3 000 jihadistes tunisiens en Syrie: Pourquoi sont-ils en tête?
Dans ce nouvel Afghanistan qu’est en train de devenir la Syrie, les Tunisiens viennent en tête des jihadistes étrangers enrôlés au sein de diverses factions, notamment Jabhat al Nosra. Selon le très sérieux The Soufian Group (TSG - USA), sur 12 000 jihadistes partis en Syrie durant les trois dernières années (soit plus que tous ceux qui étaient durant 10 ans en Afghanistan), et venant de 81 pays, les Tunisiens sont au nombre de 3 000, occupant le premier rang. Ils sont suivis par les Saoudiens (2 500) et les Marocains (1 500), les Algériens n’étant qu’au nombre de 200. En comptabilisant ceux qui viennent de pays occidentaux (Europe, Etats-Unis, etc.), on se retrouve avec 12 000 combattants.
Les trois groupes qui attirent le plus les jihadistes étrangers sont Ahrar al-Sham, Jabhat al-Nosra et Etat Islamique en Irak et au Levant (EILL – Daech), tous fondés par des membres d’Al-Qaïda. TSG souligne que nombre de ces jihadistes pourraient revenir ne serait-ce qu’en petit nombre dans leur pays d’origine et commettraient alors de redoutables actes terroristes, comme ce fut le cas à Bruxelles en mai dernier. La facilité d’accès aux réseaux sociaux et l’interconnexion entre les jihadiste accroît leur capacité de prosélytisme et de recrutement. Les moyens dont disposent nombre de pays concernés restent cependant insuffisants pour assurer le suivi de tous ces éléments et prendre en charge ceux qui reviennent de ces zones.
Endoctrinement et radicalisation
L’engouement des jeunes tunisiens pour le départ au jihad en Syrie trouve son explication dans plusieurs facteurs socioéconomiques et idéologiques. Les fortes campagnes d’endoctrinement propagées dans les mosquées, accompagnées de mirobolantes incitations et relayées par des réseaux de prise en charge, ont longtemps fonctionné librement sans la moindre mise en garde de la part des autorités. Visant des jeunes fragilisés par l’échec scolaire, le chômage, l’obstruction des perspectives, la complexité des relations familiales et le questionnement identitaire et religieux, elles ont réussi à faire partir des milliers de jeunes, voire des couples, vers la Syrie. Il aura fallu de multiples alertes de la part de la société civile et des familles concernées pour que le gouvernement d’Ali Laarayedh mette en place un dispositif d’interdiction de voyage, sans pour autant réussir à décapiter totalement les réseaux de recruteurs.
Différentes filières sont empruntées. Le premier pays a été la Libye où des centres d’accueil et d’initiation ont été ouverts, notamment par Ansar al Shariaa de Libye. Cette première base se charge de l’affectation des recrues dans différents pays, y compris la Tunisie. Le deuxième chemin suivi est surtout celui de la Turquie où des réseaux structurés accueillent les nouveaux arrivants et les dirigent vers la frontière syrienne.
Selon des témoignages recueillis par les services de sécurité occidentaux auprès de jihadistes de retour dans leur pays, les Tunisiens jouent un rôle important en tant qu’instructeurs pour les nouvelles recrues francophones. Leur maîtrise des deux langues française et arabe en fait des interprètes bien indiqués, voire des coachs, pour les aider à bien s’intégrer mais aussi à faire venir leurs amis. En signe d’allégeance, chaque nouvelle recrue est tenue d’attirer cinq de ses meilleurs jeunes parents et amis.
Des ruptures identiques et une grande détresse des familles
Les témoignages se multiplient et se ressemblent presque tous. Séduits par les préceptes radicalistes et les idéaux de soutien à des frères pour libérer leurs pays, des jeunes rompent brutalement avec amis et familles et partent sans donner d’information pour se manifester quelques semaines plus tard par SMS, appel téléphonique ou sur les réseaux sociaux. Les messages sont identiques : ils s’accomplissent dans leur croyance et invitent les leurs à les rejoindre. En appui à leurs propos, ils postent des photos et vidéos alléchantes, décrivant des ambiances de fraternisation d’armes et des scènes héroïques. Besoin de s’affirmer, de s’afficher, de devenir héros et de se faire connaître: sociologues et psychologues multiplient les analyses.
La détresse des familles est immense. Comment peuvent-elles d’abord sortir leurs enfants de ce guêpier et les récupérer ensuite? Difficile, sinon impossible. A qui s’adresser? Comment procéder? Puis, si par chance, elles réussissent à les faire revenir, que doivent-elles faire pour les réinsérer dans la société et les immuniser contre toute récidive?
Des expériences sont menées ici et là: centre d’accueil et d’écoute des familles en France, programme Channel mis en place en Grande-Bretagne depuis les attentats de 2005, et autres. Confrontée à cette épineuse question du départ des jihadistes, la Tunisie renforce ces derniers mois son dispositif de contrôle par la reprise en main de plus de 100 mosquées contrôlées par des salafistes, la surveillance des départs vers certaines destinations et le démantèlement des réseaux de recrutement. Elle doit aussi gérer les retours et les prises en charge. Tout un programme à mettre en place efficacement.
Les combattants étrangers en Syrie
Tunisie | 3000 |
Arabie Saoudite | 2500 |
Maroc | 1500 |
Russie | 800 |
Turquie | 400 |
Australie | 250 |
Algérie | 200 |
Kosovo | 120 |
Etats-Unis | 70 |
Indonésie | 30 à 60 |
Canada | 30 |
Source: The Soufian Group, juin 2014