Avènement de Recep Tayyip 1er, maître incontestable de toute la Turquie
A la confirmation de sa victoire à la première élection présidentielle au suffrage universel dans son pays, la Turquie, Recep Tayyip Erdogan qui est encore chef de gouvernement jusqu’à la proclamation des résultats définitifs du scrutin, s’est empressé de se rendre à la mosquée historique Eyup Sultan à Istanbul pour prier comme le faisaient les Sultans Ottomans avant de monter sur le trône.
Avec 56% des suffrages exprimés, le nouvel héritier de Mustapha Kamel Ataturk n’a fait qu’une bouchée de son principal rival Ekmeleddin Ihsanoglu, un islamiste modéré que les deux grands partis laïcs ont mis en travers de sa route pour lui barrer l’entrée au palais Cankaya à Ankara . Ancien Secrétaire général de l’organisation de la Conférence islamique(OCI), ce dernier n’a recueilli que 35% des voix. Le jeune candidat kurde, l’avocat Salehettin Demirtas a rempli son contrat en obtenant autour de 10% des voix particulièrement parmi sa minorité nationale.
Que de chemin parcouru pour le gamin de Kasimpasa, le vieux quartier populaire sur la rive européenne de la grande mégapole turque, le Melassine d’Istanbul. Né en février 1954 dans une famille modeste le jeune Erdogan a dû faire des petits métiers pour gagner sa vie. Il a vendu des « simit » (semoule), ces petits pains en anneau, dans les rues de la ville. Il s’est essayé même au football où il était devenu semi-professionnel, mais son père ne lui permit pas à aller plus loin. Envoyé par ses parents étudier dans une école religieuse qui forme des imams et des prédicateurs (« imam-hatip »), c’est là qu’il a trouvé sa voie religieuse.
Cela ne l’a pas empêché de faire des études de sciences économiques et commerciales à l’Université de Marmara. Son diplôme en poche il est employé dans l’entreprise de transport de la mégapole turque. En même temps il adhère au parti islamiste du Salut de son mentor Necmettin Erbakan qui deviendra le parti de la prospérité. En 1994, il est élu sur les listes de ce dernier parti comme maire d’Istanbul. C’est là qu’il donne la mesure de ses capacités. Il fait preuve d’efficacité en réglant les problèmes de la grande agglomération, comme les coupures d’eau ou d’électricité et en la dotant d’infrastructures modernes comme le métro. «Monsieur Propre», il a réussi à réduire la corruption dans la ville où le bakchich était roi. Ce sont ses réussites à Istanbul qui le propulsent sur la scène nationale. En 1999, il a rompu avec Erbakan et son parti devenu le parti de la Vertu. Il fonde alors son propre parti, l’AKP, le parti de la justice et du développement. En 2002, ce tout nouveau parti gagne les élections parlementaires.
Mais condamné en 1998 à la prison et à la suspension de ses droits civiques pour avoir prononcé un discours qualifié d’incitation à la haine, il ne put accéder à la présidence du gouvernement qu’en 2003. Dans ce discours, il a déclamé en public un poème du poète nationaliste Ziya Gokalp qui disait: «Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats».
Bénéficiant d’une popularité sans égale surtout parmi les classes modestes et les régions de l’intérieur notamment en Anatolie, Erdogan a dès le départ donné des gages aux tenants de la laïcité en prônant la séparation de la religion et de la politique. Ce sont surtout ses réussites sur le plan économique, qui ont fait sa réputation. Sous son autorité la Turquie a rejoint le G-20, le groupe des vingt pays les plus développés dans le monde. Son acharnement à faire entrer son pays dans l’Union Européenne malgré le refus de grands pays comme l’Allemagne et la France est considéré avec appréciation par ses compatriotes.
Allié des Etats unis et membre de l’OTAN, la Turquie d’Erdogan n’a pas changé sa politique vis-à-vis d’Israël auquel il demeure lié par une alliance stratégique. Cela n’empêcha pas le chef du gouvernement turc de hausser le ton contre l’Etat hébreu gagnant une grande popularité auprès des masses arabes. On se rappelle de lui quittant la tribune du forum de Davos où était présent l’ancien président israélien Shimon Peres. Pourtant, certains mettent en doute la sincérité de l'engagement du président turc, le mettant sur le compte du grand jeu auquel se livrent les grandes puissances et même les puissances régionales. comme la Turquie et l'Iran.
Sa politique envers ses voisins arabes a été marquée par son refus de servir de base d’attaque à l’Irak lors de son invasion par les armées américaines en 2003. Après avoir normalisé les rapports de son pays avec son voisin la Syrie, il s’en est détaché et est devenu l’ennemi déclaré du président syrien Bachar Al-Assad. Avec l’Egypte, ce fut la lune de miel lors de l’avènement du président islamiste Mohamed Morsy. Le coup de force de l’armée égyptienne en juillet 2013 est dénoncé comme un « coup d’Etat » et depuis, les rapports sont devenus exécrables entre les deux pays.
Sur le plan intérieur, il ya une ambivalence remarquée. Erdogan sort vainqueur de toutes les élections nationales ou locales qu’il aborde mais cela ne l’empêche pas d’être contesté. Il est le seul chef de parti en Turquie à avoir gagné trois élections parlementaires de suite en 2002, 2007 et 2011. Cependant il est de plus en plus contesté, du fait de son autoritarisme et de soupçons de corruption pesant sur son proche entourage politique et personnel.
Sa victoire éclatante à l’élection présidentielle du 10 août va lui donner des ailes pour appliquer son programme en vue d’une présidentialisation du régime politique en Turquie jusqu’ici dominé par la grande Assemblée nationale, le parlement monocaméral. En effet il n’a pas caché son intention de ne pas rester inactif dans son palais et de se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes.
Recep Tayyip Erdogan, après 12 ans à la présidence du gouvernement compte bien rester deux quinquennats à la tête de l’Etat. Il sera là, espère-t-il, en 2023 pour le centenaire de la République turque fondée par Mustapha Kemal Ataturk.
R.B.R