Hold-up de la Révolution
Il est désormais avéré que s’il reste encore une possibilité de réussite du printemps arabe, ce serait en Tunisie, puisqu’il est déjà un hiver ailleurs. Cela tient au fait qu’en notre pays, ce fut un Coup du peuple, c’est-à-dire que la chute de l’ancien régime a été certes encadrée de l’extérieur, mais son vrai moteur fut néanmoins le peuple qui a amorcé la pompe en quelque sorte, maintenant la pression jusqu’à l’aboutissement. Ce Coup du peuple a ainsi fait réalité d’une virtualité, celle d’une pensée désincarnée qui se serait ainsi matérialisée à force de volonté psychique. Et, ne l'oublions pas, le possible est toujours au-delà d'un réel pouvant n’être que trompeur.
Aussi, bien qu’il n’y ait pas eu de révolution en Tunisie au sens technique du terme, ni surtout le moindre changement dans le cerveau des élites au pouvoir ou gravitant tout autour, la révolution a germé dans la tête du peuple à force d’y croire. C’est le peuple qui a donné naissance à cette conviction et l’a imposée à des dirigeants qui se seraient contentés d’un simple retapage de façade de la dictature, leur but étant le pouvoir et celui des parrains extérieurs, la transformation de la Tunisie en un marché formellement démocratique et non pas nécessairement en démocratie matérielle maximaliste selon le vœu du peuple.
On voit d’ailleurs bien la soif du pouvoir dévorer les élites politiques; aussi assistons-nous à la préparation d’un hold-up spectaculaire de ce qui reste de la révolution, un butin réservé aux grands partis et à leurs chefs. Mais attention; il ne s’agit pas de celui dont parlent certains! Ceux-là sont intéressés par le maintien au pouvoir, moyennant le renouvellement de leur légitimité perdue, ou cherchent à y revenir afin de rétablir une autorité de l’État qui est, dans leurs vues, synonyme de retour à la dictature. S'ils crient qu’il y aurait hold-up si les élections nationales ne se tiennent pas avant la fin de l’année, c'est pour faire diversion.
Car, justement, le hold-up dont il s’agit est celui qui consiste à organiser ces élections au prétexte que la constitution les prévoit! Or, ce sont bien les grands partis qui ont décidé de précipiter ces élections afin de servir leurs intérêts propres. Pour cela, ils ont aménagé à leur convenance un scrutin de liste qui ne fera que reconduire le même type d’assemblée qu’on a déjà, une assemblée qui nous donne déjà la parfaite illustration de la politique quand elle ne relève que de l’opéra-bouffe.
Comme dans tout hold-up, on se presse donc de se servir sans se soucier des véritables urgences du pays et ce que commande l’intérêt du peuple, qui est d’abord dans une saine gestion des réalités quotidiennes dans ses villes, au niveau municipal le plus proche de lui. Outre le redressement de l’économie et du niveau de vie des plus pauvres, il s’agit ainsi de l’assainissement de la situation catastrophique dans les municipalités et les gouvernorats du pays. Bien sûr, il y a aussi le terrorisme à endiguer, mais cela ne saurait se faire sans lois justes, sinon on risque de verser fatalement dans l’autoritarisme et la répression aveugle comme la dictature défunte.
On nous parle pourtant d’État de droit tout en ne faisant rien, puisqu'on continue d'être gouverné par les lois du régime de non-droit déchu, les acquis de la nouvelle constitution demeurant toujours lettre morte. Si l'on était sincère, que ne décide-t-on le gel de ces lois, les plus scélérates pour le moins, celles qui sont opposées à la constitution, sa lettre comme son esprit ! L’assemblée actuelle n’en est-elle pas capable?
Si on ne cherche pas à berner le peuple, que ne remplace-t-on les élections nationales par des locales! Cela prouverait que l’on se préoccupe vraiment du peuple et non du seul pouvoir. On ne le fait pas, car le souci premier de nos politiciens est de réussir leur hold-up de la révolution. La terrible question est de comprendre les motivations qui font que les rares démocrates véritables de ce pays se laissent mobiliser en complices actifs de ce véritable détournement de la révolution, un retour en arrière vers l’État fort tel que nous l’avions ou presque du temps de la dictature. Une véritable énigme, à moins que leurs idéaux se soient aussi frelatés comme c'est une évidence chez d'aucuns.
Aujourd'hui, si l'on veut parler vrai, force est de soutenir que l’argument de la nécessité d’élections nationales pour la sauvegarde même de la démocratie n’a que l’apparence de la vérité; il ne serait même qu'un mensonge éhonté. Que les consciences démocratiques fassent donc attention, et se réveillent de leur léthargie; il y a hold-up en vue des véritables acquis de la révolution!
Farhat Othman