Les Français en Tunisie aujourd'hui Comment, combien et qui sont-ils ?
Ils sont 23 030 Français établis en Tunisie et officiellement inscrits sur les registres consulaires à fin 2013. Officieusement, la population totale est estimée à environ 30 000. Mais qui sont-ils au juste ? Comment sont-ils perçus en France et représentés. Martine Vautrin Djedidi, conseillère à l’Assemblée des Français de l’étranger pour la circonscription Tunisie-Libye, nous apporte un éclairage instructif.
Vu de France, expatrié est un terme générique utilisé par le ministère des Affaires étrangères et européennes. On parle aussi de Français de ou à l’étranger. Notre administration de tutelle a une direction des Français de l’étranger.
Et s’il y a des ex, il y a aussi des in : l’impatrié est un salarié ou un individu rentré dans son pays d’origine , c’est aussi une catégorie de contribuables du ministère des Finances pour parler d’impatriation fiscale; et, dans le contexte professionnel, l’impatriation consiste pour une entreprise à faire venir des collaborateurs étrangers en France.Un impatrié est alors un salarié étranger en France. Il sera alors qualifié en France, et parfois dans son pays d’origine, d’immigré et par les chercheurs en science sociale de migrant. Que la parole vienne du Nord ou du Sud, les intervenants non scientifiques, qu’ils soient politiques ou institutionnels, évoquent rarement les Français expatriés en termes de migrants. En Tunisie, comme dans d’autres pays d’émigration, au regard des populations locales et dans le langage populaire, les personnes de type caucasien ne sont ni des immigrés, ni des migrants mais des touristes, quelle que soient par ailleurs la durée de leur séjour et leur(s) nationalité(s) et les porteurs d’une double nationalité de type méditerranéen sont des immigrés-émigrés avec parfois une ambiguïté de prononciation (qui donne au pluriel, z’mmigré) D’un côté, des associations représentatives des expatriés Nord/Sud et leurs représentants élus parlent désormais de Français hors de France – Français du monde en est un exemple. De l’autre, des associations représentatives des migrants Sud/Nord n’ont pas abandonné l’expression à l’étranger. La connotation générale de ces catégories est simple, sinon simpliste. D’’un côté émigrés/immigrés, et plus récemment migrants, renvoie à des travailleurs socialement et économiquement défavorisés et sédentarisés dans les pays récepteurs. De l’autre, celles d’expatriés et, plus récemment, de mobiles renvoient à des cadres en quête de statuts professionnels valorisants d’une part et à un nouveau nomadisme postmoderne.
Qui sont-ils ?
Les Français issus de l’ère coloniale sont désormais très minoritaires et les mobilités de l’ère post- coloniale ont évolué : après la période des coopérants et des détachés encadrés par l’Etat, nous avons connu celle de l’expatriation des cadres par les entreprises. Les uns comme les autres étaient souvent peu proches des populations locales, sinon par le biais de leurs élites, mêmes locales. Il existe aujourd’hui de nouvelles figures de la mobilité parmi lesquelles celles d’«entrepreneurs» et d’«aventuriers» des classes moyennes, qui, à la différence des expatriés institutionnels ou privés, négocient elles-mêmes les conditions de leur déplacement et de leur avenir migratoire. Ils sont plus difficiles à catégoriser. Ils sont souvent à mi-chemin de rêveurs romantiques et de migrants économiques, parfois à la recherche inconsciente de racines oubliées puisque nombreux sont ceux qui ont une filiation ou des liens dans leur histoire personnelle avec l’un des pays du Maghreb
Leur parcours continue à surprendre, avec une pointe de respect et d’admiration, les populations locales : comment peut-on quitter ces contrées idéales où tant d’entre eux rêvent de pouvoir aller ?
Deux visages de la mobilité récente
Il y a au moins deux visages de la mobilité récente
1/ les retraités. Phénomène d’abord perçu comme anecdotique, ces exilés sociaux, pour la plupart modestes, n’entraient pas dans les statistiques, non immatriculés au consulat, ils n’étaient pas officiellement résidents, faisant des allers-retours afin de bénéficier de leur protection sociale et d’un statut fiscal, étant souvent non imposables ou peu en France. Leur statut a évolué, ils adhérent à la Caisse nationale d’assurance maladie, leurs soins en France sont pris en charge plus facilement, une réforme fiscale leur accorde un abattement de 80 % sur les pensions de source étrangère, leur pouvoir d’achat a augmenté mécaniquement avec l’évolution du taux de change. Quand ils sont étrangers, ils résident sur les côtes à Djerba, Sousse ou Nabeul, ont trouvé ici les conditions de logement et d’encadrement favorables à une vie digne, des possibilités d’aide ménagère ou médicale, de l’entraide, du respect et du lien social.
2/ Des jeunes actifs. Certains sont arrivés par le biais de l‘expatriation Volontaires internationaux en entreprise ou administration, correspondants locaux , d’autres un peu par hasard, à la recherche d’emplois ou dans le cadre de projets de vie, venus rejoindre ou s’installer avec un(e) amoureus(e). Certains ont connu la situation du sans-papiers en situation irrégulière. Ils habitent le plus souvent dans les quartiers de la classe moyenne, ou dans le monde rural, comptent sur leur travail et parfois leurs économies, sont auto- entrepreneurs ou collaborent avec des ONG, sont présents dans la société civile tunisienne et proches de Tunisiens de leur génération.
Généralement, on constate que l’expatriation d’aujourd’hui est mieux préparée que dans les années 70-80. Les sites internet, dont les sites institutionnels, ministère des Affaires étrangères ou consulat général, ceux des associations, les fora, groupes et réseaux sociaux, les élus locaux, répondent à de nombreuses questions et permettent d’appréhender les réalités locales. Les moins jeunes des candidats au départ de France viennent en repérage, font des périodes d’essai (ce que nous leur recommandons vivement), ne rompent pas les amarres derrière eux. En cas d’échec, le retour en France est difficile, à partir d’un certain âge et sans l’assurance d’un logement et d’un revenu. Entre ces deux visages de la communauté française, il y a toutes les catégories de population.
Des résidents de longue durée, qui bénéficient dans le cadre de l’Accord bilatéral en matière de séjour et de travail signé à Paris le 17 mars 1988 (modifié en 1991, 2000, 2008) d’une carte de séjour de 10 ans, et du droit au travail ; ils investissent, montent des projets dans le secteur touristique, la restauration, le secteur culturel, le conseil aux entreprises, le commerce... Sur le plan économique et social, ces Tunisiens de cœur exercent une influence réelle dans certains secteurs. 100 % Français et 100 % Tunisiens, et ce même si la nationalité «seconde» peut être instrumentale, environ 70% des Français résidents en Tunisie sont porteurs de deux nationalités, qu’ils l’aient été avant d’acquérir la nationalité française ou le soient devenus ; pour ceux-ci également, les situations sont multiples. Certains sont entre deux rives pour diverses raisons, souvent économiques, l’idéal étant d’avoir un revenu en € et de faire vivre sa famille en Tunisie, des familles transnationales sont ainsi de plus en plus séparées.
De nouveaux nomades
De nouveaux nomades conservent des liens avec la France, y ont des intérêts, parfois un domicile mais choisissent de faire des allers-retours. A l’époque du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l‘Identité nationale…et du Développement solidaire créé en 2007, un haut responsable de l’administration évoquait …«ces poussières de la colonisation» en pensant à ces nouveaux Français dont une partie de la classe politique et surtout des médias persiste à parler en termes de Français d’origine X . Les «poussières» sont nombreuses, et Français à 100%, n’en déplaise à tous ceux qui remettent en cause...
Et en Libye ?
Les Français en Libye forment une communauté restreinte. 740 en 2009 et 2010, 290 en 2012, seuls 173 Français sont immatriculés fin 2013. Beaucoup sont des cadres supérieurs, chefs d’entreprise, essentiellement à Tripoli. L’ambassade a été fermée et évacuée par le personnel diplomatique en février 2011, après le déclenchement de la guerre civile et a été la cible d’un attentat destructeur en avril 2013. Le consul honoraire à Benghazi a également été la cible d’un attentat en juillet 2013. D’autres Français présents depuis longtemps n’ont jamais quitté le territoire.
Par ailleurs, les employés des compagnies pétrolières sont souvent non identifiés auprès des autorités ; pour des raisons de sécurité, le ministère des Affaires étrangères français ne communique pas la liste des inscrits sur la liste électorale. Le lycée français de Tripoli a été fermé et continue la scolarisation par le Centre national d’éducation à distance.
Martine Vautrin Djedidi