Hédi Sraieb: Vrai dialogue ou faux-semblant ?
Le gouvernement a lancé le dialogue économique national. De nombreuses organisations y compris l'UGTT, qui s'y est ralliée au dernier moment, ont répondu présent. Les objectifs ont été fixés: rechercher les mesures immédiates permettant de contenir les déficits publics, et concomitamment identifier les dispositions concrètes à caractère structurel, qui devraient trouver leurs traductions dans la loi de Finances 2015, puis dans les suivantes.
Les comptes publics et extérieurs sont bien au cœur de cette tourmente. La spirale récessive, déjà à l’œuvre, connait un nouvel emballement. Le nouveau gouvernement sitôt installé indique avoir découvert une situation qualifiée de «catastrophique». Un jugement qui va être récusé, à vrai dire mollement, par les ténors de la Troïka sortante. Qu’à cela ne tienne, une divulgation de nouvelles données en rafale, -qui ne doit rien au hasard-, va venir confirmer la dégradation des grands équilibres. Des chiffres, qui mis bout à bout donnent le vertige alors même que nombre d’entre-eux sont redondants ou le fait de double comptage mais qui vont provoquer un sentiment impérieux d’urgence.
Le spectre d’une crise majeure à la grecque hante les esprits!
Faute de pouvoir disposer des attributs d’une véritable légitimité politique, le gouvernement, -conscient de l’étroitesse de ses marges manœuvre-, a bien compris qu’il fallait chercher des solutions substantiellement impopulaires au travers de ce dialogue.
Un exercice qui peut, certes, être de bonne foi, mais qui n’a rien de neutre ni d’objectif au regard des conséquences sociales qui en découleraient, n’en déplaisent aux chantres du technocratisme. Des statistiques officielles, qui vont être jugées partielles et partiales, et que vont contester d’emblée plusieurs organisations qui avaient espéré une opération vérité sans fards ni artifices. Une polémique qui se dédouble sur la méthode même: Une intentionnalité à peine voilée de réduction des déficits par le seul biais d’une réduction drastique dans les dépenses de transferts. Une cure d’austérité ! Une approche jugée trop court-terme, éminemment financière, inéquitable répartie, au détriment des couches moyennes et populaires. Une méthode qui semble, à ce jour, faire l’impasse sur les turpitudes et les déséquilibres structurels profonds d’un modèle économique à bout de souffle, mais que d’aucuns, à vrai dire, voudraient voir prolongé et revigoré.
Il est vrai que l’avalanche de mauvais indicateurs (surgissant à point nommé) a surpris, pour ne pas dire abasourdi, une opinion publique peu familière de la chose économique et des techniques de réification-déification par l’outil statistique. De quoi décontenancer les esprits les plus impassibles, les plus stoïques. Un «choc émotionnel» de chiffres, relayés à grand renforts d’éditoriaux, par toute une presse complaisante et peu critique, omettant de signaler les biais statistiques. Illustration: le gouvernement annonce des pertes des sociétés nationales jugées abyssales (-2,5 Mds DT) sans que l’on sache très bien ce qu’elles recouvrent exactement : déficit d’exploitation ou pertes bilancielles. Mais des indicateurs qui distillent un «implicite ravageur», celui d’une quasi-faillite du secteur public. Des ratios négatifs qui conduisent subrepticement à penser que la cause évidente en serait les sureffectifs. Manœuvre dilatoire car en réalité ces chiffrent ne disent rien sur les charges financières de ces entreprises, ni de l’effet change sur leurs achats et bien d’autres incongruités comme le non recouvrement de factures dues par les services mêmes de l’Etat. Un allusif tronqué mais qui fait dire à certains confrères que le pays ne peut plus supporter autant de fonctionnaires. Notez au passage l’amalgame entre agents de l’Etat et techniciens des sociétés nationales!
Sans faire ici de mauvais procès à quiconque, on est tout de même surpris par la pauvreté des matériaux informatifs à la disposition des commissions et du grand public. L’INS, l’ITCEQ et autres ministères concernés n’ont toujours pas produit la moindre étude d’impact de la suppression de ces subventions tout en laissant croire, sans la moindre preuve factuelle que celles-ci profiteraient bien plus à divers secteurs qu’aux fractions fragilisées (bien plus nombreuses qu’on ne le croit). Tout y passe, les subventions iraient bien plus aux nantis (sic), puis aux non résidents (epsilon), puis au commerce parallèle sans que le début d’une démonstration ne vienne confirmer ses affirmations. Pas plus que la BCT qui fulmine sur les dérives du commerce extérieur n’a trouvé le temps de fournir le dernier rapport sur les engagements extérieurs à court et moyen terme qui plombent incidemment les comptes de la Nation.
Précisons. Tout se passe comme si l’administration du moment continuait, -par mimétisme inconscient-, à reproduire les mêmes travers du régime déchu : retard de publication, discontinuité des chronologies statistiques, changement de définition.
Il n’y a donc aucune malhonnêteté intellectuelle à proprement parler, mais une culture renouvelée de l’occultation délibérée. Une sorte d’intérêt supérieur (de qui?) qui ne ferait connaître que des données préconstruites fonctionnant en trompe l’œil (montrer une réalité tout en dissimulant une autre) à des fins et des motivations pas forcément très avouables. Pour plagier l’expression favorite de notre Chef de gouvernement, on peut se demander quelle marge peut bien avoir notre «start-up» quand son business plan est déjà plombé fort lourdement. Sur les 11 derniers milliards que nous avons empruntés près de 9 d’entre-eux ont déjà servi au remboursement de la dette. Il en sera de même cette année ! Que dire de cette politique d’austérité qui s’annonce alors que l’autorité du moment s’apprête à reconduire le comblement du gouffre bancaire (nouvelle dotation de 800 MDT) avant même que l’audit ne soit achevé, ou encore à renouveler les mêmes incitations fiscales à l’investissement et à l’export (+ 500 MDT) dont la preuve de l’efficience n’est toujours pas faite. La BM dit même l’inverse et évoque un gaspillage. BM qui soit dit en encore passant alerte sur une réduction inconsidérée (c’est le cas) des subventions qui aggraverait de l’ordre de 5 points la pauvreté déjà endémique (dixit rapport 2013). Que ne lit-on plus cette institution, pour laquelle le pays n’a aucun secret.
Ce gouvernement semble se refuser à faire bouger les lignes.
Côté recettes, il continue à se contenter d’exhorter au civisme fiscal, mais sans la moindre mesure concrète. Il ne dit mot sur les distributions de dividendes, -en veux-tu en voilà-, dans différentes activités, ou de la réduction du taux d’imposition des sociétés, ni encore moins des exemptions et niches fiscales du duo infernal Off-shore-On-shore. Alors que peut-on attendre de cette gestion qui s’apprête, nonobstant les ajustements politiques de dernière minute, à confirmer la réduction des subventions de plus de 1,5 Mds DT sur les produits énergétiques, et de plus de 500 MDT sur les produits alimentaires, coupes sombres déjà inscrites en filigrane par ses prédécesseurs dans la loi de finances de 2014 ? Que peut-il sortir d’une commission sur le pouvoir d’achat et les initiatives pour l’emploi, quand les autorités du moment ont déjà prévenu d’un gel des salaires et des recrutements? Que peut-il sortir du débat sur le développement régional quand la moitié des projets sont reportés sine die!
Alors faut-il en conclure que ce dialogue n’est qu’une fiction structurée et structurante de sorte que ces conclusions ne soient pas perçues comme seulement imposées d’en haut, mais largement partagées par nombre de partis politiques. Il est permis de le croire !!!
Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement.
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C'est pour toutes ces raison qu'EL JABHA quitte le pseudo dialogue économique.
Si Hedi, Vos commentaires et vos analyses sont très pertinents. Mais ils ne sont pas accessibles à tous les lecteurs. Certes le style est assez sophistiqué mais malheureusement le message rédigé de cette manière n’est pas à la portée de tous les Tunisiens. Prière, simplifiez vos articles afin qu’on puisse en bénéficier. Samir
J'echaine avec Samir, vous utiliseriez , toujours, un style trés difficile dans vos article; nous voudrions que tu nous simplifier un peu ta manière de rédaction pour qu'on puisse comprendre