News - 14.07.2014

Elections : La stratégie gagnante d'Ennahdha, mais…

L’année dernière, pendant la trêve des confiseurs et alors que tout le monde s’apprêtait à fêter le nouvel an 2014 que fait Ennahdha ? Tenez-vous bien, il réunissait à Hammamet ses cadres chargés des élections. En conclave pendant deux jours les 28 et 29 décembre 2013, les responsables des élections au sein du parti islamiste mettaient au point la stratégie idoine pour assurer la victoire  de leur mouvement  aux consultations électorales. Encore hypothétiques. Car on était à moins d’un mois de l’adoption de la Constitution qui n’aura lieu que le 26 janvier 2014. On était même en plein débat et rien n’était encore à l’horizon, ni le meilleur ni le pire. C’est au cours de cette réunion qu’un document appelé «guide de la préparation des  élections» était distribué et devait servir de base à la discussion.

Les élections avant la fin de l’année?!

Le document en soi  n’avait rien d’extraordinaire et n’aurait suscité que peu d’intérêt en temps normal. Car les partis sont faits pour concourir aux élections et à l’occasion  les gagner. Son intérêt, c’est qu’il ait été édité alors que rien n’indiquait que les élections allaient avoir lieu. Ni quand ni comment. Pourtant curiosité, le document prend comme hypothèse de travail  que ces élections se tiendront avant la fin de l’année 2014. Prémonition ou calcul ? Comme rien n’est innocent au sein d’un parti qui calcule tout, c’est la seconde thèse qui devrait être considérée. Car la Constitution adoptée un mois plus tard devait inscrire dans ses dispositions transitoires que «les élections présidentielles et législatives sont tenues dans une période commençant 4 mois après la mise en place de l’ISIE, sans que cela ne dépasse dans tous les cas, la fin de l’année 2014».

Dans cet article fourre-tout où différentes dispositions techniques étaient arrêtées en attendant la mise en place des institutions permanentes, cette précision n’avait rien d’étonnant. Elle était même bienvenue tant on désespérait de voir les élections se tenir un jour. En tout cas,  personne n’a relevé le piège car cette précision anodine au départ devait se révéler d’une importance capitale et c’est de là qu’a commencé la mise en œuvre de la «stratégie gagnante» d’Ennahdha, car et le détail n’est pas non plus anodin, le slogan sous lequel s’est tenue la réunion de Hammamet était «les élections sont  une échéance, la victoire une volonté». A méditer.

Ecarté d’un revers de main

L’importance du document c’est qu’au cours d’une émission de télévision alors qu’un député de l’opposition l’a exhibé devant Rached Ghannouchi, ce dernier l’a écarté d’un revers de main, en affirmant sans sourciller qu’il ne s’agit pas d’un document officiel de son mouvement et qu’en tout cas il n’était pas informé de son existence. Il joue sur les mots. Même si on a peine à le croire, conscients que nous sommes qu’Ennahdha est un parti fortement hiérarchisé et qu’aucun document fut-il le plus futile ne devrait sortir s’il n’a pas reçu le blanc seing du chef suprême du mouvement.

Le document n’est pas surprenant mais son contenu l’est indubitablement. Dés le départ le ton est donné on y lit à la première page (le document en compte 15) : «Notre mouvement a besoin aujourd’hui  que le souci  électoral  soit présent  dans l’orientation de ses actions  et la définition de ses préoccupations».  Le but est aussi précisé sans détour : c’est la victoire dans les prochaines élections avec une majorité confortable. C’est écrit noir sur blanc et en gras s’il vous plait. Ce qui devrait «renforcer son rôle de leadership» dans le pays. On précise ce que l’on entend par majorité confortable c'est-à-dire gagner  avec au minimum 50% des suffrages. Rien de moins.

Ensuite on parle des fonctions liées aux élections allant de l’administration à la mobilisation, à la propagande, aux finances, à l’observation de la scène politique, à la  formation à l’élaboration du contenu de la campagne etc... Après avoir estimé que les élections auront lieu dans un délai ne dépassant pas la fin de l’année(sic), le document énumère les différentes commissions qui devraient être mises en place ? Pour mieux appréhender  le corps électoral, le pays est divisé en «huit districts». On envisage aussi la création d’une instance suprême de l’orientation appelée au niveau central à  prodiguer des conseils, à imprimer des orientations et à assurer la «maturation» des politiques (attractives) pour les électeurs.  On détaille ensuite les différentes fonctions en s’appesantissant sur la fonction «information et propagande».

Tout y est, de l’information populaire entendez les rencontres avec les électeurs potentiels, aux dépliants, affiches  et autres matériaux, au «marketing des candidats» ainsi qu’à la constitution d’un groupe pour l’information électronique. Une précision mérite d’être signalée, écrite sans détour :«agir en vue d’influencer  les organes d’information en concentrant la campagne sur l’identité arabo-musulmane du mouvement». On va encore davantage dans le détail on fixant aux membres du mouvement des objectifs chiffrés et de la manière la plus adéquate pour les atteindre y compris en recourant aux amis, à la famille et aux proches des électeurs potentiels dont on doit connaître les penchants.

Vers la fin du document, on n’oublie pas de consacrer un long paragraphe à la manière de «gagner les médias et la presse» à la cause du parti. On y lit : «construire d’excellents rapports avec les correspondants, les journalistes, les radios régionales, les chaines de télévision par l’intermédiaire d’un secrétaire de presse de la campagne et la mise en place d’une salle de médias destinée à élaborer les communiqués, à former les candidats pour les rendre  capables de répondre aux questions éventuelles des journalistes  et à soumettre ces mêmes candidats à une formation appropriée de nature à pouvoir assurer d’excellentes prestations à la télévision et à la radio». La conclusion remet à l’ouvrage la finalité qui est  la victoire «un chemin ardu» et qui ne peut être obtenue que par l’encadrement en fait le quadrillage des quartiers, des localités et des régions. Le document, comme il se doit, commence et se termine par des versets du Coran. Curiosité qui mérite d’être relevée. Celle de la conclusion nous rappelle la fin de tous les documents du défunt parti destourien : «Et dis:"Œuvrez, car Allah va voir votre œuvre, de même que Son messager et les croyants ". (Sourate Al-Tawbah- Le Repentir verset 105).

A la décharge du parti islamiste, pas un mot dans ce document ne fait une référence explicite aux mosquées. Prudence. Pas sûr car c’est dans le non dit qu’on la retrouve car où rencontrer des amis et les amis des amis et connaître leurs penchants sinon dans le lieu de prédilection pour un mouvement à l’identité bien connue sinon la mosquée.

Que de temps perdu

C’est donc bien avant les autres qu’Ennahdha a commencé à penser aux élections. Et à en faire le point focal de toutes ses activités. Malgré ses déboires, départ du gouvernement contraint et forcé, concessions en vue d’aboutir à une Constitution consensuelle, acceptation d’un gouvernement indépendant de compétences, il a maintenu le cap en s’offrant le luxe d’inscrire dans le Texte suprême la date butoir des élections qui n’était qu’une hypothèse d’école. Elu président de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) le 9 janvier 2014 l’universitaire spécialiste du droit constitutionnel Chafik Sarsar a toujours dit que plus long  est le temps qui restera à la tenue des élections  mieux ce sera pour lui et son institution. Mais c’est là que le bât blesse. Il a fallu trois mois après l’adoption de la Constitution pour que la loi électorale soit enfin adoptée le 1er mai 2014. Pourtant rien ne justifiait ce délai puisque les grandes lignes de cette loi particulièrement le système de vote avait fait l’objet d’un consensus. Il y a eu ensuite la séquence concomitance ou séparation des dates du scrutin  présidentiel et législatif. Encore 55 jours de perdus avant que l’ANC n’arrête le 25 juin les dates des deux scrutins.

Des dates séparées mais qui se chevauchent. Anticipant tout ce retard, l’ISIE fixait au 23 juin le début de la révision des listes électorales et donc l’inscription des électeurs potentiels qui n’ont pu le faire en 2011. On évaluait ceux qui manquaient à l’appel à plus de 4 millions soit la moitié du corps électoral. Un mois était imparti à cette tâche. Surtout pour un électorat désabusé, qui ne nourrissait plus de confiance envers la classe politique et ne lui accordait aucun crédit. Le terrorisme qui frappe, les difficultés de la vie quotidienne qui ronge le pouvoir d’achat, les tiraillements partisans ont fini par fatiguer une population qui avait mis tant d’espoirs dans la révolution. Ce sont surtout les jeunes qui font défection. A l’évidence ces élections ne font pas partie de leurs priorités.

A moins de dix jours de la fin du délai imparti aux nouvelles inscriptions, il n’y a eu qu’un peu plus de 200.000 nouveaux inscrits sur les 4.000.000 visés. Avec la meilleure volonté du monde on n’arrivera pas, loin s’en faut,  au million. C’est la raison du branle-bas de combat de l’autre grand parti de la scène politique Nidaa Tounés. N’ayant rien vu venir, il se rebiffe. Alors que quelques jours plus tôt, son président Béji Caïd Essebsi estimait dans une émission télévisée que devant ce calendrier électoral «on n’y pouvait rien», le voilà qu’il réclame la prorogation des délais d’inscription, quitte à revoir le calendrier,  trouvant que la date du 2ème tour de l’élection présidentielle était inadéquate car elle coïncidait  avec les fêtes de fin d’année. Un argument qui paraît léger car les fêtes de fin d'année ne concernent qu'une infime minorité en Tunisie, mais qui devient pertinent s'agissant   de nos expatriés qui représentent tout de même plus d'un million de personnes. Ceux qui ont vécu à l'étranger savent à quel point cette période est peu propice à des élections.

Un combat de titans

Bien conseillé,  le parti islamiste en maintenant sa mainmise sur l’Assemblée Constituante a su imposer aux autres sa stratégie. Une stratégie jusqu’ici  gagnante. Car tous les paris qu’il s’était fixé, il les a relevés haut la main. Il est certes conscient qu’il lui sera difficile de sortir vainqueur de ces élections. Sa gouvernance chaotique, l’incompétence avérée de ses cadres, leur inexpérience flagrante, cela il le sait bien. C'est pourquoi, il a décidé de se focaliser sur les législatives, convaincu que le parti qui contrôlera la prochaine assemblée sera le véritable maître du pays.  Ce qui ne veut pas dire qu'il s'est résolu à la victoire de BCE à la présidentielle. D'où cette idée  de président consensuel. L’hypothèse Kamel Morjane a été sortie du manche nahdhaoui pour enfoncer un coin les deux hommes l’un contre l’autre. Mais ce serait peine perdue. Morjane ayant affirmé dit qu’il ne se présenterait pas contre «Si Béji».

Nidaa Tounés veut de son côté par cette «théâtralisation» et les gesticulations de son président  reprendre la main sur la scène politique.
Un combat de titans.Certainement mais qui ne porte pas à conséquence. Selon toute vraisemblance, les deux formations réuniront sous leur égide les 2/3  des suffrages exprimés. Même s’ils ne le proclament pas encore, car chacun veut compter ses troupes, il y a tout lieu de croire qu’ils gouverneront ensemble au sein d’un gouvernement d’union nationale» avec le concours d’autres.

Raouf Ben Rejeb
 

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