Mansour Moalla: Et l'économie?
Le «front» politique domine depuis le 14 janvier 2011. Le problème économique laisse indifférent. S’il y a une menace terroriste, il y a la menace d’une faillite à l’intérieur et vis-à-vis de l’extérieur.
Le pays se mobilise pour combattre la violence et le terrorisme. Il doit le faire pour redresser la situation économique et financière.
Le danger
La situation actuelle est alarmante: la croissance économique est en panne, l’investissement stagne, le chômage menace, l’inflation persiste, les déficits budgétaires et celui de la balance des paiements s’aggravent, le crédit du pays est mis en cause par les agences de notation, l’accès au marché international est hors de portée, sans compter le tourisme qui régresse, le secteur des phosphates et des industries chimiques qui souffre, et sans parler de l’évasion fiscale et du commerce parallèle, etc.
Autant de problèmes auxquels il y a lieu de trouver des solutions. C’est un travail de longue haleine mais il y a des mesures de sauvegarde qu’il est nécessaire d’adopter le plus rapidement possible.
Revoir la politique monétaire et de crédit
On doit d’abord réviser la politique monétaire et de crédit, la monnaie nationale ne cesse de se dégrader. Le dinar, à sa création en 1958, valait 2,38 dollars des Etats-Unis. Le dollar aujourd’hui vaut plus de 1,7 dinar et si cela continue, il vaudra bientôt plus de 2 dinars. L’inverse. Ce qui renchérit nos importations et qui, au lieu de faciliter nos exportations, finira par les réduire encore plus. Si la monnaie se dégrade, c’est que la politique de crédit et des taux d’intérêt n’est pas appropriée dans cette période de crise.
Au lieu de restreindre les crédits, on en facilite l’expansion. Ce qui, étant donné la réduction des dépôts, peu rémunérés, surtout l’épargne, oblige l’Institut d’émission à émettre de la monnaie, à secourir les banques avec des concours dépassant les 5 milliards de dinars, ce qui est une «performance» historique.
Cette politique contribue à l’aggravation de l’inflation, à la hausse des prix et à un déficit courant de la balance des paiements plus important, au recours à l’endettement, à la baisse des réserves en devises et si cela continue, à la cessation de paiement, c’est-à-dire la faillite : il n’y a pas, sur le plan extérieur, une Banque centrale qui peut vous secourir aussi généreusement.
Changer de politique: difficile mais nécessaire
Le changement de politique en ce domaine est difficile. On ne pourra y procéder que progressivement. Si la Banque centrale retire brutalement son soutien, on aura une grave secousse bancaire. Il y a lieu de réviser les taux d’intérêt créditeurs bas, voire négatifs, qui ont contribué à la réduction des dépôts et en même temps augmenter les intérêts débiteurs pour restreindre les crédits et par voie de conséquence le soutien de la Banque Centrale qui ne peut être qu’un appoint peu important et exceptionnel.
C’est ainsi qu’on peut contribuer à la baisse des prix, par la réduction de la demande et de la consommation ainsi que celle du déficit extérieur.
Réexaminer les rapports d’échange avec l’extérieur
Outre la révision de la politique monétaire et de crédit, il y a lieu de réexaminer nos rapports d’échanges avec le monde extérieur. Le marché tunisien est envahi par les produits importés d’Europe, de Chine, et d’ailleurs, et si cela continue, on ne fabriquera plus rien et on se contentera de consommer non tunisien. Tel menuisier par exemple préfèrera importer des portes et les vendre au lieu de les fabriquer pour éviter les problèmes de personnel, de grèves et de financement. Le problème se pose surtout avec l’Union européenne qui forme avec la Tunisie un marché unique : tous les produits non agricoles pénètrent en Tunisie librement et sans limitation. La contrepartie souscrite consistait dans une aide financière publique et des investissements privés encouragés et plus importants. Or le prétexte de la «crise» en Europe a restreint l’aide financière et la «corruption» de la dictature a empêché l’investissement européen de se développer.
Cette transformation, mettant en concurrence face à face deux partenaires économiques inégalement développés, ceux européens depuis des siècles et celui tunisien depuis quelques décennies, était donc trop précipitée, 12 ans au lieu d’une génération ou plus. Cette situation est donc à revoir. En attendant, il y a toujours des clauses de sauvegarde en cas de crise, et c’est le cas.
On peut donc, sans limiter les exportations tunisiennes vers l’Europe, le faire pour nos importations en provenance des Etats de l’Union pour pouvoir réduire le déficit de la balance des paiements, réduction à laquelle peut contribuer une révision de la politique monétaire et de crédit comme on l’a exposé. Cette révision est aussi dans l’intérêt de l’UE si elle souhaite pouvoir continuer à exporter vers une Tunisie moins menacée par un déficit grave et permanent…
Ceci en ce qui concerne l’action qu’on doit pouvoir entreprendre dans le court terme. Quant au moyen et long terme, il s’agit de concevoir un nouveau modèle de développement qui exigera un grand et profond changement dans tous les domaines de la vie nationale. Il faudra qu’on parvienne à le concevoir et le mettre à exécution.
M.M.