On s'est acharné sur le fils, mais on visait le père
Pendant une semaine, ce fut la curée : rumeurs persistantes de démissions collectives, tir de barrage contre le président du parti, soupçonné d’avoir cédé à la tentation dynastique, grand déballage de linge sale dans les médias. La désignation de Hafedh Caïd Essebsi tête de liste de Nidaa Tounès dans la circonscription de Tunis 1 a mis ce parti sens dessus-dessous. Au surplus, cette affaire ne pouvait pas plus mal tomber (deux mois seulement nous séparent des élections législatives). On en a tiré argument pour dénigrer Nidaa et son fondateur taxé de dictature, diviser les militants et désespérer les sympathisants qui avaient placé tous leurs espoirs dans ce parti. Une levée de boucliers comme on en avait rarement vu et qui a fini par reléguer au second plan les débats de l’ANC sur la nouvelle loi antiterroriste, la situation sécuritaire et les difficutés de la vie quotidienne, comme si le népotisme était un phénomène nouveau dans un pays où la plupart des partis politiques sont aujourd’hui gérés comme une affaire de famille sans que personne n’y trouve à redire. A-t-on déjà oublié une affaire plus grave qui ne concernait pas un parti, mais l’Etat : la nomination, il y a deux ans, du gendre du leader d’Ennahdha à la tête du ministère des Affaires étrangères ? On nous avait assuré alors que cette promotion ne devait en rien à ses liens familiaux, mais à ses compétences en matière de relations internationales. Ce qui s’est révélé faux. A bien y réfléchir, dans le cas de Hafedh Caïd Essebsi, ce qui était visé par les contestataires, c’était moins le fils que le père devenu un obstacle aux ambitions démesurées de certains cadres du parti.
Une maladresse, la nomination de Hafedh Caïd Essebsi, ille l’était peut-être, même s'il a été élu à la régulière. Mais ce qu'on retiendra surtout, c'est la réaction des militants. S’ils éprouvent un profond respect pour le fondateur du parti, ils ont montré qu'ils ne se sentaient pas une vocation d’avaleurs de couleuvres. Ils n' ont pas hésité à hausser le ton, tout en sachant jusqu'où il ne fallait pas aller trop loin. A quelque chose malheur est bon. Loin d'imploser, Nidaa Tounès a fait la preuve de sa solidité au grand dam des charognards qui rêvaient d'un dépeçage de ce parti.
En bon bourguibiste, le président de Nidaa a eu l’attitude qu’il fallait : revenir sur sa décision, coupant ainsi l'herbe sous le pied des pêcheurs en eau trouble. A l’instar de Bourguiba, en 1969 lors de la crise des coopératives et "la révolte du pain" en janvier 1984.
Ceci ne doit pas dispenser la direction de ce parti de tirer les enseignements de cette affaire. Si elle a provoqué un tel tollé, c'est parce qu'elle renvoie à une question essentielle à laquelle les Tunisiens sont très sensibles : la tentation dynastique et, plus généralement, le népotisme et les passe-droits parce qu'elle leur rappelle des pratiques qu’ils ne veulent plus revivre. Tout autocrate qu’il était, Bourguiba n’avait jamais nourri d’ambitions présidentielles pour son fils qui en avait pourtant les capacités. Il a été même injuste avec lui, à maintes occasions pour ne pas prêter le flanc aux rumeurs qui avaient couru dès les années 60 à propos d'une éventuelle désignation de Bourguiba Jr comme dauphin. Un autre grand homme d’Etat, le général de Gaulle, avait eu la même attitude à l’égard de son fils, Philippe de Gaulle. Il lui avait toujours refusé la médaille de la Résistance et le titre de compagnon de la Libération, alors qu’il avait été l’un des premiers à le rejoindre à Londres en 1940 et eut un comportement exemplaire dans la résistance et sur les différents fronts : «Je ne pouvais pas, lui mon fils, le faire compagnon de la Libération ni lui décerner la médaille de la Résistance, sinon à titre posthume ou s’il était revenu gravement mutilé, et encore» a expliqué le général.
Nous voudrions que Si Béji ait les mêmes scrupules s’agissant de ses proches même si leurs qualités sont incontestables ; qu’il évite tout ce qui est de nature à donner prise aux accusations de népotisme surtout en cette période électorale où on n’hésite pas à recourir à des «critiques en-dessous de la ceinture» pour discréditer l’adversaire, bref, qu’il s’inscrive dans la lignée de Bourguiba et de Gaulle. Quant à Hafed Caïd Essebsi, il ne perd rien d’attendre qu’il se fasse un prénom, d’autant plus qu’il est relativement jeune. En politique comme ailleurs, la patience est la mère de toutes les vertus.
Hedi Behi