Faut-il instaurer la censure militaire ?
Faut-il instaurer la censure militaire devant l’impossibilité d’amener les journalistes à une certaine autodiscipline ou pour appeler un chat un chat à une autocensure dans la guerre qui oppose nos seulement nos forces armées, mais le pays tout entier au terrorisme ? La question fait débat d’autant plus qu’elle renvoie à un sujet très sensible, la liberté de la presse. Comment concilier entre cet acquis (certains diront le seul acquis) de la révolution et les impératifs de la sécurité nationale ? Un véritable dilemme cornélien dont il faudra choisir urgemment l’un des deux termes.
Le terme censure dont l'énoncé suffit à faire hérisser les cheveux des défenseurs de la liberté de la presse est pourtant communément admis en temps de guerre. Selon un sondage effectué en collaboration avec l’association « Reporters sans frontières» lors de la deuxième crise du Golfe en 1991, 63% des journalistes interrogés estimaient que cette censure était un fait normal et 78% d’entre eux pensaient que l’autocensure en temps de guerre s’imposait. Lors de l’intervention française au Mali, les journalistes français ont été maintenus sous escorte militaire. En 2004, les articles des journalistes américains qui couvraient l’invasion américaine de l’Irak étaient systématiquement lus et corrigés par les militaires. Il était également interdit de filmer ou de prendre des photos montrant les cercueils des soldats américains. C’est pourtant ce qu’on ne cesse de nous montrer depuis des mois en Tunisie avec tout le cérémonial qui entoure l’inhumation des martyrs (cercueils recouverts du drapeau national, décorations et promotions posthumes, oraisons funèbres). Même si l'intention est noble, on n'a pas suffisamment tenu compte de l’impact dévastateur de ces images sur le moral de l’armée de la population ? Oublie-t-on que c’est-là le but recherché par les terroristes ? Terroriser leurs ennemis.
A notre connaissance, les militaires algériens n'ont jamais montré leurs morts en dix ans de confrontation avec les terroristes. En revanche, ils ne sont pas fait faute d'exhiber les cadavres de leurs ennemis. La guerre ne se gagne pas seulement par les armes mais aussi par l’action psychologique. La France et les Etats Unis sont, que nous sachions, deux pays démocratiques. Sommes- nous plus attachés à la liberté de la presse que nos confrères français ou américains ? Sommes-nous devenus plus royalistes que le roi ?
Bien sûr, il y a des risques de dérapages. On serait peut-être tenté d'étendre cette censure à d'autres secteurs que la guerre contre les terroristes, d'autant plus que certaines parties n'ont jamais accepté que la presse soit aussi libre, lui imputant leurs échecs. Mais c'est à la profession d'être vigilante pour empêcher d'éventuelles interférences.