L' impact de l'article 13 de la constitution sur le secteur pétrolier : les mesures à prendre dans l'immédiat et après les élections
«Les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien. La souveraineté de l’État sur ces ressources est exercée en son nom.
Les contrats d’investissement relatifs à ces ressources sont soumis à la commission spécialisée au sein de l'Assemblée des représentants du peuple. Les conventions ratifiées au sujet de ces ressources sont soumises à l’Assemblée pour approbation».
Telles sont les dispositions de l’Article 13 de la Constitution tunisienne adoptées par la quasi-totalité des députés de l’ANC.
Dans cet alinéa premier, il est question de souveraineté du peuple sur ses ressources naturelles dans une acception large: fossiles, renouvelables, hydriques, sel, etc. ainsi que sur tout le territoire national : aérien, marin et terrestre. Force est de constater que le choix du constituant tunisien est moins étendu que son homologue algérien qui intègre les ressources naturelles dans la propriété publique en tant que bien de la collectivité nationale.? Elle comprend le sous-sol, les mines et les carrières, les sources naturelles d'énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes des différentes zones du domaine maritime national, les eaux et les forêts.?Elle est, en outre, établie sur les transports ferroviaires, maritimes et aériens, les postes et les télécommunications, ainsi que sur d'autres biens fixés par la loi.
On va limiter notre analyse aux ressources pétrolières et gazières et ce, en raison de leur importance géopolitique et la situation actuelle de l’économie tunisienne en crise ainsi qu’en raison de l’actualité des refus consécutifs des dossiers remis par l’administration à la Commission de l’Energie de L’ANC et les rapports alarmants de la cour des comptes sur les irrégularitéscommises avant la révolution dans des dossiers de permis d’exploration et exploitation pétrolières; les cris d’alarme des sociétés multinationales menaçant de quitter la Tunisie donnent plus d’importance à cette question.
Notre propos est d’analyser cette épineuse situation et suggérer quelques pistes pour un dépassement de cette crise et ce, aussi bien dans l’immédiat, pour les cas de refus des dossiers, dans la mesure où tout problème exceptionnel requiert une solution d’exception. Sur le long terme, une restructuration du secteur pétrolier est inéluctable.
De prime abord, les dispositions de cet article de la Constitution paraissent plus que légitimes dans une Tunisie post révolution, le peuple tunisien s’étant vu priver d’un droit universel et fondamental comme la souveraineté permanente sur les richesses et ressources naturelles, - principe consacré par la Résolution No 1803 de l’Assemblée Générale des Nations Unies- en constitue la pierre angulaire.
Si la noblesse des finalités recherchées à travers l’adoption de cet Article 13 par nos députés mérite d’être saluée, il n’en reste pas moins que sur le fond, les dispositions de cet article recèlent une multitude d’interprétations possibles et donc une situation de flou risque de planer sur ce nouveau droit.
Ainsi, les contours de cet article doivent être analysés avec le plus grand soin afin de lever le voile sur les risques d’une mise en œuvre rigoriste de telles dispositions de nature à instaurer une crise de confiance non seulement entre l’administration ou le pouvoir exécutif, et l’Assemblée du Peuple actuellement et après les élections,mais également entre la Tunisie en tant qu’Etat d’Accueil et les investisseurs pétroliers étrangers.
Une grande attention doit être ainsi accordée aux moyens de mise en œuvre de cet article dont la mauvaise application serait de nature à créer de véritables crises qu’il convient d’éviter dans une Tunisie en phase de transition avec une situation économique fragile et des ressources pétrolières faibles nécessitant d’être mieux valorisées.
1. Une application conservatrice et dogmatique du principe de la souveraineté de l’Etat sur ses ressources naturelles risque de mettre en danger le droit de propriété de l’investissement des sociétés pétrolières étrangères tunisiennes
Durant cette période transitoire et dans l’attente de la promulgation d’une loi d’application appropriée afin de prévoir les modalités d’exécution de l’article 13 de la Constitution, dans le cadre de ses fonctions attribuées en vertu de l’Article 13, la Commission de l’Energie rattachée à l’ANC procède actuellement à des audits détaillés des contrats d’investissements conclus dans le passé entre l’Etat et les investisseurs pétroliers dont le renouvellement a été refusé ainsi que le gel du Comité Consultatif des Hydrocarbures pour des raisons incompréhensibles.
L’étude de ces dossiers par l’ANC s’est caractérisée par une grande influence exercée par des associations de la société civile relevant des domaines de la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption ainsi que par certains membres de l’ANC appuyés par des experts particulièrement à cheval sur les principes de la révolution. Cette ambiance a mené l’ANC à recourir à la doctrine de la souveraineté citée dans la résolution No 1803 de l’assemblée générale des Nations Unies du 18 décembre 1962 et dans l’article 13 qui, à la seule mention de ce droit, était susceptible de privilégier la théorie du complot, aux yeux des États capitalistes et de ses lobby pétroliers.
Cette ambiance a été accentuée par l’évocation de certaines affaires de corruption (avérées ou non, c’est à la justice uniquement qu’il incombe de trancher) qui ont fait couler beaucoup d’encre dans les médias avec effet boule de neige.
Cette atmosphère que nous espérons temporaire risque d’engendrer une application conservatrice et dogmatique irrémédiable de l’Article 13 , affectant ainsi les droits acquis des sociétés pétrolières tunisiennes et étrangères sans leur consentement.
Dans le cadre de l’examen par la Commission de l’Energie des demandes de prolongation de permis de recherches et d’exploitation se sont déjà soldées par un avis défavorable.
Bien que cet avis se respecte tant au niveau de la majorité qu’il a recueillie sur le plan des votes qu’au niveau de la démarche méthodique et transparente ayant motivé les résultats de ce vote (rapport motivé de la Cour des Comptes et des juges), il n’en demeure pas moins selon le règlement intérieur de l’ANC un avis consultatif destiné à être tranché en séance plénière de l’Assemblée qui sera devenue souveraine.
Les avis actuels de la Commission de l’Energie sur ces dossiers, bien que défendables et motivés, doivent toutefois prendre en compte l’intérêt national qui exige d’éviter une démarche aussi stricte et dogmatique (en dépit de sa légitimité) par la Commission de l’Energie car cela risque de qualifier ses décisions en une expropriation indirecte de l’Etat qui, en cas de litige international avec un investisseur étranger, devra faire face à un arsenal de responsabilités et d’obligations d’indemnisations très couteuses pour l’Etat, sans compter le risque de perte de crédit auprès des investisseurs entachant l’image de la Tunisie au niveau international.
Aussi, en cas d’expropriation indirecte à la suite de la déchéance des permis par l’ANC, une remise sur le marché d’appel d’offres en « open block » de ces permis et leur retour dans le domaine privé de l’Etat, ceci prendra un temps considérable et des procédures complexes sans compter qu’entre temps, les opérateurs tunisiens et étrangers seraient réticents à investir dans le secteur au vu des précédents nés d’une mise en œuvre dogmatique de l’Article 13.
Afin d’éviter des conséquences aussi lourdes, la Commission d’Energie gagnerait, à demander à ces sociétés par l’intermédiaire du Ministère de l’Industrie de régulariser les infractions dans leurs dossiers. Une commission d’urgence composée des représentants des investisseurs, de l’administration, des membres de la Commission et des experts serait en charge de trouver des alternatives destinées à dépasser les différends afin d’arriver à un arrangement négocié assorti d’un délai raisonnable et revêtant un caractère définitif et légal et ce, compte bien tenu de l’intérêt national.
Le compromis serait enfin inclus dans le rapport de la Commission d’Energie à soumettre avec des avis favorables aux votes de la plénière.
En adoptant cette démarche, la Commission d’Energie aura eu le double mérite historique d’avoir imposes l’article 13 et montré sa bonne interprétation au prochain Parlement et donné le « bon exemple » à l’administration en la responsabilisant vis- à- vis des erreurs passées.
Si les fautes, lacunes ou violations s’avèrent justifiées de la part de quelque responsable sous l’ancien regime sur ces dossiers, ces derniers devront faire l’objet de sanctions (administratives ou judiciaires) conformément à la loi.
En tout état de cause, la bonne application de l’art 13 ne doit pas se tromper de cibleet devraientessentiellement viserla responsabilisation de l’administration sous l’ancien régime à savoir la bonne gouvernance du secteur public et non une entrave aux investisseurs étrangers et éviter absolument la prise en otage des investisseurs, surtout étrangers, dans un différend tuniso-tunisien qui ne les concerne aucunement.
2. L’Etat en tant que mandataire du peuple et gestionnaire pour son compte des richesses et ressources naturelles
Aux termes de l’Article 13 de la Constitution, la souveraineté permanente du peuple sur ses richesses et ressources naturelles s’exprime par le biais des membres élus à l’ANC et prochainement après les élections par l’Assemblée du Peuple, tandis que le pouvoir exécutif, exercerait un rôle de gouvernance et de gestion de ces ressources au nom et pour le compte du peuple.
Alors que sous l’ancien régime, depuis la promulgation du Code des Hydrocarbures en 1999, les contrats attribuant les titres pétroliers étaient négociés et approuvés par l’administration (Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières, Direction Générale de l’Energie) et validés par un simple décret du Ministre de l’Industrie.
Les procédures étaient certes simplifiées sous le Code des Hydrocarbures mais éliminaient tout droit de regard du peuple à travers ses élus sous l’ancien régime contrairement à l’ L’Article 13 qui garantit un tel droit.
Cependant, il faudra de toute urgence prévoir une loi d’application de cet article 13 qui viendra spécifier les rôles des différentes instances parlementaires et gouvernementales afin d’assurer un mécanisme cohérent de gouvernance, de gestion et de contrôle des ressources naturelles d’une part, et contribuer au développement du secteur pétrolier et minier par la consolidation et le développement des investissements étrangers d’autre part.
En effet, un pays aspirant au développement dans une phase de transition aussi sensible que la nôtre doit absolument avoir la confiance des investisseurs étrangers en livrant les bons messages à l’échelle internationale (Etat de droit, institutions fortes, cohérentes et stables) et favoriser également un bon environnement d’investissement pour les opérateurs privés tunisiens soit en tant qu’opérateurs à part entière ou dans le cadre de contrat de partenariat (type PPP, ou en pool avec des opérateurs étrangers).
Avec l’adoption de l’Article 13 al 2 de la Constitution, les conventions portant sur les ressources naturelles devront être soumises pour approbation de l’Assemblée Nationale Constituante/Assemblée des représentants du Peuple.
Ainsi, en vue de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles ci-dessus, l’ancienne procédure instaurée par le Code des Hydrocarbures (encore en vigueur) devra être réformée par une nouvelle loi d’application visant à ériger le Ministère de l’Industrie en mandataire de l’Assemblée Nationale Constituante/Assemblée des Représentants du Peuple tout en attribuant en même temps la possibilité pour ladite Assemblée à travers la Commission d’Energie d’être considérée comme partieprenante dans les procédures de négociation des conventions relatives aux ressources naturelles afin d’éviter un éventuel blocage comme nous le constatons avec regret aujourd’hui.
La nouvelle procédure votée de bonne foi par les députés vise à assurer un contrôle parlementaire sur la gestion des ressources nationales et constitue à notre avis un excellent mécanisme contribuant à la bonne gouvernance et à la transparence du secteur.
Il n’en reste pas moins que les actions de la multitude d’intervenants dans cette nouvelle procédure relevant de la branche exécutive (Ministère de l’Industrie, Direction Générale de l’Energie, Comité Consultatif des Hydrocarbures) et parlementaire (Assemblée Nationale Constituante/Assemblée du Peuple, Commission d’Energie) devront être parfaitement synchroniséesafin d’éviter de se diluer, en se perdant dans un labyrinthe décisionnel complexe et lourd de conséquences d’un point de vue économique. A cela s’ajoute la question de politique intérieure et extérieure par la soumission des investisseurs tunisiens et étrangers aux aléas d’une mauvaise coordination entre les pouvoirs.
Afin d’éviter ce genre de complexités, on peut concevoir une alternative inspirée de l’expérience Algérienne par l’institution d’une nouvelle instanceà l’instar de l’Agence Nationale pour la Valorisation des Ressources en Hydrocarbures « ALNAFT » en Algérie.
Le modèle tunisien de cette nouvelle instance partirait d’une volonté politique consensuelle visant à consacrer le principe de séparation du rôle de l’Etat en tant que propriétaire du domaine public minier et d’hydrocarbures, de promoteur des investissements et de protecteur de l’intérêt général, de celui de l’Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières (ETAP) dont le rôle se limiterait à celui d’opérateur économique et commercial chargé de la création et valorisation des richesses.
On pourrait envisager que le « Board » de cette nouvelle instance comprenne également des représentants élus du peuple. Cette composition devant garantir une représentation proportionnelle et une alternance régulière.
Cette instance étant en charge de la gestion des conventions d’investissements pétroliers et miniers évitera que ces contrats pourtant validés et signés par l’Etat soient rejetés en fin de processus par le Parlement.
De même, pendant cette période de transition, et afin de ne pas paralyser le processus d’approbation des dossiers en cours et debloquer les chantiers , pourquoi n’envisagerait on pas d’urgence et dans l’interet nationale , que certains membres de la commission d’Energie (rattachée à l’Assemblée Nationale Constituante) fassent partie du Comité Consultatif des Hydrocarbures (CCH) en vue de tenir sa réunion dans l’immédiat de les impliquer afin de trancher les dossiers des compagnies pétrolières en attente de décision depuis décembre 2013 ? La non tenue à ce jour de la réunion du CCH est l’une des raisons essentielles de blocages des chantiers pétroliersen Tunisie et la baisse de la production de pétrole, pour n’atteindre, que 59 000 barils par jour alors qu’elle était d’environ 115 mille barils.
Quelque soient les alternatives qui seraient adoptées au final, toutes propositions ayant pour but d’assurer une bonne mise en œuvre de l’Article 13 de la Constitution tout en instaurant un climat de confiance entre les différents protagonistes du secteur, y compris les investisseurs étrangers, seraient les bienvenues.
Cet article 13 de la nouvelle Constitution nous offre l’exemple de ce que devraient être dans une Tunisie post révolutionnaire, le bon équilibre entre le pouvoir executif et le pouvoirlegislatif pour la sauvegarde de l’intérêt national et la bonne gouvernance .
Me Samir Abdelli,
Avocat a la cour de cassation
Member ofThe Association of International PetroleumNegotiators