailleuses domestiques mineures avoisinerait les 40 000. Leurs âges varient de 10 à 17 ans. Elles ne jouissent que très rarement d'une couverture sociale et travaillent souvent six jours sur sept. Elles touchent généralement entre 200 et 350 DT.

Les associations de défense des droits des enfants, soutenues par l'UGTT, ne cessent de réclamer la ratification, par la Tunisie, de certains textes internationaux dont la Convention n° 189 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et qui concerne justement les travailleuses et les travailleurs domestiques. Ces organismes réclament également la ratification de la Convention n°160 sur les statistiques de travail, la Convention n°171 sur le travail de la nuit, la Convention n°177 sur le travail à domicile, la Convention n°181 sur les agences d'emploi privées et la Convention n°184 sur la sécurité et la santé dans l'agriculture.

Tags : Albert Einstein   alg   Bizerte   minist   pays   sfax   sousse   Tunisie   UGTT  
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