Pour une nouvelle approche dans la lutte contre la contrebance
Une frontière pour un gouvernement qui la contrôle, est en général un véritable casse-tête. A l’inverse pour un contrebandier c’est du pain béni et la poule aux œufs d’or. En Tunisie nous avons de sérieux problèmes de contrebande, ceci est malheureusement très mal expliqué par les autorités aux citoyens. Ainsi nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi vendre quelques bidons d’essence à faible prix, sur le bord des routes, peut être préjudiciable à un gouvernement qui subventionne chèrement le carburant? En quoi vendre des bouteilles de bières ou des boites de tomates au prix fort à nos voisins libyens fragiliserait notre économie?
Le principe de la contrebande c’est acheter à faible prix d’un côté de la frontière pour revendre au prix fort de l’autre côté. Passer cette ligne interdite fait gagner beaucoup d’argent pour une seule et simple raison, elle court-circuite un système qui renchérit les produits par un excès de taxes, une situation monopolistique ou l’interdiction de certains produits de ce côté de la frontière.
La contrebande n’est pas une idéologie, elle n’est motivée que par le profit et uniquement le profit. Puisque la demande existe et que les produits sont disponibles nous sommes donc dans une situation où le gouvernement agit contre les lois du marché. Dans cette situation il n’est pas difficile de prévoir qui a la plus grande probabilité de gagner.
D’autre part il faut se rendre compte que faire de la contrebande est un métier compliqué, il demande une grande organisation et une logistique lourde ainsi qu’une réactivité très rapide. Il faut en effet assurer l’approvisionnement, le transport, le stockage, la diffusion aux revendeurs, le marketing etc.…Ceci représente beaucoup d’étapes qui toutes ne peuvent être pratiquées sans comporter le risque d’être pris. Or on estime qu’environ 5% seulement se font prendre, cette quasi impunité ne peut vraisemblablement s’expliquer que par la possibilité de certaines complicités au sein des services officiels. Cela veut dire que le problème semblerait être plus probablement un problème de corruption et malheureusement cela existe dans tous les pays.
Lutter contre la contrebande en un éternel jeu du chat et de la souris ne semble malheureusement pas donner de résultats, aucun gouvernement n’a jamais déclaré avoir gagné ce combat et supprimer définitivement la contrebande. Une solution plus efficace serait de jouer avec les prix en diminuant les taxes douanières ou carrément d’instaurer une zone de libre échange pour rendre la contrebande moins profitable.
Améliorer nos produits pour les rendre plus compétitifs, plus innovants et de meilleure qualité est une autre solution. Notre préoccupation première est le coût de la vie, nous ne devons pas pénaliser nos citoyens en protégeant de mauvais produits sous prétexte qu’on maintient des emplois. Ces emplois sont de toute façon fragiles. Certaines industries pourraient disparaitre et l’état pourrait autoriser l’importation de produits bon marché. Cela casserait la contrebande et donnerait un meilleur pouvoir d’achat aux citoyens qui dépenseraient dans d’autres secteurs créant des emplois plus durables comme dans la santé, ou l’éducation.
Une autre approche qui se voudrait réaliste serait pour le gouvernement d’aborder certaines questions sans hypocrisie. Lorsque par exemple on taxe le whisky à 200% et plus tout le monde comprend qu’on transforme de facto toute la population qui en consomme en contrebandiers puisque personne ne l’achètera à ce prix-là. Trop de taxes tuent le produit, le résultat c’est que l’argent qui devrait aller dans les caisses de l’état est détourné vers les poches de certains personnages.
Dans la situation actuelle d’insécurité, il semblerait superflu que les forces de l’ordre traquent les DVD pirates ou les boites de tomates. Leur action devrait être plus sélective. Celles-ci doivent concentrer leurs forces et leurs ressources qui sont limitées sur l’essentiel, c’est à dire les armes et le terrorisme.
C’est en étant lucide et en intégrant la constante contrebande dans notre stratégie économique qu’on pourra s’en débarrasser, non pas en se heurtant vainement de front à elle dans une lutte épuisante, inutile et sans garantie de la gagner.
Dr M.A Bouhadiba