Abdeljelil Témimi : pourquoi je refuse de me porter candidat à l'instance «Vérité et Dignité»
L’historien Abdeljélil Temimi, ne mâche pas ses mots en critiquant l’Instance «Vérité et Dignité» dont il juge la composition essentiellement formée de juristes de «déraisonnable» et déplore qu’elle soit basée sur les « quotas partisans». Il ne réclame rien de moins que la révision de fond en comble de la loi qui constitue son bulletin de naissance.
Sollicité par nombre de ses amis de présenter sa candidature à l’Instance «Vérité et Dignité» à la place laissée vacante par la démission de Khémaies Chemmari, le président de la Fondation Témimi pour la Recherche scientifique et l’information (www.temimi.refer.org) a opposé un «non catégorique»
M. Témimi affirme qu’il a examiné la loi organique portant création de cette Instance et qu’il y a découvert de «graves lacunes». La première et la plus importante à ses yeux est que ladite loi fixe le début de ses investigations en 1955 alors qu’elle aurait dû, selon lui, commencer dès 1952 pour prendre en compte ce qu’il appelle «les années de braise» à la fin de la période coloniale, ce qui a pour conséquence de négliger le rôle des combattantes et combattantes armés, (qu’on appelait à l’époque les fellaghas -ndlr) sur lesquels le gouvernement de l’indépendance avait fait le l’impasse. Il rappelle qu’il a invité 7 de ces combattants aux séminaires de la Mémoire nationale de sa fondation. Agés de 85 ans et plus, ces vieux militants ont fait état des drames qu’ils avaient vécus eux et leurs familles alors qu’ils avaient rendu les services les plus éminents à la patrie. Ces combattants «ne méritent-ils pas que l’Instance leur accorde l’attention à laquelle ils ont droit» s’interroge-t-il en se disant prêt à fournir à l’Instance les enregistrements de ces «témoignages poignants».
En deuxième lieu, l’historien, un des plus grands spécialistes mondiaux de la période ottomane et des Morisques, les derniers arabes d’Andalousie, déplore l’absence au sein de l’Instance d’historiens ou de sociologues. A ce sujet il trouve «étonnant» que l’Instance Vérité et Dignité ne se soit pas inspirée de l’exemple marocain de «l’Instance Equité et Réconciliation» dont l’un des membres les plus actifs fut le grand historien Brahim Boutaleb qui avait contribué à documenter les témoignages reçus par l’Instance, ce qui lui a permis de prendre les décisions idoines. Il juge que le fait que l’Instance Vérité et Dignité compte surtout des juristes est déraisonnable ce qui traduit, dit-il, son inconscience quant à la sensibilité des fonctions qui lui sont imparties. Il se dit opposé aux «quotas partisans» sur la base desquels l’Instance a été constituée. «Si elle continue sur cette base et n'est pas renforcée par d’autres compétences parmi les indépendants, son travail ne sera pas déterminant», assure-t-il. Pour garantir «l’efficience et la transparence» de cette Instance dans sa recherche de la vérité et de la dignité, il estime nécessaire une révision radicale de la loi pour y introduire un esprit neuf en l’ouvrant sur d’autres spécialités faute de quoi, il exprime sa crainte de voir se naître «querelles et pièges» quant à la gouvernance de cette Instance.
En troisième lieu, M.Témimi s’est dit opposé à la proposition incluse dans la loi portant constitution de cette Instance,concernant la création d’une fondation spécialisée dans la conservation de la Mémoire nationale estimant que cette fonction est remplie par les Archives Nationales depuis Khair-Eddine Pacha (père du mouvement réformiste tunisien) au 19ème siècle.
Rappelant les efforts éminents fournis par la fondation qu’il préside et anime pour la préservation de la mémoire nationale sur des sujets géopolitiques brulants, il estime qu’en se consacrant à plein temps à l’Instance comme le prévoit la loi,il risque d’entraver les efforts déployés, ce qui l’a déterminé à refuser d’en faire partie, en rappelant que sa fondation organise à un rythme hebdomadaire les séminaires de la mémoire nationale et reçoit des centaines de chercheurs qui ont contribué à la consolidation du dialogue national.
S’adressant à tous les membres de l’Instance et à sa présidente «la militante Sihem Ben Sédrine » (dont sa fondation a reçue le témoignage avant et après la révolution) ; Abdeljélil Témimi leur dit qu’il demeurera au service de la vérité en mettant à leur disposition son fonds documentaire et son expérience dans le recueil des témoignages et que sa fondation restera « toujours au service de la vérité».
R.B.R.