Honorons l'esprit d'Eya, victime d'une barbarie qui nous guette!
Mercredi, 4 juin, à la Cité Ibn Khaldoun, un père a brûlé sa fille, Eya, 13 ans. Quel fut donc le crime de la pauvre enfant? Celui d'être rentrée de l’école avec un camarade de classe de son âge. Influencé par les prêches de ces religieux fous qui voient le mal partout, le père s’est senti déshonoré et l’a aspergée d’essence, mettant le feu au corps de l’enfant qui en est morte dans d’atroces conditions.
Si les réactions n’ont pas tardé à submerger les réseaux sociaux et les médias, ce fut pratiquement un honteux silence total dans les médias nationaux. Certes, des activistes tunisiennes ont sauvé l’honneur du pays en évoquant le cas; mais leur voix sont restées quasiment inaudibles dans le comédie qu’on nous joue des élections. Car on ne parlait que d'élections et de la nécessité d'un respect purement formel de la constitution.
Quelques jours après le décès de la martyre de l’obscurantisme, ces femmes dont la Tunisie s’honorent, ont redonné de la voix et ont appelé à une marche blanche silencieuse, jeudi 19 juin. Devant relier la Place des Droits de l’Homme à Tunis au ministère de la Femme, cette marche vise à mobiliser la société civile et les partis politiques étrangement silencieux.
Les vrais responsables
Il est inadmissible qu’on fasse plus de cas de ce prétendu acquis de la révolution que sont censées être les élections législatives tout en se taisant dans le même temps sur cette gangrène qui rend malades les cerveaux de nombre de nos concitoyens influençables du fait de la propagande haineuse de certains politicens et de leurs relais dans la société, surtout chez les intégristes religieux. Ce sont eux les vrais responsables de la mort d’Eya et de toutes les victimes innocentes des violences physiques et religieuses qui se sont multipliées impuément dans le pays au nom de la religion.
Qu’on le dise donc et qu’on le répète haut et fort: ce n’est pas le père d’Eya qui a tué son enfant ! Ce sont les politiciens de la haine et des appels au meurtre, ces membres de partis qui n’ont pour programme politique que le mépris de la vie de ceux qui ne leur ressemblent pas dans leur conception caricaturale et faussée de la religion.
Ce n’est point que la main du père d’Eya qui a mis le feu dans son corps innocent! Les vrais responsables sont les intégristes des partis et leurs sympathisants censés porter la parole divine et qui tiennent en toute impunité des exhortations au meurtre qui devarient être poursuivis en justice tout autant sinon plus que le père d’Eya. Ce sont eux les vrais couables, lui n'étant que l'instrument de leur crime, non pas le cerveau!
Car le père d’Eya n’aurait jamais osé son horrible forfait s’il ne s’était pas senti légitimé dans son acte par ce qu’il a entendu et entend autour de lui le confortant dans son terrible forfait.
C’est à ces gens-là violant par leurs harangues criminelles la loi et la constitution que la justce — si elle est véritabement indépendante — doit demander en premier des comptes.
C’est aussi aux politiciens démocrates ou supposés l’être, les prétendus défenseurs des droits de l’Homme? de sortir de leur léthargie mortelle pour faire de cet hommage à l’âme martyrisée d’Eya une journée de réveil de la conscience morale démocrate en Tunisie.
On doit se persuader que tant que la constitution n’a pas été mises en oeuvre, tant que les droits nouvellemnt consacrés ne sont pas intégrés dans le droit positif du pays — qui utilise toujours l’arsenal répressif de la dictature —, il n’y aura point d’État de droit en Tunisie ni de démocratie à plus forte raison.
L'État de droit avant les élections
Ce ne sont pas des élections qui feront entrer la Tunisie en démocratie; ce sont les acquis de la constitution en termes de libertés et de droits qui sont de nature à le permettre. Or, ceux-ci sont encore lettre morte, et il y a de fortes chances qu’ils le restent si rien n’est fait avant la sortie de l’état provisore actuel.
Alors, réveillez-vous, démocrates et droit-de-l’hommistes de Tunisie; que le martyre d’Eya serve au moins à quelque chose ! Rappelez-vous que ce n’est pas la mascarade qui s’nnonce des élections législatives qui sauvera le pays; elles se feront dans le désintérêt généralisé de la population et ouvriront une voie royale au retour de la dictature au nom de la nécessaire autorité de l’État redevenu un Léviathan.
Qu’on ose donc suspendre tout le processus électoral au nom de l’âme d’Eya et de toutes les Eya qui seront demain les nouvelles victimes de l’horreur qui se profile à l’horizon. Rappelons-nous que la Tunisie, tant que le droit n’y sera pas érigé en protecteur des libertés des citoyens — ce qui n’est point le cas aujourd’hui — sera tout près de l’horreur; des élections tenues dans ces conditions viendront l’y précipiter.
Que les véritables démocrates de ce pays se rappellent avec quelle facilité l’horreur a pris place en Europe à la suite d’élections régulières en Allemagne ou au lendemain d’une Révolution remarquable en France ! Qu’ils méditent comment l’un des peuples européens les plus civilisés, berceau d’une part éminente de sa culture, ayant produit Goethe, Schiller, Bach, Beethoven, Einstein, Weber et Hölderlin s’est abandonné à la faveur d’élections purement formelles au système simpliste et criminel du nazisme ! Comment les idéaux humanistes de la Révolution française ont accouché la Terreur révolutionnaire ou la barbarie napoléonienne selon l'expression de Germaine de Staël!
Il est impératif de résister à l’adhésion quasi religieuse à laquelle on assiste actuellement dans le pays, consistant à respecter formellement la constitution en tenant les élections avant la fin de l’année. Il est encore temps de tout arrêter et de n’avoir en vue que l’impérative mission quasiment sacrée de mettre en oeuvre au plus tôt les acquis de la nouvelles constitution, ce qui reviendra à la respecter matérellement et non simplement formellement.
Ce ne sera qu’après avoir érigé ce socle nécessaire à l’État de droit — et après seulement — qu’on pourra envisager sereinement et honnêtement des élections susceptibles d'être sincères et salutaires. À ce moment-là, quel que soit le vainqueur, il sera moins libre de muer en dictateur, ayant des lois justes à respecter et non point le pouvoir sous l’empire des lois liberticides actuelles qu’il se hâtera de confirmer et d’en alourdir la scélératesse.
C’est le message à tous les démocrate de l’esprit d’Eya, en ce jour de honte dans ce pays. Honorons donc l’esprit de l’enfant martyre par un tel sursaut de nos consciences!
Farhat Othman