News - 28.05.2014

Directement visé, Lotfi Ben Jeddou face à ses trois destins

Trois destins successifs viennent en si peu de temps marquer sa vie. Il y a quatorze mois seulement, Lotfi Ben Jeddou était un paisible magistrat, respecté et reconnu pour sa probité. Juge d’instruction à Kasserine, il a instruit avec courage et sérénité de grands dossiers de blessés et martyrs de la révolution, impliquant notamment de hauts dirigeants sécuritaires. Tous ont loué son indépendance et son sens de l’équité. Ce sont, précisément ces qualité qui lui avaient valu les félicitations du premier ministre de la Justice de la révolution, le bâtonnier Lazhar Karoui Chebbi, puis l’attention, sous le gouvernement de la Troïka, de dirigeants politiques. Khalil Zaouia, ministre Takattol des Affaires sociales, était le premier à le recommander pour faire partie en tant qu’indépendant du gouvernement d’Ali Laarayedh

Le premier destin : nommé en mars 2013, ministre de l’Intérieur, un nouveau parcours sur un chemin de braise commencera alors pour lui. Malgré certaines avancées accomplies, son bilan à la tête de ce ministère en pleine transition, affrontant insécurité, contrebande et terrorisme est controversé. L’assassinat de Mohamed Brahmi pèsera lourdement de ses zones d’ombres et étouffement d’alertes reçues. A sa décharge, quand on connaît bien la maison de l’intérieur, les forces en présence et la situation réelle dans le pays, on reconnaît les limites du possible. Mais, les Tunisiens attendent de lui d’être exceptionnel.

Un Ben Jeddou plus déterminé

Son maintien sous le gouvernement non-partisan de Mehdi Jomaa avait suscité de vives controverses entre le Dialogue national qui le récusait, et l’Assemblée nationale constituante où il bénéficiait de soutien. Jusqu’à la dernière minute, tard dans la nuit, les négociations avec les uns et les autres avaient failli tout faire capoter. Humblement, Lotfi Ben Jeddou, ne voulant pas constituer une pomme de discorde, avait remis son mandat entre les mains du nouveau chef du gouvernement. Une formule de compromis a fini par être trouvée et Ridha Sfar lui sera adjoint en ministre délégué chargé de la Sécurité. Deuxième destin.
 
Le duo se mettra immédiatement au travail forgeant la meilleure collaboration possible, faisant fi des tentatives de zizanie et de mise en conflit, l’un contre l’autre, le sens de l’Etat étant privilégié. Chacun aura son style, mais tous deux, embarqués sur la même galère, partagent le même objectif. Ridha Sfar se révèlera à l’opinion publique, lors de son audition par l’Assemblée nationale constituante, en stratège et professionnel, doté d’une grande expérience. Quant à Lotfi Ben Jeddou, réalisant les enjeux du nouveau contexte après le départ du gouvernement de la Troïka, fera preuve de plus de détermination et d’engagement, sur divers dossiers, notamment celui de la lutte contre les milices et le terrorisme. Quitte à devenir la cible première de ceux qu’il pourchasse. 

Une riposte prévisible, mais non-localisée

Lotfi Ben Jeddou se savait visé, mais s’en remet à Dieu et à son escorte. Etabli à Kasserine depuis plus de 25 ans, occupant diverses fonctions de magistrature, jusqu’à Procureur de la République et Juge d’Instruction, il y a ancré des attaches. Nommé ministre, et sachant que sa mission ne sera que « provisoire » et de courte durée, il a préféré y garder sa famille où elle a pris toutes ses habitudes. La montée de la violence et du terrorisme le confirmera dans sa décision par solidarité avec la population locale, ne songeant guère à en soustraire les siens.  A Tunis, il se consacrera à sa tâche, n’occupant le logement loué dans la proche banlieue de la capitale que pour dormir quelques heures dans un sommeil maintes fois interrompu chaque nuit par des coups de fil. Ce mardi soir, près de minuit, l’annonce de l’attaque de sa maison à Kasserine l’ébranlera fortement, et l’assassinat de quatre vaillants policiers qui y étaient de garde lui fera l’effet d’un séisme. Il se sent responsable de la sécurité de tous les agents, particulièrement ceux devant assurer sa protection et celle des siens. Après avoir déjoué le weekend dernier une grande opération terroristes et l’arrestation de nombre de ses auteurs, il s’attendait à une riposte, mais ne pouvait savoir quand et contre qui elle se déclenchera.

Lotfi Ben Jeddou : Ma famille restera à Kasserine

Surmontant sa lourde peine, il décodera rapidement le double message que voulaient lui adresser les terroristes : une sanction et une dissuasion. Sanction pour son engagement et une dissuasion pour baisser les bras, tant pour lui personnellement que pour son ministère et l’ensemble du gouvernement. Son troisième destin ne fait que commencer. Se laissera-t-il abattre ? Nullement ! Il fera montre, en se rendant la nuit même à Kasserine, de courage et de détermination. S’adressant à la foule compacte qui s’est formée devant sa résidence, il leur dispensera un message d’assurance et de détermination. Il les rassurera quant au renforcement du dispositif de sécurité sur tout le territoire et leur réitèrera la ferme volonté de réussir la lutte contre les terroristes. 
 
Un même message qu’il transmettra aux Tunisiens sur les ondes des stations radio qui l’interrogeaient à midi en direct. Quand on lui demande s’il envisage de faire rapatrier sa famille auprès de lui à Tunis, Lotfi Ben Jeddou affirmera qu’elle restera à Kasserine, mais pourrait le rejoindre juste durant les vacances.
 
Face à tous ces destins, à son Destin, il puise dans ses valeurs fondatrices, les ressorts pour poursuivre sa mission.

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