Bagdad tombera, tombera pas?
Qui pourra freiner l’offensive fulgurante des ‘jihadistes’ de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui s'apprêtent à «marcher sur Bagdad»? La capitale irakienne sera-t-elle capturée pour la quatrième fois de son histoire jalonnée de massacres? Les Etats-Unis pourront-ils enrayer l’offensive par des frappes aériennes? Les Gardiens de la Révolution iranienne voleront-ils au secours du gouvernement de Nouri al-Maliki, dominé par les chiites et désemparé par l’avancée inexorable des «terroristes» sunnites?
Selon les dernières informations, ces ‘jihadistes’ seraient jeudi à moins d’une centaine de km de Bagdad où le Parlement s’apprêtait à décréter l'état d'urgence, à la demande du Premier ministre. M. Maliki avait appelé, la veille, la population à prendre les armes et à former des «unités de volontaires pour combattre les terroristes», ce qui représente une légitimation de milices sectaires qui reçoivent leurs ordres des autorités religieuses et des dirigeants iraniens et rappellent l'atmosphère de la guerre civile en 2005 qui avait laissé des milliers de morts, de blessés et de déplacés.
Frappes aériennes par des drones américains
M. Maliki s’est en même temps dit favorable à des frappes aériennes effectuées par des drones américains, une idée que Washington s’est empressé d’envisager en écartant toutefois tout envoi de troupes au sol irakien.Après le départ de leur dernier soldat d’Irak, le 31 décembre 2011, les Etats-Unis avaient en effet mis fin à leur engagement militaire dans ce pays, qui a duré huit ans.
Washington, qui avait auparavant dissous l'armée de Saddam Hussein, avait également opposé une fin de non recevoir à une demande de Bagdad de fourniture de drones aux forces irakiennes, formées et armées par les Etats-Unis à un coût de près de 25 milliards de dollars, mais qui ont visiblement fui devant les jihadistes.
«Nous nous battions contre des démons et pas des gens ordinaires», devait avouer un officier irakien après la déroute et les désertions en masse de l’armée irakienne en abandonnant aux assaillants un armement lourd, encore intact.
"La situation est très grave", admet la porte-parole du département d'État Jennifer Psaki, alors que le nouvel ambassadeur américain à Bagdad, Stuart Jones, juge que « l’EIIL constitue l'un des groupes terroristes les plus dangereux du monde".
Propulsés par l’aspiration à un Emirat islamique.
Depuis le lancement de «la conquête» de l’Irak, les ‘jihadistes’ sunnites de l’EIIL se sont emparés de Mossoul, la deuxième ville de pays, de sa province (Ninive), et de plusieurs secteurs dans deux provinces proches (Kirkouk et Salaheddine), majoritairement sunnites. Ils se sont aussi emparés de la ville de Tikrit, à 160 km au nord de Bagdad, et ont tenté, en vain, de prendre Samarra, à une centaine de kilomètres de la capitale.
Le choix de la prise de Mossoul n’est pas fortuit et témoigne d’une intelligence stratégique, étant donné que la province est toute proche des frontières syriennes, d’un côté mais surtout elle représente un accès facile à Kirkouk, riche en puits de pétrole.
En outre, les autorités irakiennes et le Pentagone accusent Ezzat Ibrahim Al-Douri, l’ancien vice-président du Conseil de commandement de la révolution (CCR), de coordonner les attaques en Irak.
L’homme, dont on avait plusieurs fois annoncé le décès dans le passé, a des liens tribaux et familiaux dans la région de Mossoul, entretient un vaste réseau de contacts avec d'anciens officiers de l'armée irakienne et des membres de groupes paramilitaires au service de l'ancien régime, mais surtout, est soutenu par l'Arabie saoudite, accusée ouvertement par Bagdad d’être le principal instigateur des troubles, et par des milliardaires du Golfe.
Après la prise spectaculaire de Mossoul, ils ont enchaîné ces dernières 48 heures, prenant coup sur coup des dizaines de villes et localités dans plusieurs provinces bordées de champs pétroliers, presque sans rencontrer la moindre résistance.
Parmi les prises symboliques, Al-Awja, le village natal de l’ex-président sunnite Saddam Hussein, renversé et exécuté après l'invasion américaine de 2003, et la ville de Tikrit (à 160 kilomètres de Bagdad), son ex-fief. C’est pourquoi, le premier geste symbolique a été de hisser le drapeau noir de l’EIIL au siège du gouvernement local.
Les ‘jihadistes’ ont tenté de prendre Baïji, où se trouve l'une des plus grandes raffineries du pays, mais se sont retirés à l'arrivée de renforts de l'armée. Ils n'ont pas non plus progressé vers le Kurdistan irakien, une région totalement autonome, sous le contrôle des Kurdes et des forces Peshmergas.
L’EIIL contrôle déjà depuis le début de l’année de larges secteurs de la province occidentale irakienne d'Al-Anbar, frontalière de la Syrie en guerre, où sont situées des villes comme qui comme Falloudja et Ramadi, dans la vallée de l'Euphrate.
Pour le moment, ils continuent leur avancée vers la capitale, après que le porte-parole de l'EIIL, Abou Mohammed al-Adnani, les eut exhortés mercredi, dans un enregistrement sonore traduit par le réseau américain de surveillance des sites islamistes SITE, à "marcher sur Bagdad", sur la voie de «la création d’un Emirat islamique».
http://www.youtube.com/watch?v=hLIAdj0kx0U
Le sort de Bagdad semble être scellé au profit de l’EIIL. Une éventuelle chute serait la quatrième de son histoire, après celle en 1258 sous l’armée mongole du chef Houlagou Khan, petit-fils de Gengis Khan, du temps où Bagdad était la capitale du califat qui recouvrait l'Irak et une partie de l'Iran d'aujourd'hui, celle en mars 1917, par les Britanniques durant la Première Guerre mondiale, et celle, le 9 avril 2003, par les troupes de la coalition menée par les Etats-Unis.
L’Iran: répéter le modèle syrien
Mais il ne faut pas compter sans la détermination de l’Iran à en découdre avec «les terroristes». «L’Iran va lutter contre la violence et le terrorisme des rebelles» en Irak, vient de jurer le président iranien, Hassan Rohani, sans toutefois donner de précisions sur le mode d’une éventuelle intervention pour soutenir son voisin.
Mais le général Qassem Soleimani, le commandant de la puissante élite des Gardiens de la révolution, appelée la Force Al-Qods, a clairement fait savoir que ses forces étaient «prêtes à répéter en Irak le modèle syrien», dans une allusion à la participation de cette force, considérée par Washington comme l'instrument de pointe de la politique étrangère iranienne, analogue à la CIA et aux Force spéciales américaines combinées.
Le général Soleimani a accusé, dans une déclaration reproduite par le site de la Force Al-Qods, «des pays dans la région (dans une allusion notamment à l’Arabie saoudite) de jouer avec le feu et de menacer la sécurité nationale» de l’Iran.
Entre temps, à Bagdad, des chiites stockent armes et munitions en prévision d'une bataille qui s’annonce imminente, les terroristes pouvant entrer à tout moment.
Cependant, le Parlement irakien ne semble pas pressé de décréter l'état d'urgence dans le pays. Faute de quorum, il n’a pas pu se réunir jeudi.
Habib Trabelsi