Après les évènements du Chaambi : Le temps du soupçon
Le nouveau drame qui vient d'endeuiller le pays du côté du mont Chaambi met l'accent sur l'extrême gravité de la situation dans laquelle se trouve le pays. Et nos politiciens continuent de s'adonner aux délices de la politique politicienne comme si de rien n'était!
Le cancer terroriste est pourtant en train de ronger un pays dont on prétend soigner les maux avec des élections précipitées. Or, elles sont refusées par le peuple ayant noté l'absence flagrante des conditions minimales démocratiques nécessaires, à commencer par un scrutin mauvais et des structures d'une ISIE loin d'être au-dessus de tout soupçon, comme le montrent les opérations d'enregistrement sur les listes électorales.
Si la Tunisie souffre de plusieurs maux, le plus important est assurément le soupçon, cette conjecture quasiment fondée que notre pays n'a échappé des mains d'une maffia que pour tomber dans celles d'une pluralité de mafias. Et on connaît les ravages du soupçon; on sait à quel point il est difficile d'y remédier.
On est en un temps fait de soupçons terribles qui sont la cause et l'effet de la confusion explosive actuelle grosse de l'avortement de l'expérience espérée prometteuse de la transition démocratique.
Le drame survenu le 16 juillet ne fait qu'aggraver le plus fort de ces soupçons relatifs au terrorisme en Tunisie : qui sont ces bandits? de quelles complicités bénéficient-ils dans l'appareil de l'État pour continuer à agir à leur guise ? quelle est le degré de responsabilité de l'ex-troïka dont les accointances dans certains milieux extrémistes n'étaient un secret pour personne? et surtout, comment assurer une opération électorale honnête dans de telles conditions sécuritaires?
Le soupçon le plus fort est que les élections ne seront point honnêtes. La volonté quasi hystérique de certains partis pour qu'elles aient lieu malgré le refus de la majorité du peuple d'y participer prouve bien qu'il y a anguille sous roche. Certes, on prétend y tenir coûte que coûte au prétexte du respect de la constitution; or, c'est fallacieux, la constitution étant déjà violée matériellement et risquant fort de rester lettre morte. Il est difficile de contester que ceux qui veulent les élections avant la fin de l'année ne cherchent qu'à retrouver une légitimité perdue, et ce malgré les conditions sécuritaires et la politisation à outrance des structures chargées, de près ou de loin, de l'opération électorale.
Le pays a pourtant su trouver une bonne formule de gouvernement qui aurait pu lui permettre, si la volonté politique n'était pas absente, de retrouver la santé en douceur sans rien précipiter en termes purement formels, tout en négligeant l'essentiel, la fondation de l'État de droit et surtout la concrétisation de l'État civil. Ce dernier continue à être refusé par des composantes de la scène politique, et il est plus que probable qu'il ne sera jamais concrétisé s'il ne l'est pas avant les élections.
Pour cela, il suffit de donner au gouvernement la possibilité de gouverner vraiment, faire montre de sa compétence. Parallèlement, l'Assemblée restée en place, se transformant en assemblée législative le plus illégalement du monde, se doit d'honorer enfin la légalité en mettant en oeuvre les acquis de la constitution que certains tiennent pour mort-née.
Les soupçons quant à une arnaque électorale ne peuvent que grandir en l'absence de l'État de droit, la persistance des lois scélérates de la dictature et la multiplication des tendances maffieuses à tous les niveaux du pays faisant craindre durablement pour sa santé.
Nous sommes à la veille d'une double commémoration : celle de la République et celle de l'assassinat du député Brahmi. Il est temps que les consciences se réveillent et réagissent sainement au dernier défi que viennent de leur lancer les terroristes. Le moment présent n'est pas aux divisions et à l'appétit du pouvoir, il est à l'union sacrée. Celle-ci commande de lever tous les soupçons qui entachent le processus de la transition démocratique en suspendant tout simplement une opération électorale qui coûte cher, surtout en soupçons, sans honorer ses obligations démocratique.
Nos consciences politiques, dans un sursaut d'honneur et de dignité, sont appelées à passer l'intérêt de la patrie avant leurs ambitions politiques; cela commande la mise en oeuvre de la constitution et la consolidation de l'État de droit avec ce caractère civil que d'aucuns refusent toujours. Sinon, les divisions inévitables des élections — au lieu de consolider la transition démocratique —viendront la fausser, la condamnant à l'échec.
Il n'est donc qu'une issue éthique valable : les élections doivent être reportées à une date ultérieure en des temps plus cléments où le doute aura disparu.
Aujourd'hui, le temps ne doit plus être au soupçon ! le sang des nouveaux martyrs tombés hier au mont Chaambi le commande : arrêtons une comédie qui ne trompe plus personne, érigeons d'abord l'État de droit ensemble, unis pour la patrie contre ses ennemis.
Ainsi et ainsi seulement, on aura une chance de revivifier la république; cela ne saurait se faire hors des acquis de la constitution qu'on tarde à mettre en oeuvre. N'est-il pas honteux que près de quatre années après la Révolution, la Tunisie soit toujours régie par l'arsenal juridique antidémocratique de la dictature?
Farhat Othman
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