Pourquoi tiennent-ils à ce que les législatives précèdent la présidentielle?
Le parti Ennahadha a gagné donc son pari en obtenant que les élections se tiennent selon l’ordre qu’il a défendu, les législatives avant la présidentielle. Après avoir préconisé la concomitance des deux scrutins, le mouvement islamiste a mis tout son poids pour que les élections du nouveau parlement se tiennent en premier. C’est par calcul politique, a reconnu le dirigeant du parti Ameur Larayedh sur une radio privée , tout en estimant normal pour ne pas dire légitime que chacun se détermine en fonction ce qu’il croit être son intérêt.
Régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire ?
Pourquoi Ennahdha tient-il à cet ordre ? D’abord pour une raison stratégique. En inscrivant dans la Constitution que le président de la république soit élu au scrutin universel, contre l’avis des islamistes, certains partis voulaient donner la prééminence à cette fonction. Ils ont parlé alors d’un régime semi-présidentiel parce que le chef de l’Etat partage avec le chef du gouvernement le pouvoir exécutif. Bien évidemment cela n’est pas ce que veut le parti islamiste. Pour lui, le président de la république ne dispose que de pouvoirs honorifiques et le véritable chef de l’exécutif est bien le chef du gouvernement. Cette prééminence, il a voulu qu’elle soit marquée dans les faits et c’est pour cela qu’il a défendu bec et ongles que les législatives se tiennent avant la présidentielle. Pour lui, nous sommes dans un régime semi-parlementaire. Nuance.
La deuxième raison et non des moindres, c’est qu’il estime avoir peu de chances dans un scrutin où le candidat se présente intuitu personae, dans un rapport direct avec les électeurs sans nécessairement passer par un parti politique. Comme son chef, Rached Ghannouchi n’a jamais montré le moindre intérêt pour la fonction pour des raisons personnelles et politiques, tous ses lieutenants ne sont pas en mesure de triompher surtout après l’expérience du pouvoir entre fin 2011 et début 2014 qui s’était révélée catastrophique. C’est ce qui explique les atermoiements du parti islamiste à présenter un candidat ou pas malgré l’intérêt manifesté par son secrétaire général démissionnaire Hamadi Jébali au poste. En revenant sur les devants de la scène Ali Larayedh l’ancien chef du gouvernement et secrétaire général adjoint du mouvement paraît aussi dans les strating-blocks, tout prêt à y aller. Si Ennahdha a tout fait pour que le scrutin présidentiel n’ait pas lieu en premier c’est parce qu’il estimait avoir peu de chances de voir son candidat qualifié au second tour, ce qui aurait pour conséquence d’amoindrir son score aux législatives qui suivaient, du fait qu’un résultat médiocre serait pénalisant pour lui. Dans les élections à deux scrutins différents, le vote du premier détermine très largement le second, les électeurs donnant naturellement une prime significative au vainqueur du premier vote. Ce cas de figure, le mouvement Ennahdah voulait l’éviter à tout prix.
Pour préserver ses chances
La troisième raison c’est que les législatives offrent à chaque parti politique la possibilité de mesurer son audience réelle auprès de l’électorat. De plus, le système de scrutin de liste aux plus grands restes donne une prime aux grands partis, puisque le taux obtenu au scrutin est majoré au niveau de la répartition des sièges comme cela a été le cas au cours des élections du 23 octobre 2013 quand Ennahdha a obtenu 37% des suffrages exprimés, tout en raflant 41,5% des sièges. En donnant la primauté aux législatives, il préserve ses chances, car il peut compter sur le noyau dur de son électorat auquel viendront s’agréger des sympathisants. En tout cas, il ne verra pas une partie de ses votants potentiels aller voir ailleurs car ils ne pourront qu’être déçus par le résultat médiocre du candidat présenté ou soutenu par les islamistes dont les chances sont minimes de pouvoir se qualifier au second tour et encore moins vaincre au cours de ce dernier.
De fait, la présidentielle, parce qu’elle s’achève par le triomphe d’un seul candidat crée en faveur du parti du gagnant une dynamique de victoire irrésistible. Les islamistes ne pourront qu’être défavorisés si la présidentielle précède la législative.
Mais la raison principale reste qu’Ennahdha en faisant durer l’incertitude quant à ses intentions sur le scrutin présidentiel entre présentation de candidat ou pas, soutien d’un candidat en dehors de son camp ou pas, poussera les partis qui ont un candidat potentiel ou déclaré et qui s’estiment en droit de s’attendre à ce qu’il soit appuyé par les islamistes d’avoir une position nuancée en tout cas pas franchement hostile vis-à-vis de ces derniers, ce qui est de nature à accroître leurs chances. De même, le parti islamiste se donne le temps de nouer des alliances avec les autres partis sans que cela soit pollué voire même parasité par les résultats d’un scrutin, qui ne lui soit pas forcément favorable. Ennahdha sera en mesure aussi de négocier tranquillement le report de ses voix au second tour de la présidentielle sans avoir à devoir rendre la monnaie de sa pièce si ce scrutin devait se dérouler en premier. En lançant un appel de recherche à un «candidat consensuel» à la présidentielle comme ils l’ont fait en fin de semaine dans leur Majless Choura, les nahdhaouis jettent un pavé dans la mare pour brouiller les cartes.Les Néjib Chebbi ou ses anciens alliés de la Troïka, Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaafar doivent se lécher les babines. BCE n’est pas loin d’être visé lui aussi. Cette manœuvre aurait pour but de neutraliser un poste dont ils voient qu’il est, pour eux, porteur de tous les dangers.
Quand bien même les différents sondages donneraient Nidaa Tounés et son chef Béji Caïd Essebsi favoris des deux scrutins, il reste une inconnue dont il faudrait mesurer les effets. Le système de scrutin choisi ne permet à aucun parti, sauf miracle d’obtenir la majorité absolue des sièges à la prochaine assemblée. Mais si jamais le miracle se réalise et que Nidaa gagne 50% des sièges +1, ce sera incontestablement, une merveilleuse rampe de lancement pour un triomphe sans ambages à la présidentielle suivante sans peut être recourir au second tour. De la même manière au cas où les législatives donnent lieu, en revanche, à un émiettement de l’électorat avec des taux bas et rapprochés entre plusieurs partis Ennahdha verra aussi tous ses calculs tomber à l’eau.
Ce n’est pas uniquement le parti islamiste qui était favorable à la tenue des élections législatives en premier. Toutes les formations qui n’ont pas de candidat crédible à l’élection présidentielle sont dans ce cas. Certains ont été même pris en flagrant délit de changement de position pour cette raison.
C’est le cas notamment du parti Massar (ex-Attajdid). Manquant de solidarité envers son allié de l’Union pour la Tunisie, Nidaa Tounés, il a reçu très vite un camouflet de celui-ci lorsque son Conseil national a décidé de participer aux élections législatives sous sa bannière. Exit donc aux listes UPT hors desquelles les ex-communistes n’ont que peu de chances d’avoir des élus. Le Front populaire a volé en éclat sur cette question. Le parti des travailleurs de Hamma Hammami était pour la présidentielle en premier alors que le parti Watad a voté contre cette éventualité. Le parti Afek Tounés qui a annoncé qu’il ne participait pas à la dernière réunion du dialogue national a été appelé à la rescousse pour compléter les deux tiers, le seuil indispensable fixé. Al-Joumhouri pourtant chaud partisan de la primauté à l’élection présidentielle a adopté un profil bas en acceptant la décision arrêtée pour ne pas effaroucher les islamistes dont il attend qu’ils soutiennent son candidat naturel Ahmed Néjib Chebbi qui ne cesse d’adresser des messages à Ennahdha en ce sens.
En tout état de cause, en gagnant le pari de l’ordre des élections, Ennahdha prend une longueur d’avance, du moins au plan moral, sur ses concurrents d’autant qu’il a tout fait pour aligner la majorité d’entre eux à ses vues. Attendons les élections législatives et présidentielles pour voir s’il a vu vraiment juste.
R.B.R