Afif Hendaoui: Remèdes pour une situation économique «délicate»
«Il y a des remèdes pour l’économie tunisienne. Il y a des remèdes qui font très mal. Il y en a qui font moins mal mais qui nécessitent du temps», assure le Professeur de sciences économiques, Afif Hendaoui dans une conférence-débat sur la politique monétaire et les finances publiques, pour remédier au déficit budgétaire et à l’endettement.
«Dans tous les cas, on ne peut pas proposer des remèdes sans tenir compte de la capacité de la population de les supporter», prévient l’ex-Directeur de l'Ecole Nationale d’Administration (ENA), en assurant d’emblée que son diagnostic et les solutions préconisées sont «en dehors de toute sympathie pour aucun parti ou courant » de l'échiquier politique tunisien.
Le «prétexte» au débat pour ce sujet «très sensible et très grave» -à l’initiative du président de l’Université privée Time, Mohamed Damak est un article analytique truffé de notions techniques, qu’il venait de publier dans l’hebdomadaire «Réalités».
Des causes extra-économiques
C’est M. Damak qui a donné le coup d’envoi au débat pour présenter avec les deux volets de cette analyse qui va «au-delà de ce qui est admis par les partisans de l’orthodoxie libérale». Il s‘agit, selon lui, de s’interroger sur les causes de la «situation difficile et délicate» des finances publiques.
Il s’agit ensuite de préconiser «les mesures susceptibles d’atténuer la crise économique, tout en préservant un minimum de cohésion sociale».
«La situation économique est difficile et délicate. Je ne dirai pas qu’elle est ‘catastrophique’», ironisera ensuite M. Hendaoui, dans une allusion aux déclarations alarmistes de nombreux responsables ou économistes tunisiens Selon lui, «un bon diagnostic aide très souvent à proposer des remèdes adéquats».
Dans son long diagnostic, l’analyste commencera par affirmer que «contrairement à ce que laissent entendre certaines institutions internationales et le discours dominant des ‘experts’ tunisiens, un État ne peut pas faire faillite (…) un État dispose de trois moyens pour faire face à une situation de déficit et d’endettement excessifs: réduire les dépenses, lever des impôts et faire de la création monétaire».
Il démontre ensuite, chiffres à l’appui, que «la baisse du PIB en volume, qui a touché le secteur industriel et le secteur du tourisme depuis 2011 et qui a engendré un choc d’offre négatif, est due à des considérations extra-économiques». Il en a cité les grèves sauvages, la fermeture d’entreprises, la destruction d’unités de production, l’insécurité généralisée…
«En d’autres termes, la production s’est arrêtée, non pas parce que la demande effective a baissé, mais en raison d’un arrêt de la production et une chute vertigineuse de l’investissement. Ce choc d’offre n’implique pas qu’on prenne des mesures contra-cycliques. La seule solution, c’est comment rétablir la confiance, comment éliminer les causes responsables du choc d’offre dans une situation d’insécurité généralisée?», s’interroge-t-il.
Poursuivant son diagnostic, M. Hendaoui parlera de la croissance des dépenses publiques, passée de 16% en 2011 à 11,5% en 2012 et de 19,9% en 2013, soit deux fois plus vite que la production nationale, faisant passer leur part dans le PIB de 24% en 2010 à près de 32,5% en 2013. Ce qui a engendré une augmentation des dépenses de compensation au détriment de l’épargne intérieure et de l’investissement public et des déficits budgétaires alarmants, aggravé aussi par ‘l’explosion’ à partir du 2011 du déficit primaire (déficit budgétaire hors paiement des intérêts de la dette) qui était en 2009 autour de 0,8% du PIB, a atteint près de 5% en 2013.
«Outre le fait qu’elle est peu efficace pour surmonter un ‘choc’ d’offre négatif, cette politique aggrave la ‘fuite’ vers les importations de biens alimentaires et de biens de consommation (à travers aussi bien l’économie officielle que l’économie parallèle)», dit-il.
«L’État voit ainsi sa marge de manœuvre se réduire dramatiquement, puisqu’il doit s’endetter de plus en plus pour rembourser un service de la dette en progression et pour financer une part croissante des dépenses d’équipement (…) et augmente le ‘stress de liquidité’», explique M. Hindaoui.
«Je ne connais pas d’autres solutions»
Après avoir analysé les causes de cette spirale de l’endettement, qui semble être une fatalité, et sans s’attarder sur la question du choix du modèle de développement, M. Hindaoui a esquissé une série de propositions de nature essentiellement budgétaire et monétaire pour «diminuer significativement le déficit public primaire en 2014 et 2015, tout en modifiant la structure des dépenses budgétaires au bénéfice de l’investissement public, en plafonnant la dette publique à 50% du PIB et en évitant d’augmenter le ‘stress’ de liquidité et l’’effet d’éviction’. Je ne connais pas d’autres solutions».
Il a notamment préconisé «la monétisation du tiers de la dette publique intérieure, soit environ 5 milliards de dinars. Il s’agit pour la Banque centrale de racheter ce volume de dettes détenu par les agents économiques et de le détruire de manière équivalente pour améliorer la solvabilité de l’État».
S’agissant de l’emprunt national, il a préconisé un emprunt à concurrence de 3 à 3,5 milliards de dinars et à maturité de 10 ans au moins, à condition, précise-t-il, que «l’Etat engage un programme d’investissement à la hauteur des défis».
Autre mesure pour alléger les dépenses de compensation: une augmentation du prix du carburant dont la subvention en 2013 représentait 68% du total des dépenses.
Mais, dit-il, «je ne suis pas d’accord pour qu’on augmente les prix des produits alimentaires de base, d’abord parce que la part leur poids dans les dépenses de compensation ne représente que 28% en 2013, d’autre part, pour ne pas courir le risque de toucher à un motif d’explosion sociale. Le meilleur plan économique peut devenir caduc si on ne tient pas compte des réactions sociales», selon lui.
M. Hindaoui a également préconisé une stabilisation de la masse des salaires dans la fonction publique pour 2014, une amélioration de la marge de manœuvre de l’Etat pour augmenter substantiellement ses dépenses d’équipement et un programme d’urgence de lutte contre la pauvreté.
Il a enfin préconisé la mise en place d’une commission nationale de réflexion sur la refonte globale du système de prélèvement obligatoire. «Je ne veux pas qu’on vienne aujourd’hui nous proposer un schéma de réforme fiscale. Ce n’est pas à ce gouvernement de le faire. Toute réforme fiscale est une réforme politique par excellence. Ça doit être le résultat d’un consensus national associant le gouvernement, la société civile, les partis politiques et les syndicats. La réforme fiscale n’est pas l’affaire de technocrates», insiste-t-il.
Durant le débat et en réponse à une question sur la nécessité de former des groupes de réflexion, une sorte de Think Tank réunissant divers experts (économistes, géopoliticiens, universitaires….) pour réfléchir, diagnostiquer et concevoir un ‘modèle tunisien’ de développement, M. Hindaoui a estimé qu’il fallait en effet «se constituer en petits groupes de réflexion pour sortir avec des livres blancs sur la base desquels les politiques peuvent prendre les décisions, en fonction des priorités».
Habib Trabelsi