Et si jamais les islamistes gagnaient les élections!
Je vois partout autour de moi des gens appeler à l’abstention : tous pareils ! Des politicards, des opportunistes, des nuls, disent-ils. Voilà la nouvelle idéologie des réseaux sociaux, l’ordre du jour de toute conversation mondaine, la preuve indubitable qu’on a tout compris. En fait il y a deux types d’abstention: l’indifférence des gens ordinaires qui boudent les élections par ignorance et l’indifférentisme je-m’en-foutiste des banlieusards qui prend l’allure d’un savoir d’autant plus ingénieux qu’on y est parvenu sans l’aide de personne. Doctes, ces couche-tard ont réponse à tout parce qu’ils ne se posent aucune question. Encore moins la seule qu’ils devraient se poser, car elle touche à leur vie de près et même à leur confort de nantis – la peur au ventre –: et si jamais les islamistes gagnaient les élections!
Mais bon sang! Rappelez-vous ces cohortes surgies de nulle part, la veille du 23 octobre 2011 si discrètes et si humaines. De braves petites gens qui se disaient victimes de la «fazzaa», ce préjugé selon lequel les islamistes font peur. Le lendemain des élections, la horde est en ordre de bataille. Les troupes envahissent la ville pour festoyer leur écrasante victoire contre les «zéro-virgule»», l’opposition libérale et moderniste humiliée par un score minable; le surlendemain elles assiègent les édifices publics et le troisième jour, elles imposent l’ordre fanatique, c'est-à-dire le désordre généralisé, plus la haine. On les aura vues chahuter, vociféré, manifester, injurier, accuser, menacer, humilier et passer à l’acte.
– Je me rappelle, oui je me rappelle –, lorsque j’ai été agressé avec Zied Krichène et qu’on a dû déposer plainte, aller en justice, faire face à une police complice des extrémistes et une justice laxiste – Il faudrait s’y attendre si jamais les islamistes gagnaient! –, devant le juge il n’y avait pas un seul avocat pour nous défendre parmi les ténors du barreau ; juste deux avocats stagiaires parmi mes anciens étudiants. L’ordre des avocats s’est déclaré «neutre» dans le conflit qui nous opposait aux salafistes. Oui en ces temps-là, le pays avait peur, on avait peur, j’avais peur. On disait avec toute la gravité qui sied aux hommes qui se croient malins que les salafistes avaient de fausses barbes ; et les Raymond la science épiloguaient sur les nuances entre le salafisme scripturaire et apolitique, protestataire et actif, mystique et mystagogique, violent et sectaire. Ils organisent tous salaf confondus un sit-in d’une année à l’université de la Manouba. Ils perturbent les cours, agressent son doyen et le trainent en justice abusivement parce qu’ils sont des hommes de loi ! Abou ‘Iyadh était du nombre. Un soir, on l’avait vu un soir improviser une conférence de presse devant le portail de la faculté de la Manouba. Et le ministre de l’enseignement supérieur, Moncef Ben salem était leur complice. Ils ont fini par assassiner les meilleurs des nôtres, la fine fleur de la classe politique, Chokri Belaid et pour maquiller le crime, Mohamed Brahmi; et si jamais Ennahdha revenait au pouvoir, les meurtres prémédités relèveraient des faits divers qui alimentent la presse people.
Avez-vous déjà oublié nos nombreux et vaillants soldats, les têtes coupés et les corps pulvérisés pour que nous jouissions d’une vie paisible? Rappelez-vous les plus de 50 jours de siège de la télévision du mois de mars 2012. L’engeance islamiste s’installe dans des tentes; elle exige que les «médias de la honte» soient en conformité avec le «ton populaire » comme Ghannouchi l’a dit. L’AJT proteste, sans succès. Des journalistes sortent des locaux de la télé, s’adressent aux médias et font leur «autocritique», comme si on était en Russie ou en Iran. Et un beau jour, le calvaire cessa! Lotfi Zitoune l’a décidé. Il annonce devant les caméras la fin du siège, au grand dam des Ligués frustrés par le lâchage. Et vous verriez revenir les Ligués, les phalanges de la Ligue de la Protection (entendez la Destruction) de la Révolution (lire l’involution). Ces voyous ont été de tous les coups fourrés et de toutes les conjurations. Au cas où vous l’auriez oublié Mesdames et Messieurs, ils ont lynché Lotfi Naghd. Pas seuls, avec les gens du CPR et d’Ennahdha. Ils ont tabassé les manifestants du 9 avril 2012. Et ils ont assiégé et attaqué la centrale syndicale. Ghannouchi avait dit à l’époque que les locaux de l’UGTT étaient bourrés d’armes. Leurs méfaits sont soigneusement consignés dans des rapports d’enquêtes malheureusement demeurés sans suite, établis par les services de la police, par des commissions de la société civile et par les tribunaux, parce qu’Ennahdha le veut ; et qu’elle le vaut bien.
Vous aurez remarqué que dans toutes ces affaires, on n’arrête pas les agresseurs, les voyous, les fanatiques, les assaillants, les criminels et les assassins ; et quand on les arrête on ne les inculpe pas et quand on les inculpe, on les relâche aussitôt. Et une fois relaxés, ils récidivent. Et si des magistrats se montraient irréprochables, un Marzouki « humaniste » par delà bien et mal userait de son droit de grâce souverain pour corriger l’injustice. Comme par hasard tout ce beau monde se tait, se fait bizarrement discret et se volatilise comme par enchantement, à la veille de l’échéance électorale. Vos ennemis sont en stand-by. Ils font le dos rond. Ils attendent le résultat du scrutin. Ils ont mandaté Ennhahda, leur délégué civilisé auprès de la société policée, en fait la porte ouverte à la gabegie, au délitement de l’Etat, au déclin de la Tunisie.
Si jamais les islamistes passaient, vous passeriez des soirées moroses à vous morfondre la rage aux trippes, les yeux rivés à une télé subitement mise au pas, aménagée en tribunal des «zéro virgule». Vous seriez la risée du monde, vos femmes déprimées et vous les mecs, vous noieriez votre chagrin dans un vieux Magon au goût amer parce que les distilleries n’auront plus à cœur de fabriquer du bon vin pour vos minables réjouissances. Et si vos femmes s’attardaient toutes seules à la sortie des bars, des Factory, des Closeries et des Carpediem, elles seraient apostrophés par des flics salaf (recrutés par Larayedh durant son mémorable passage à la direction du ministère de l’intérieur) ; elles seront humiliées, traitées comme des «p…respectueuses» (La p…respectueuse, un livre de Sartre). Et quand, prenant votre courage de vos deux mais, vous redescendriez dans les rues pour crier «x et y assassins», «al yom al yom al yom », ce jour-là il sera trop tard. Vous serez taillés en morceaux, on vous crachera dessus et l’Occident, agacé par votre esprit abimé, vous lâchera parce que vous n’êtes que des fayots.
Le spectre de la dispersion des voix hante les élections et l’abstentionnisme est érigé en doctrine. Par votre fausse neutralité, vos discussions byzantines, vos critiques déplacées et parfois indignes de Nidaa Tounes – la seule force capable de contenir Ennahdha, de neutraliser leur pouvoir de nuisance et d’empêcher que le pays ne foute le camp –, vous êtes entrain d’aider la tribu islamiste à revenir au pouvoir. Marx disait que l’histoire se répétait deux fois, la première sous le mode tragique, la seconde sous la forme d’une comédie ; la vôtre est par deux fois ridicule. On vous a dit peut-être à raison durant les élections du 23 octobre votez pour qui vous voulez, mais votez ! A cette échéance, il est meilleur pour vous que vous votiez pour celles et ceux qui vous sauveront de la meute qui vient ! Votez Nidaa Tounes, sur les pas d’Abdelwahab Meddeb, l’esprit le plus exigeant, le plus raffiné, le plus cosmopolite (au sens kantien) et le plus distant d’entre tous les intellectuels tunisiens. Il a eu l’humilité de dire avec des mots simples ce qui l’urgence exige de dire: Je vote Nidaa Tounes, Je vote Béji Caïd Essebsi.
Hamadi Redissi