Pour James Foley
Le meurtre sordide de James Foley est celui de nous tous. Le Coran ne dit-il pas qu'une seule vie injustement mise à mort, c'est toute l'humanité qui l'est ?
Aujourd'hui, c'est l'humanité qu'on assassine, celle qui a une graine de ce qui distingue l'être humain de la bestialité. Et cela se fait indirectement en notre nom, en usant d'une foi que d'aucuns chez nous galvaudent au moins de devenir les complices objectifs de l'horreur..
Aussi, au-delà de la dénonciation convenue de l'horreur venue d'Orient, terre par excellence de spiritualité pourtant, nous sommes en devoir pour honorer la mémoire du reporter américain de reproduire son exemple.
Il était unanimement connu pour son courage journalistique, son indépendance idéologique, son impartialité politique et surtout son éthique à toute épreuve.
Dénoncer les faux-semblants
Pour que Foley ne soit pas mort pour rien pour ne laisser surtout à quiconque de trouver la moindre excuse à ses meurtriers, nous devons le faire revivre en agissant comme lui, dire la vérité, oser dénoncer les faux-semblants et refuser les amalgames, les confusions.
C'est de confusion et de conflits de sentiments que se nourrissent et prospèrent les assassins de Foley. Ils ne sont ni islamistes ni militants d'une quelconque cause populaire; ils sont justes les forces chtoniennes déchaînées de leurs propres démons avec lesquels ne doivent nullement flirter ceux tapis au tréfonds de certains d'entre nous.
Car aussi surprenant que cela puisse paraître, les assassins rencontrent jusque parmi nous certaines sympathies pour ne pas dire complicités, non seulement par égarement, mais aussi assumées sinon revendiquées. Ce sont de telles turpitudes qu'il nous faut au plus vite dénoncer pour honorer l'esprit de Foley.
Nous sommes tous Foley, car l'islam est d'abord une foi de paix. Nous devons le dire en dénonçant tous ceux qui usent physiquement de la terreur au nom de la foi, ainsi que ceux qui cultivent les sentiments de la haine en leur for intérieur, ayant de la sorte déjà tué mentalement Foley un nombre incalculable de fois.
Ce sont aussi ceux qui font de l'islam une religion d'aversion qui ont tué Foley; car ils ont permis à ses assassins d'exister et de se sentir forts, se nourrissant de cette sympathie diffuse, dont on sent les relents fétides et délétères sur notre propre territoire bien connu pour être une terre de tolérance et d'amour de la vie et d'autrui, d'amour tout court.
L'humilité de la vraie foi
Nous serons tous des assassins en puissance tant qu'on ne se sera pas libéré de ce sentiment haineux d'avoir la science religieuse infuse et d'incarner la vertu. Tant qu'on n'a pas l'humilité de la vraie foi, nous rejetterons l'autre comme étant un sous-produit de l'humanité, juste bon à être sacrifié sur l'autel de notre suffisance, cette animalité plus que bestiale, finissant démoniaque.
Foley a été moins la victime d'islamistes, intégristes, salafistes ou jihadistes que de notre propre silence sur les excès entachant la lecture et la pratique de notre religion, notre acceptation que l'islam soit altéré, que ses préceptes d'amour deviennent des diktats d'exclusion, des anathèmes et des commandements de mort.
Nous serons encore demain tous les assassins de futurs nouveaux Foley tant qu'on n'aura pas toiletté d'abord nos cerveaux, nos comportements et nos codes de lois des toiles d'araignée qui nous font croire à une illusoire suprématie morale sur autrui. On en tire ainsi en toute fausse innocence des excuses pour la répression et la négation des droits et des libertés d'autrui, le différent, à cause de sa différence, juste parce qu'on se croit supérieur à lui au nom d'un texte sacré qu'on interprète mal, dont on fait une idole morale qu'on adore en lieu et place de Dieu.
Alors, arrêtons d'honorer les assassins de Foley en communiant avec eux dans leur haine du genre humain ! Rompons avec tout ce qui les nourrit pour assécher leurs sources et retrouvons donc notre foi qui est d'abord et avant tout une foi d'amour et de miséricorde.
Surtout, ne faisons pas le travail qu'ils attendent de nous en diffusant leur forfait; faisons un total black-out sur leurs faits et gestes, sur leur existence même. Car ils ne sont qu'un cauchemar; ils n'existent même pas, sinon dans les têtes malades.
Détruire leur image, comme ils détruisent les vies, revient aussi assurément à détruire en nous l'ivraie du mal empêchant que le grain ne meure en nous pour qu'y fleurissent les fruits d'une foi paisible que d'aucuns tiennent à ne faire qu'une pomme de discorde entre les cultures quand elle n'est que délicieux fruit d'un vivre-ensemble humain et hédoniste, ouvert à l'altérité.
Communion dans l'amour, pas la haine
Arrêtons de nous aimer trop nous-mêmes en aimant notre prochain, c'est ainsi qu'on empêchera utilement que demain d'autres innocents ne soient martyrisés au nom de notre foi injustement invoquée au secours de leurs méfaits.
À trop aimer aveuglément notre foi, on la perdra, car quiconque hait son prochain, sa propre image, se hait lui-même tout en haïssant le monde entier. Il nous faut de l'amour, non de soi, mais celui d'autrui qui est soi-même déjà; et on doit surtout apprendre à communier dans l'amour avec celui qui diffère de nous.
Osons alors être tous Foley aujourd'hui pour qu'il n'y en ait plus demain ! Osons dire qu'avec notre manichéisme, notre éducation puritaine et notre pudibonderie, nous sommes responsables de donner naissance à une génération de la haine qui prend plaisir à tuer comme d'autres s'amuseraient à se faire peur dans un jeu de rôles sadomasochiste qui tourne mal.
C'est en nous débarrassant tous les freins en nous, dont surtout ceux touchant à la vie privée, aux moeurs comme au sexe, on sait pourtant son importance pour l'équilibre psychique que nous aiderons à la renaissance de l'espoir avec des générations futures qui soient épanouies, créatives et libres d'esprit.
Alors, nous prémunirons notre jeunesse des horreurs qui l'attirent comme le feu l'insecte; ainsi nous la ferons à l'image de James foley, un gentleman reporter qui avait la foi en son métier et dans la vie, qui ne manquait ni de courage ni d'honneur. C'est ce dont manquent cruellement en notre monde ses bourreaux et tous les dogmatiques à la folie, religieusement comme séculairement. Le terrorisme n'est-il pas qu'une banalisation d'un mal n'ayant ni foi ni loi?
Farhat Othman