Opinions - 02.09.2014

Gilles Kepel : L'évolution de la Tunisie est suffisamment rare et positive pour qu'on l'encourage

"Puisqu'on est en peine de contre-modèle, l'évolution de la Tunisie, toutes proportions gardées, est suffisamment rare et positive pour qu'on l'encourage". C’est ce que répond Gilles Kepel, dans une longue interview au Monde à la question de l’existence de modèles alternatifs au salafisme émanant du monde arabe lui-même. Professeur à Sciences Po et spécialiste de l'islam et du monde arabe, il rentre d’une tournée dans plusieurs pats du Moyen Orient et a livré à nos confrères Gaidz Minassian et Nicolas Weill « son analyse sur les bouleversements qui ont secoué la région ces derniers mois ». 

« L'enjeu principal pour la France, estime-t-il, se trouve au Maghreb. Un dixième de la population tunisienne vit en France (600 000 à 1 million, clandestins compris). On compte au Parlement tunisien dix députés élus par les Tunisiens de France.  Or, pour la première fois dans un pays du Maghreb, un gouvernement n'a pas construit sa légitimité sur la lutte contre le colonialisme français mais sur la lutte contre un dictateur issu de l'indépendance. Cela permet à la Tunisie d'avoir une relation beaucoup plus décontractée avec la France, car celle-ci prend mieux en compte la réalité des flux économiques, migratoires. Elle est donc plus porteuse d'avenir. Cela explique aussi pourquoi, de tous les Etats secoués par les révolutions arabes, la Tunisie est le seul à ne pas se retrouver dans un état catastrophique. Une classe moyenne à cheval sur les deux rives de la Méditerranée a réussi à y prendre en main le destin du pays, y compris dans une formation islamiste comme Ennahda ». 
 
Kepel explique pourquoi l’été a été meurtrier au Moyen-Orient, souligne l’émergence de l’Iran qui pourrait devenir le gendarme dans la région, précise en quoi l'offensive de l'Etat islamique en Irak entre-t-elle dans le cadre de l'antagonisme entre l'Iran et les autres puissances de la région, montre ce qui distingue l'Etat islamique d'Al-Qaida, analyse les répercussions que cette recomposition chaotique peut avoir en Europe et apporte sa lecture des manifestations de cet été en solidarité avec Gaza et des débordements qui les ont accompagnées. Une analyse pertinente qui complète son dernier ouvrage «Passion Arabe, Journal 2011-2013» (Ed. Gallimard).
 
 
Gilles Kepel
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