Le vouloir-être, cette guerre de la jeunesse
Plotin disait «Quand nos désirs sont émus, l’imagination survient qui nous donne l’illusion de posséder leur objet». Or, quand on est émotif, ce qui est le trait caractéristique de notre psychologie, on a des désirs qui sont une imagination donnant l’illusion de posséder leur objet.
C’est ainsi que se résume la situation actuelle en notre pays où les désirs opposés des uns et des autres fondent une imagination leur donnant l’illusion d’incarner ces désirs, d’en réaliser la substance dont on fait réalité à force d’y croire, même si cette réalité s’arrête aux limites de notre propre conscience.
Imagination politique
C’est le cas du parti islamiste, malgré des accès de réalisme de certaines de ses directions, qui croit incarner l’islam et représenter le peuple sans réaliser la haute toxicité de certains de ses fondamentaux et leur influence sur ses démons a la capacité intacte de nuisance.
C’est de même le cas su principal parti qui s’oppose à lui, issu de l’ancien régime et qui croit constituer l’alternative incontournable sans aviser les boulets qui entravent son retour au pouvoir.
C’est aussi celui de nombre d’adeptes des principes et valeurs démocratiques dont ils font le pré-texte pour l’accès aux commandes du pays sans se soucier du texte même de la démocratie supposant un esprit libéral, dénué de dogmatisme et une idéologie plurielle sans exclusion aucune ni la moindre discrimination.
Et c’est enfin celui d’une certaine frange de la société, une jeunesse déboussolée par ses élites, qui tangue d’un extrême l’autre, versant dans l’intégrisme religieux et profane, terrorisme légal y compris.
C’est ce qui fait que notre pays vit aujourd’hui des soubresauts qui n’étonnent que ceux qui n’ont pas lu Hegel et ne savent donc pas que l’histoire n’est qu’un «abattoir».
Inéluctabilité du conflit
Cette réalité conflictuelle est incontournable; elle l’est d’autant plus lors des moments décisifs dans la vie des peuples où le caractère déjà immuable du conflit est encore plus évident.
Il faut donc énormément de lucidité à nos élites afin d’accepter la nécessaire «circulation des élites» pour reprendre l’expression de celui qui fut à l’origine d’une autre sociologie, Vilfredo Pareto. Seule une telle circulation supposant alternance au pouvoir et renouvellement des compétences en charge de l'État est un contrepoids utile à l’unilatéralité des bons sentiments affichés ostensiblement, dont sont pavés les chemins de l’enfer politique.
Pourtant, on assiste à une dénégation farouche de l’inéluctabilité dans le pays du conflit et de ce que suppose toute compétition d’émulation et d’alternance. Et c’est ainsi qu’on verse immanquablement dans la dictature, l’histoire nous l’enseigne assez : c’est en croyant possible la résolution de tout conflit en soi que toute révolution aboutit à une dictature plus féroce que celle dont elle a triomphé.
Ainsi, le peuple utilisé hier pour vaincre l’oppression et l’obscurantisme aujourd’hui est-il en train d’être instrumenté pour instaurer une autre doxa, une autre domination n’ayant rien à envier à celles qu’il a combattues.
Violence fondatrice
Il est une vérité que l’on ne doit jamais oublier, à savoir que le propre de toute institution est de se scléroser. Aussi le conflit revient-il avec la violence comme un élan originel en étant ce chaos à partir duquel s’instaure toujours tout nouvel être-ensemble.
Dans ce cas, cette violence est fondatrice; elle prend acte du néant qu’est devenu le pouvoir institué pour chercher à refonder autre chose. Loin donc de constituer une calamité, la crise que traverse notre pays est salutaire, car elle sera forcément féconde d’un autre ordre moins répressif. Le prix de la douleur payé journellement en est la garantie.
Et c’est cela le vouloir-vivre qu’incarne surtout une jeunesse révoltée et créative; inconscient ou conscient, ce vouloir-vivre est forcément porteur d’un vouloir-être, une «force qui va» dont l’apport constructif est bien visible derrière l’apparence destructrice de l'ordre ancien périmé.
C’est certes l’angoisse tous les jours, et c’est tragique souvent, toute naissance se faisant dans la douleur; que dire d'une création novatrice digne de ce nom!
C’est ce que qualifiait Hegel de «travail du négatif» ou Saint Jean de la Croix, le mystique espagnol, chantre de l’amour, de «nuit obscure» ou Nocheoscura. C’est l’assurance d’une création à la mesure des rêves immenses de ces créatifs d’un nouveau monde dont nos jeunes ont la responsabilité et l’honneur d’écrire les premières pages dans le livre d’histoire du monde.
Farhat Othman