Rome – De notre envoyé spécial – Pays le plus proche de nos rivages et de notre histoire millénaire, l’Italie affiche une attention soutenue à l’évolution de la situation en Tunisie, en cette dernière ligne droite vers les élections. Les enjeux sont multiples : sécuritaires, politiques, économiques et sociales. Au plus haut de l’Etat, tous les dirigeants italiens au n’ont pas manqué de le répéter au président de la République, Moncef Marzouki, lors de sa visite officielle mercredi 10 septembre à Rome. Mais aussi de lui réitérer par la même occasion "la poursuite renforcée" de l’aide publique sous différentes formes. Une coopération bilatérale dense que l'Ambassadeur d'Italie à Tunis Raimondo De Cardona avait longuement évoquée à Leaders en mai dernier, puis lors de la Fête nationale, en juin.
Au premier lieu, en équipements sécuritaires et militaires pour la marine nationale et l’armée de terre notamment, en formation spécialisée et en renseignements. De nouveaux lots de vedettes, patrouilleurs et autres types d’équipements seront bientôt en route et les autres actions accélérées, apprend Leaders de source italienne bien informée. Ce soutien sécuritaire a été particulièrement détaillé à Marzouki par la ministre italienne de la défense, Roberta Pinotti qui a exprimé l’engagement total de son pays dans la lutte contre le terrorisme.
Finances, émigration et contrebande
Sur le plan financier, la conversion d’une partie de la dette publique tunisienne, à hauteur de 25 millions d’euros en investissements dans des projets économiques promus par des entreprises italiennes en Tunisie est important. Il soulage déjà le budget public du service de la dette et de son principal, pour venir renforcer la création d’emplois.
L’émigration clandestine reste elle aussi une préoccupation majeure pour l’Italie, tout comme la contrebande, notamment celle des narcotiques. Les efforts de la Tunisie pour renforcer la surveillance de ses rivages et la traque tant des organisateurs de traversées clandestines que des convoyeurs de cannabis et autres drogues sont alors à appuyer.
Daech, le mot qui fait trembler le Coliseum et le Vatican
La situation en Libye est cependant la plus inquiétante pour l’Italie. Les liens entre les deux pays sont si proches, au-delà du passé colonial, et les intérêts communs, jadis si forts, que toute dégradation de la sécurité devient préoccupante. Encore plus, lorsque s’aggrave le risque de voir s’y installer des jihadistes comme les égorgeurs de Daech. La simple évocation de Daech fait sursauter les dirigeants italiens dans les palais officiels, mais aussi au Vatican, à commencer dans la bibliothèque privée du pape François. La menace s’étend au Moyen-Orient où vit « une communauté chrétienne livrée à la barbarie ». La grande crainte est cependant de voir ses hordes s’installer en Libye toute proche et en faire leur plaque tournante non seulement pour l’Afrique du Nord et le Sahara du Sud, mais aussi l’Europe, à partir de l’Italie. Le danger est aux portes.
La Tunisie, un socle fondamental
Dans ce contexte géostratégique très inquiétant, la Tunisie représente un élément clef, estiment les dirigeants italiens. Socle fort de stabilisation pour la région, dernier rempart face aux terroristes et réussissant son parcours vers la transition démocratique, elle mérite tout soutien en ce moment précis. Il y va de l’intérêt de la Tunisie, mais aussi, vu de Rome, de l’Italie. Observant de près l’action du gouvernement Mehdi Jomaa, ils ont relevé la fermeté opposée aux extrémistes et la détermination dans le combat contre les terroristes.
Même s’il était très alors tôt d’en parler dans le détail, lorsqu’il s’était rendu à Tunis, le 4 mars dernier (première visite à l’étranger), le président du Conseil des Ministres, Matteo Renzi, en avait ressenti l’ampleur. Il gardera alors Jomaa dans son radar et ne manquera pas de lui témoigner, concrètement, le soutien sécuritaire et économique de son pays à la Tunisie. Tout récemment, lors de la conférence internationale Investir en Tunisie, l’Italie était représentée à un niveau élevé, prêtant réelle attention aux choix stratégiques fixés et aux 22 projets soumis au financement.
Pour les dirigeants italiens, rien ne doit manquer à traque des terroristes et des contrebandiers, à la réussite des élections et à la relance de l’économie. Malgré certains risques persistants, ils sont confiants dans la réussite de la Tunisie et prêts à la soutenir davantage. Ils soulignent certes le manque de visibilité quant au verdict des urnes et de la nouvelle majorité qui en sera issue, mais gardent réel espoir. Sera-t-il facile de former une coalition solide pour doter la Tunisie d’un gouvernement fort et cohérent, se demande-t-on à Rome ? Le nouveau président de la République sera-t-il non seulement le rassembleur, au-delà des partis, et surtout le garant vis-à-vis de la communauté internationale, de la stabilisation des institutions et du pays, du respect des libertés et de la démocratie et du redressement économique. Partout au Quirinal, siège de la présidence de la République, comme à Palazzo Madama (Séna), Palazzo di Montecitorio (Chambre des Député) et Palazzo Chigi, (présidence du Conseil), les mêmes interrogations sont murmurées.
«Quand on a vu comment la société civile en tête et la classe politique a pu éviter, durant l’été 2013, une confrontation ouverte à toutes les aventures et hisser au pouvoir un gouvernement non-partisan qui confirme chaque jour davantage sa compétence, livre à Leaders, un haut dirigeant italien, on ne peut qu’être optimiste. Cette jeunesse talentueuse qu’on découvre à la tête des différents ministères du cabinet Jomaa, ressemble beaucoup à celle qui est à la barre chez-nous et dans les autres pays en Europe. Le courant passe très bien entre nous. »
A 80 km seulement de Kélibia, et une heure seulement de vol pour rallier Rome, l’Italie n’a jamais été si proche : politiquement, économiquement, socialement et autre… Même, si nous l’avons un peu délaissée.
Taoufik Habaieb