Des clés pour saisir la complexité de la crise libyenne
Depuis la chute du régime de Kadhafi en octobre 2011, la situation sécuritaire en Libye reste déterminée par les facteurs suivants:
• La faiblesse et l’inefficacité de l’action des institutions sécuritaires du pouvoir politique central à l’intérieur du pays et le long des 4 000 km de frontières; cela est la conséquence directe des tiraillements et des divergences entre les institutions politiques de transition, Congrès général national dont la légitimité depuis le 7 février 2014 est de plus en plus contestée, gouvernements successifs ne bénéficiant pas du minimum de consensus politique nécessaire … ;
• La présence sur tout le territoire libyen d’une multitude d’intervenants et de formations armées, tant libyens qu’étrangers. Du côté libyen, on est en présence de l’armée nationale libyenne, des forces ralliées au général Haftar, des Katibats de jihadistes islamistes, des milices de rebelles aux mains de chefs de tribu ; sans oublier la présence de terroristes étrangers de différentes nationalités. Et pour compléter la scène déjà très complexe, et depuis quelques mois, des contingents de certains pays occidentaux et de la région, les USA, la France, l’Algérie et l’Egypte, opèrent directement sur le sol libyen. Il n’est pas exclu que d’autres pays rejoignent dans les semaines ou mois qui suivent ce théâtre d’opérations d’une façon plus ou moins déguisée sur le sol libyen;
• La profusion, à travers tout le territoire, de quantités impressionnantes d’armes de tous types allant des armes légères individuelles aux armes lourdes et complexes;
en passant par la panoplie de produits et gadgets pyrotechniques faciles à mettre en œuvre et suffisants pour mener les actions terroristes les plus dévastatrices.
Ces armes proviennent de plusieurs sources et surtout:
• des restes du large arsenal de l’armée de la Jamahiria de Kadhafi qui, pendant la révolution, ayant senti la gravité de la menace, n’a pas hésité à donner ses instructions pour ouvrir les dépôts d’armes et de munitions aux volontaires appelés à défendre son régime, ce qui a profité à tous ceux qui en voulaient et ils étaient très nombreux mais d’obédiences et de programmes non seulement divers mais très souvent opposés ;
• des armes fournies en 2011 aux rebelles par certains pays occidentaux et du Golfe pour booster la révolution,
• et aussi des armes introduites illicitement dans le pays à travers ses longues frontières sud presque totalement incontrôlées.
Evidemment, cette situation d’instabilité et d’anarchie sécuritaire est largement affectée par les développements politiques, eux aussi des plus fragiles et imprévisibles. Les instances politiques n’arrivent toujours pas à mettre sur pied une armée et des forces de sécurité intérieure répondant à leurs ordres et en mesure d’imposer le respect de la loi et maintenir l’ordre; les milices restent encore les véritables décideurs en matière de sécurité et chacune maître de sa décision et de la situation dans sa zone de déploiement.
Pour mieux cerner la situation sécuritaire actuelle en Libye, entrevoir les développements futurs possibles et surtout apprécier les retombées sur la sécurité de la région et notamment sur la Tunisie et, en vue de concevoir une stratégie à même de faire face à ces menaces, il convient d’identifier les principaux acteurset intervenants sur le théâtre libyen dans le domaine sécuritaire et examiner leurs rôles respectifs.
Les forces en présence et leur rôle
L’Armée nationale libyenne
L’actuelle Armée nationale libyenne n’est, au fait, que l’Armée de libération nationale qui a été mise sur pied par le Conseil de transition national (CNT) en 2011. Celle-ci a absorbé les militaires déserteurs de l’armée de l’ancien régime ralliés à la cause révolutionnaire et les brigades/katibats de rebelles constituées pendant la révolution. L’ANL compterait 35 000 hommes environ. Quant à son équipement, elle a hérité de l’armée de Kadhafi les restes de l’armement et des équipements à dominante soviétique ayant échappé aux raids de l’Otan. L’Armée nationale libyenne a également bénéficié au cours de la révolution, en 2011, de la part des pays occidentaux, de certains armements dont notamment:
• Des missiles antichars»Milan» français,
• Des fusils FN-F2000,
• Des fusils automatiques légers FN-FAL,
• Des mitrailleuses légères M249,
Ainsi que 200 véhicules de type Hummer, donation du gouvernement américain, livrés en juillet 2013.
Les katibats sont des unités militaires ou paramilitaires dont l’effectif varie de quelques centaines à plus d’un millier d’hommes, formés durant ou après la révolution et qui relèvent en principe du ministère de la Défense et devraient être sous les ordres du chef d’état-major. Seulement, le commandement politique et militaire n’arrive pas à étendre son autorité sur l’ensemble du territoire ni sur toutes les formations armées, certaines Katibats gardant leur entière indépendance et agissant sans en référer au commandement militaire gouvernemental, alors que certaines unités ont tout simplement rejoint le général Hafter dans son entreprise contre les jihadistes. Le commandement militaire est divisé, son autorité sur les unités est sévèrement remise en cause.
L’armée ralliée au général Hafter
Après la débâcle de la guerre au Tchad en1987 et une longue retraite forcée de plus de 20 ans aux Etats-Unis, le général Khélifa Hafter rejoignit la rébellion au mois de mars 2011 ; en avril, il occupait la fonction de commandant des forces terrestres rebelles, alors que le général Omar el Hariri faisait fonction de chef d’état-major sous la coupe du général Abdelfettah Younès, le commandant en chef des «Forces armées de libération». Après la chute de Kadhafi et l’assassinat d’Abdelfattah Younès, le général Hafter est proclamé par plus d’une centaine d’anciens officiers au poste de chef d’état- major de l’Armée nationale, ce qui a provoqué la colère des islamistes qui le considèrent comme étant «l’homme des Américains».
Aussi, Hafter n’est reconnu ni par le Congrès national ni par le gouvernement en place qui le considère comme un simple putschiste. Cependant, depuis le 16 mai 2014, début de son offensive «El karama» contre les jihadistes à Benghazi qu’il qualifie de «terroristes» à combattre, le général Hafter cumule le soutien particulièrement des fédéralistes du Conseil de la Cyrénaïque basé à Tobrouk, de certaines milices et surtout d’une partie non négligeable des forces armées dont notamment les forces spéciales de la région orientale ; les unités de l’armée de l’air implantées dans cette même région dotées de Mig 21, Mig 23, d’hélicoptères d’attaque MI24 et MI35 ainsi que les bases aériennes dont celles de Benina, d’El Abraqet de Tobrouk d’où partent les raids aériens sur les campements jihadistes d’Ansar Charia au sud-ouest de Benghazi.
De même, des manifestations populaires ont eu lieu ici et là, exprimant le soutien d’une frange de la population à l’opération «El karama» menée contre les jihadistes par les hommes du général Hafter. Mais parallèlement à ce soutien relativement conséquent, le général Haftar affronte une opposition non négligeable, non seulement du Congrès général national et du gouvernement en place mais aussi une opposition armée et des confrontations avec des groupes d’obédience islamique. Sur le plan international aussi, Hafter ne bénéficie pas encore d’une large reconnaissance, s’il est qualifié de putschiste par certains pays, la majorité semble attendre les résultats de son entreprise contre les jihadistes et davantage de développements politiques et militaires sur le terrain.
Les jihadistes
Le pouvoir central à Tripoli peine à mettre sur pied une armée et une police structurée, opérationnelle et répondant à ses ordres; entretemps, il fait régulièrement appel aux ex-rebelles ayant combattu Kadhafi pour rétablir l’ordre. Ainsi le pouvoir central, dont l’autorité ne dépasse pas les limites de quelques quartiers de Tripoli et Benghazi, ne réussit toujours pas à exercer son autorité sur ces formations de révolutionnaires qui continuent à imposer leur propre volonté et agir d’une façon autonome. Les milices d’obédience jihadiste, dont notamment Ansar Charia, sont très actives dans la région orientale du pays, la Cyrénaïque. Profitant du vide sécuritaire créé par la chute des institutions du régime de Kadhafi, Ansar Charia, l’organisation jihadiste la plus menaçante sur le théâtre libyen, fait la loi, en particulier dans l’est du pays ; elle contrôle des quartiers entiers à Benghazi, à Syrte, ville martyre détruite par l’Otan, et à Derna, fief historique des courants islamistes extrémistes libyens et des kamikazes d’Al Qaïda. Selon certains analystes, ces trois bases (Benghazi, Syrte et Derna) abritent des centres de recrutement et alimentent le mouvement jihadiste contre le régime de Bachar en Syrie.
La branche armée d’Ansar Charia est soupçonnée d’avoir attaqué des juges et des membres des forces de sécurité, et surtout d’être responsable de plusieurs actions contre des intérêts occidentaux, dont l’attaque contre le Consulat des Etats-Unis à Benghazi, qui avait coûté la vie à quatre Américains, dont l’ambassadeur Christopher Stevens, un fameux 11 septembre 2012; quoique le groupe ait démenti toute implication dans cette opération. Quant aux autorités, elles n’osent toujours pas accuser directement ces groupes lourdement armés, par crainte de représailles. A Benghazi par exemple, la Katiba d’Ansar Charia contrôle toujours l’entrée ouest de la ville. Cette organisation prône «la charia comme seule et unique source de législation en Libye» et exige son application immédiate. Pour atteindre ses objectifs, elle a adopté un plan d’action à trois composantes: parallèlement au combat armé (lire terrorisme), d’intenses activités caritatives et sociales d’une part, et de prédication de l’autre. Récemment, Ansar Charia a indiqué dans un communiqué qu’il ne reconnaissait ni les institutions de l’Etat ni ses services de sécurité, les qualifiant d’apostats «Taghout»; en ajoutant que «la sécurité dans le pays est tributaire de l’application de la charia».
Il est à souligner la similitude des fondements idéologiques, de la stratégie adoptée et des modes opératoires des deux organisations jumelles «Ansar Charia» tunisienne et libyenne, d’où le soutien mutuel et les échanges réciproques, ce qui explique aussi le refuge d’Abou Iadh, chef d’Ansar Charia Tunisie, chez ses pairs libyens suite à sa poursuite en Tunisie pour des actes terroristes dont notamment l’attaque de l’ambassade US à Tunis le 14 septembre 2012, trois jours seulement après l’attaque similaire et pour les mêmes motivations prétendues, du consulat US à Benghazi. Une nouvelle illustration, des liens directs et très étroits entre le développement des situations sécuritaires en Tunisie et en Libye, qui a forcément des conséquences sur la stratégie à adopter en Tunisie pour venir à bout du terrorisme, en termes d’évaluation de la menace et aussi des mesures à prendre.
Au niveau régional et vu la situation sécuritaire qui y règne, la Libye est aujourd’hui le foyer internationale plus ouvert au terrorisme, abritant ainsi le plus grand nombre de groupes jihadistes actifs, les plus divers et provenant des différents coins du monde et en premier lieu de la région sahélo-saharienne/Afrique du Nord. Mokhtar Belmokhtar, accompagné d’un certains nombre de ses compagnons de diverses nationalités, chassés du nord du Mali suite à l’intervention militaire internationale en application de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU, se seraient eux aussi refugiés au sud libyen.
Les principales forces à Tripoli
Tripoli est, depuis sa chute, hors contrôle du pouvoir central ; au fait elle est aux mains de nombreuses brigades et milices armées.
La sécurité à Tripoli est assurée par une multitude de milices d’ex-rebelles dont deux principales, les katibats de Zenten, ville située au nord-ouest du pays, coexistent avec celles de Misrata qui sont déployées à l’est de Tripoli et seraient plutôt dominées par les Frères musulmans. Les affrontements entre milices, y compris celles de Zenten et de Misrata, sont fréquents, et ce pour diverses raisons dont notamment pour la majorité d’entre elles, le refus de leur démantèlement et l’intégration au sein des institutions sécuritaires officielles, l’armée ou les forces de sécurité intérieure ; ainsi que la dispute du contrôle des installations pétrolières.
Ce sont encore bien souvent des milices indépendantes qui assurent les missions institutionnelles de la police, garder les installations pétrolières, les bâtiments officiels et assurer les patrouilles de quartier. A en croire certains observateurs, 70 % des armes en circulation en Libye sont toujours aux mains des milices. Celles-ci, formées de jeunes barbus passionnés, en treillis ou en tunique traditionnelle, se sont retrouvés, à la fin de la révolution, les armes à la main, avec le sentiment d’avoir remporté la victoire et d’avoir donc le droit de décider du futur de leur pays.
La «Brigade du 17 Février», à l’instar de l’unité d’élites, la «Brigade de Tripoli», a été formée et armée au Qatar par la France et les Émirats arabes unis. La Brigade du 17 février, composée d’insurgés et transportée au Djebel Nefoussa par pont aérien, était commandée pendant la révolution par l’islamiste Abdelhakim Belhadj. Elle est théoriquement rattachée au ministère de l’Intérieur. la «Brigade de Tripoli» a été également mise sur pied pendant la révolution, elle compte entre 500 et 1000 hommes dont une majorité de binationaux qui vivaient à l’étranger, en Irlande, et des Tripolitains ayant fui la capitale au début du soulèvement en février 2011. Ces deux brigades relativement bien formées et équipées bénéficient d’une certaine légitimité due à leur participation à l’assaut final menant à la libération de Tripoli; ainsi elles ne sont pas prêtes à quitter la capitale de sitôt.
Au contraire, de nombreuses autres brigades de révolutionnaires dont celles originaires de Misrata et Zenten, s’attachent à améliorer leur positionnement pour mieux négocier les décisions à venir car selon certains de leurs chefs,«la révolution n’est pas encore achevée». Certains de ces chefs de brigades se considèrent un bouclier pour empêcher la prise du pouvoir par les islamistes radicaux. Parmi ces brigades figure notamment la «Katibat Béchir Sedaoui» d’un effectif de 1000 hommes environ, stationnée à Souk Jemaa, à l’Est de Tripoli. Quant à Zenten, un autre centre de puissance militaire agit sur le cours des évènements par la pression exercée par les deux Katibats: « Essawaek» et «Elkaakaa».
Ainsi, ces brigades, déployées à l’intérieur et aux environs de la capitale et toujours hors de contrôle du pouvoir central, auront très probablement un rôle déterminant dans le développement de la situation sécuritaire et par là sur le devenir politique de la Libye.
En outre, parmi les acteurs influents à Tripoli, se trouve l’ancien chef de la «Brigade 17 février» Abdelhakim Belhaj, proclamé chef du Conseil militaire de Tripoli après la chute de la capitale, est au fait l’ancien jihadiste radical du «Groupe islamique des combattants libyens» (Gicl). En juillet 2012, Belhaj démissionne du Conseil militaire de Tripoli et troque son treillis contre le costume occidental pour se lancer dans la course des élections de l’Assemblée constituante, mais sans parvenir à se faire élire. Son parti s’est contenté d’un seul siège à la Constituante.Et pour bien apprécier l’influence possible de ce chef militaro-politique sur le cours des événements, il y a lieu de préciser ce qui suit.
Il est vrai que le groupe jihadiste apparaît plus en tant qu’organisation structurée.Autrefois très proche d’Al-Qaïda, son chef, Abdelhakim Belhaj, avait combattu les Soviétiques en Afghanistan à côté des moudjahidine de Ben Laden. Dans les années 2000, plusieurs dizaines de jihadistes libyens étaient encore emprisonnés dans les geôles de Kadhafi tandis que d’autres ont rejoint massivement Al-Qaïda en Irak, formant le plus important contingent de volontaires maghrébins dans ce pays. Suite au dialogue entamé par la Fondation Seif el Islam Kadhafi avec les nombreux membres du Gicl emprisonnés, 90 d’entre eux, dont Abdelhakim Belhaj, ont été libérés en 2008. En mai 2011, Belhaj rejoint l’insurrection contre Kadhafi. Il part pour le Qatar où il prend le commandement de la «Brigade du 17 février». De retour sur le théâtre des opérations à la mi-août, il encadre et dirige avec sa brigade les insurgés de l’ouest et de la montagne berbère de Djebel Nefoussa.
A la tête de la principale force militaire de l’opération «Aube de la sirène», l’assaut sur Tripoli, il s’empare de la caserne Khamis et de ses importants stocks d’armes. Al’issue de la bataille de Tripoli de 2011, Belhaj devient le commandant du Conseil militaire de Tripoli, premier responsable militaire de la capitale. De nos jours, le Gicl n’est plus actif en tant que structure, mais ses membres sont toujours engagés au-devant de la scène de la mouvance islamiste radicale. Abdelhakim Belhaj, ancien jihadiste allié à Al Qaïda et grande figure de la révolution, est aujourd’hui à la tête du parti El Watan. Dans tous les cas, le Gicl, ou ce qu’il en reste, garde encore sur le plan politico-idéologique un poids non négligeable quant au rôle de la mouvance jihadiste dans la détermination de l’avenir du pays.
Les milices tribales
En Libye, la tribu continue à jouer un rôle sociopolitique déterminant, comme du temps de Kadhafi. Ceci nous amène à examiner de plus près le paysage tribal en
Libye et ce pour mieux apprécier ses répercussions sur l’organisation de l’Etat et le fonctionnement de ses institutions sécuritaires. De nombreuses Katibats de rebelles sont plutôt aux ordres de leur tribu d’origine que de l’autorité politique centrale. Le soutien de nombreuses unités militaires et sécuritaires de la région orientale de la Libye dont jouit le général Hafter est dû en grande partie aussi à ses racines tribales. Il est de la tribu Abaydat dans les environs de Dernah.
Les trois plus importantes tribus en Libye sont :
• à l’Est les Warfallah comptant plus
d’un million de personnes. Quoique traditionnellement opposés à Kadhafi, certains ont pu occuper d’importants postes politiques et militaires au sein du système de la Jamahiria;
• Au centre, la région de Sebha, El Kadhadhfa; la tribu d’appartenance de famille de Mouammar Kadhafi, ce qui leur a permis de contrôler les rouages du système politique et sécuritaire de l’ex-jamahiria ;
• A l’ouest, les Megarha toujours bien armés.
Ces principales tribus dominent plus de 150 autres tribus de moindre importance. La carte ci-dessous montre la répartition géographique des plus importantes d’entre elles.
Par ailleurs, il y a lieu de signaler que vu l’importance des liens tribaux dans le tissu sociopolitique et compte tenu du vide institutionnel actuel, il n’est pas exclu que la normalisation de la situation libyenne passe par le Conseil suprême des tribus libyennes» qui, d’ailleurs, a tenu le 25 mai dernier à El Azizia, à 55 km au sud de Tripoli, sa dernière réunion qui a débouché sur un plan de 15 recommandations. La quatrième et la sixième recommandation proposent effectivement des mesures pour normaliser la situation sécuritaire et stipulent :
• Dissolution des milices et interdiction à l’armée et à la police de distribuer des armes. Admettre qu’attaquer une région ou une tribu, c’est attaquer le pays tout entier.
• Remise en place de l’armée et de la police et contrôle des frontières.
Et pour conclure, le Conseil suprême des tribus se propose d’assumer le pouvoir dans cette phase transitoire dans l’attente de doter le pays d’une constitution et d’élire un parlement et un président :
Le Conseil, dans une phase de transition, est prêt à assumer le pouvoir en attendant que le pays, doté d’une Constitution, puisse voter pour élire un parlement et un président.
Le Grand Sud libyen et Aqmi
La situation sécuritaire au sud libyen est encore plus préoccupante que dans les autres régions du pays, l’Etat y est totalement absent et les frontières sont ouvertes. Cette vaste zone, limitrophe de pays eux aussi instables et sévèrement affectés par le terrorisme, l’Algérie, le Tchad, le Niger, abrite des camps jihadistes qui servent au fait de bases arrière pour les groupes opérant dans toute la région sahélo-saharienne. Les affrontements, parfois à caractère racial, entre les principaux groupes ethniques arabe, touareg et toubou et autres minorités sont fréquents. Le contrôle des 2 000 km des frontières libyennes sud est assuré par les délégués des tribus et chacune des tribus est chargée du contrôle, du moins en principe, d’une région et ce comme suit :
• Les Toubous contrôlent la zone Est, allant du Soudan jusqu’au poste frontière de Toumou avec le Niger ;
• Les Touaregs s’occupent de l’ouest, de Toumou à l’Algérie ;
• Et les Arabes supervisent Sebha, capitale du Fezzen et nœud de passage traditionnel des trafiquants et également des terroristes.
Officiellement fermées depuis décembre 2012, en réalité les frontières sud libyennes restent de véritables passoirs d’armes et de jihadistes au profit des groupes terroristes de toute la région sahélo-saharienne et également de produits de commerce pour les trafiquants : l’huile, la farine, le pétrole…fortement subventionnés quittent la Libye vers le Niger et le Tchad. Dans le sens inverse, de la drogue et des clandestins, environ 600 Africains chaque jour, entrent en Libye.
En réalité, ces tribus ne maîtrisent pas le contrôle de ces frontières, d’abord par manque total de moyens appropriés, ensuite surtout par intérêt. Il arrive que ces mêmes tribus coopèrent avec les trafiquants et aussi avec les terroristes moyennant des contreparties financières alléchantes. Les terroristes qui avaient attaqué au début de 2013 le complexe pétrolier d’Ain Amenas au Sud-Est algérien étaient passés par le sud libyen et auraient été même très bien accueillis par la Katibat 315 d’Oubari qui est supposée contrôler les frontières(!). Par ailleurs, ladite Katibat à la date de cette opération, abritée dans des bâtiments totalement éventrés, n’était équipée que d’une dizaine d’armes, fusils et kalachnikovs et ne comptait pas plus de quatre pick-kup !
Adoptant une vision plutôt régionale que nationale, Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) cible pratiquement tous les pays de la région. A ce titre et profitant de l’absence de l’Etat libyen au sud de la Libye, le dangereux Mokhtar Belmokhtar, chef de la Katibat «Les Signataires par le sang», fuyant la traque des opérations menées depuis le début de 2013 au nord du Mali, s’y serait réfugié depuis quelques semaines. Il est plus que probable que ce groupe ne ratera pas les conditions propices actuelles en Libye, pour raffermir davantage ses relations avec les jihadistes libyens et planifier des actions à haute valeur médiatique, quoique les jihadistes libyens semblent pour le moment préoccupés plutôt par la cause nationale libyenne.
Les interventions militaires des pays étrangers
La situation sécuritaire libyenne concerne naturellement au premier degré les pays de la région. En tant que théâtre de recrutement, de formation, de rencontre, de refuge de terroristes et base de départ des opérations terroristes, ce pays est aujourd’hui au centre des préoccupations sécuritaires de l’ensemble de la communauté internationale. Inquiétés par les répercussions néfastes du cas libyen au niveau régional et mondial, surtout au vu de l’incapacité du pouvoir libyen à maîtriser la situation, les USA, la France et l’Algérie mènent des préparatifs, depuis déjà quelques mois, en prévision d’opérations militaires coordonnées et sélectives à l’intérieur du territoire libyen même, ciblant les groupes terroristes et les dépôts d’armes et de munitions sous leur contrôle. La dernière opération annoncée après l’arrestation d’Abou Anes Allibi en 2013 est la capture le 16 juin 2014 d’Ahmed a bou Khoutalah», un jihadiste libyen suspecté par les services américains d’être le principal commanditaire de l’attaque du consulat US à Benghazi en 2012. L’Egypte aussi, se sentant directement menacée par le terrorisme de provenance libyenne, n’hésite plus à intervenir militairement contre des objectifs terroristes repérés dans l’Est libyen.
A ce stade, et selon certaines sources généralement fiables et bien informées, les pays intervenant directement en Libye se seraient réparti les rôles comme suit :
• L’Algérie : sécuriser les frontières algéro-libyennes pour empêcher les terroristes en Libye de fuir vers le Sahara ou l’Est algérien, avec l’objectif, dans un premier temps, de débarrasser l’ouest libyen, en particulier les villes de Nalout et de Zenten, des terroristes ; et dans un deuxième temps nettoyer Sebha
• Le Tchad : empêcher la fuite de terroristes de Libye vers le Sahara et l’arrivée de renforts vers la Libye et ce en maîtrisant le contrôle des frontières tchado-libyennes;
• Les Etats-Unis et la France : agissant sur le sol libyen en engageant des éléments des forces spéciales et surtout par moyens aériens déjà déployés dans la région, détruire les éléments terroristes (d’Aqmi, d’Ansar Charia et semblables) ainsi que leurs bases et dépôts d’armes.
30 millions de kalachnikovs en circulation dans le pays.
D’autre part et pour aider la mise sur pied d’unités militaires libyennes opérationnelles, certains pays occidentaux dont l’Italie, la France et les USA ont déjà mis au point des programmes de formation de milliers de militaires, des forces spéciales libyennes, particulièrement, dans les missions de lutte antiterroriste. Le recours à la violence en Libye est favorisé par les quantités impressionnantes d’armes de tous types à la portée pratiquement de tous ceux qui en veulent,vrais révolutionnaires, milices, sympathisants du régime de Kadhafi, bien sûr les terroristes, criminels, simples individus à la recherche de moyens pour assurer leur propre sécurité…Certains estiment le nombre de fusils, la très célèbre kalachnikov, qui circulent en Libye à plus de 30 millions d’unités.
Ainsi, la question de la prolifération des armes et munitions en Libye et leur contrôle sont pour les pays de la région, et même pour le monde occidental, d’une importance et d’une sensibilité telles qu’il n’est pas exclu de voir un jour la communauté internationale charger l’ONU de mettre en œuvre un programme spécifique pour le désarmement des milices et la récupération des armes hors de contrôle de l’Etat libyen, opération ô combien problématique et hasardeuse. Déjà, dans un communiqué du 18 mars, le gouvernement libyen a appelé la «communauté internationale et les Nations unies en particulier à fournir l’appui nécessaire pour éradiquer le terrorisme dans les villes libyennes». D’ici là, la Tunisie et toute la région continueront à subir la menace terroriste encore pour de nombreuses décennies.
Conclusionn et enseignements à tirer
De ce qui précède, on peut aisément tirer les conclusions et enseignements suivants:
• Dans l’attente de réaliser des avancées significatives dans la construction d’un système politique stable et en mesure d’exercer son autorité sur tout le territoire national, la situation sécuritaire en Libye, déjà inquiétante, ne peut qu’empirer, avec de graves conséquences et retombées sur n n n
n n n ses voisins dont la Tunisie ;
• L’évolution vers une stabilité sécuritaire passe nécessairement par le désarmement des milices, des groupes et aussi des individus hors de contrôle du pouvoir central et la collecte de ces armes. C’est une opération tellement problématique, coûteuse et hasardeuse qu’elle nécessiterait un programme spécifique. Pour tenir compte des susceptibilités de politique internationale, une telle opération ne peut réussir que sous l’égide de l’ONU.
• Concernée au premier degré par l’évolution de la situation en Libye, la Tunisie se trouve condamnée à :
• Adopter une stratégie de lutte contre le terrorisme comprenant à la fois le court, le moyen et aussi le long terme et consentir les moyens et les sacrifices nécessaires;
• Coordonner sa stratégie et ses opérations de lutte contre le terrorisme avec les pays concernés, en priorité avec ses voisins ;
• Adopter une politique de neutralité totale vis-à-vis des problèmes internes libyens et accorder au peuple libyen tout le soutien possible, meilleur investissement à long terme;
• Prendre part activement, évidemment dans la limite de ses moyens, aux programmes et actions que la communauté internationale entreprend dans ce cadre tant qu’ils servent les intérêts nationaux.
Remarque finale
De nos jours, les organisations terroristes se multiplient, changent de noms, de discours, d’alliances, de théâtre d’opérations, d’objectifs immédiats, mais il s’agit toujours du même fondement idéologique, du même objectif final et des mêmes résultats réalisés:
• Fondement idéologique:l’extrémisme religieux, l’exclusion de l’autre et son anéantissement.
• Objectif final : instaurer un régime jusque-là jamais réalisé sur terre : une seule vision des choses, une seule lecture des préceptes religieux et une seule façon de les pratiquer,…
• Résultats jusque-là réalisés : toujours et encore plus de victimes, d’autodestructions, de divisions internes, de gaspillage de ressources et de temps, d’où de dépendance des autres; et ce presque exclusivement parmi les musulmans. L’avènement de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), ses derniers succès en Irak et ses conséquences possibles nous incitent à traiter profondément cette question, sans tarder et avec le maximum de sérieux ; ce n’est pas une éventualité, c’est une réalité.
Mohamed Meddeb