Vers une Stratégie Nationale de Protection des Droits des Usagers de Drogues
Un des hommes d’affaires, que je connais personnellement, dans un pays du Golfe, est un ancien usager de drogue et mon avocat personnel aussi est un ancien usager de drogue. Des anciens usagers de drogue, j’en connais des centaines et j’ai même recruté plusieurs d’entre eux pour différentes consultations. Leurs contributions et témoignages durant les formations que j’ai faites pour des magistrats et des parlementaires, ont beaucoup servi à faire avancer les droits de certains groupes vulnérables, dans tous les pays arabes, dont la Tunisie. Le Programme Régional que je dirigeais (2003-2011), a réussi à faire adopter par le Parlement Arabe une Convention Régionale protectrice des droits des personnes vulnérables (en 2012), ainsi qu’à faire promulguer deux lois nationales : une à Djibouti et une au Yémen (en 2009).
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une personne qui vit sous la dépendance et les effets nocifs d’un produit est une personne qui souffre. Face à cette personne malade, la société offre comme remède l’incarcération. Or à ma connaissance une prison n’est ni un hôpital ni une école. Donc continuer à offrir la mauvaise solution à un problème donné ne le résoudra pas. Malheureusement, nous nous sommes entêtés, pendant 50 ans à offrir une solution qui n’en est pas une! La preuve c’est que non seulement nous avons été incapables d’éradiquer le fléau de la drogue dans notre pays mais le nombre de consommateurs n’a fait qu’augmenter au fil des années.
Il y a plusieurs étapes dans la vie d’une personne qui consomme des produits différents. De la consommation de sirops contre la toux (une consommation pouvant aller jusqu’à plusieurs bouteilles par jour), jusqu’à la consommation exagérée d’alcool ou d’héroïne. Notre intervention sera différente en fonction de l’étape et du genre de produit ainsi que de l’état de dépendance à laquelle est arrivé le consommateur de cette panoplie de produits.
Il est primordial, que quand nous pensons à une personne consommatrice de drogue, de penser à elle comme notre propre enfant ou membre de notre famille. En fait un bon législateur en charge de mettre en place des lois et un bon magistrat en charge de les appliquer n’apportera la meilleure solution que quand il sera à la recherche d’unrésultat capable d’aider son propre enfant.D’accusateur et de bourreau, le législateur doit toujours réfléchir et agir en tant que «bonne mère ou père de famille». Personnellement, si on me demandait de proposer un projet de loi sensé aider mes propres enfants, je ne leur proposerai certainement pas la prison comme solution, car je sais pertinemment que cela ne les ferait pas quitter l’usage de la drogue.Je sais aussi, qu’au meilleur des cas, ils vont récidiverà leur sortie de prison et au pire des cas, ils connaitront en prison des dealers de drogue qui pourront leur apprendre toutes les leçons que la société a failli à les prémunir contre ! En tant que bonne mère de famille, je ferai tout pour leur éviter de rentrer dans ce cercle vicieux et infernal du poste de police, tribunal et enfin prison ! Et comme la définition de la folie c’est justement: «De faire les mêmes choses, encore et encore et s’attendre à des résultats différents», je préfère essayer de: «Garder ma tête quand tous les autres la perdront», comme dirait Kipling.
Dans mon 2me article, paru le 18 février 2014, dans Leaders : http://www.leaders.com.tn/article/5-projets-pour-garantir-500-000-nouveaux-emplois-en-tunisie-a-la-fin-de-2015?id=13396, j’avais déjà mentionné, sous le titre: «Pour une plus grande résilience des jeunes» que: «Plusieurs segments de la jeunesse tunisienne est en train de faire face à des défis majeurs: pauvreté, violence familiale, toxicomanie, exploitation sexuelle, délinquance juvénile…etc. Des approches basées sur les compétences de la vie, l'intelligence émotionnelle et les programmes de résilience de la jeunesse ont été appliqués dans un certain nombre de pays Arabes avec un succès remarquable. Nous pouvons désormais mobiliser une large proportion de la jeunesse avec la participation significative de la communauté mettant en œuvre ces approches. De plus, il est très urgent que la Tunisie mette en place une stratégie nationale de lutte contre la drogue. Une stratégie qui peut, avec exactement le même budget que l’Etat tunisien est en train de dépenser, sans résultats malheureusement, offrir de désengorger les postes de polices, les tribunaux, et les prisons. Avec l’engagement et la bonne volonté de tous, cette stratégie peut être mise en place demain».
Les exemples de centres de réhabilitation gérés soit par l’Etat tunisien, soit par des ONG, n’ont pas réussi car ils n’ont pas étaient fait selon les règles de l’art et ont jeté le discrédit sur cette approche. Or des centres qui ont réussi, j’en ai visité quelques dizaines dans plusieurs pays Arabes et il est temps que la Tunisie se dote de pareils centres afin de faire bénéficier nos jeunes d’une vraie thérapie qui coûtera beaucoup moins cher au contribuable tunisien avec d’excellent résultats à la clé.
J’appelle tous les tunisiens qui ont la chance, eux et leur enfants, de ne vivre sous la dépendance d’aucun produit, à aider les enfants de celles et ceux, qui n’ont pas eu cette chance. Tout au long de mes 5 articles précédents, parus dans Leaders, j’ai expliqué que seule notre solidarité à tous nous sauvera du gouffre dans lequel nous nous enlisons chaque jour un peu plus. Je suis consciente que la majorité d’entre nous commence à perdre patience et espoir dans un avenir meilleur, mais je sais aussi qu’ensemble, nous sommes capables de créer cet avenir meilleur.Nous nous le devons à nous-même et à nos enfants ainsi qu’aux générations futures si nous voulons qu’elles soient fières de leur ancêtres.
Khadija T. Moalla, PhD.