Législatives :Impressions d'un président de bureau de vote
En qualité de journaliste ayant couvert des échéances électorales depuis les années 80 sans avoir eu la possibilité de vivre néanmoins cette expérience dans son intégralité pratique de l’intérieur c‘est à dire: un accès direct et impliqué au préparatifs et au déroulement des opérations de vote et de dépouillement des bulletins; j’étais admis -après les formalités requises par l’isie (instance supérieure indépendante des élections) en tant que président d’un bureau de vote (circonscription de Manouba). Un poste d’observation idéal.
Après avoir suivi deux sessions intensives de formation et de brain storming assurés par des formateurs tunisiens autant sympathiques que maîtrisant les données et bien potassé la documentation explicative suivra une mémorable journée avant le jour j: le 26 Octobre date du scrutin.
Difficile en effet de passer outre le samedi 25/10 date entamée par un coup de fil matinal de l’irie (instance régionale) par le biais d’une voix féminine m'enjoignant de me présenter au centre de vote en vue «de réceptionner contre décharge» le matériel et les documents nécessaires au déroulement des deux opérations précitées.
J’expédie d’un jet l’ expresso derrière le gosier. A 9 heure du matin, je me pointe au centre qui n’est autre qu’une école primaire donnant sur une longue rue grouillante d’un quartier où marchands ambulants; habitués des cafés et passants s’y bousculent la journée durant. Les murs étaient tapissés des manifestes électoraux de quelques unes des 59 listes que compte la circonscription. Une porte métallique s’ouvre. Elle est séparée de la rue par une barre de fer servant de bouclier. Dans le souci d’éviter que les écoliers ne se projettent contre les véhicules à leur sortie – souvent précipitée de l’établissement. Je remarque des jeunes hommes en chemise blanche et pantalon noir jettent à l’entrée des flopées de flyers d’une formation politique dont on dit qu’elle a pognon sur rue …. C’est le cas de le dire. Un éboueur a été chargé de nettoyer la paperasse. Mutisme électoral oblige.
Au hall des collègues sont accueillis courtoisement par le directeur de l’établissement qui s’est mis sur son 31.
Les salles de classe ont été vidées de leurs tables et chaises. Elles tapissent dans des formes géométriques l’espace dégagé et propre de la recréation .Au milieu de la cour flotte le drapeau national. L’endroit respire le calme par rapport à l’extérieur. Echanges de quotidiens du jour et bavardages.
Vers 11 heures arrive un camion de l’armée nationale qui libère son petit contingent de soldats en tenue verte et godasses bien cirées .Il est placé sous les ordres d’un gradé. Salamou aleikom (salutations ). Mais point du matériel attendu. Rappel téléphonique de l’irie qui intime –sans explication – que l’on revienne à 14 heures pm. A l’heure dite tout le monde concerné se pointe. Que dalle il faut poireauter jusqu’à 19 h. A l’heure dite encore silence radio: il faut encore poireauter et le rendez vous est renvoyé à 11 heures du soir. Encore une attente vaine jusqu’à 1 heure du matin. Certains membres de bureaux habitent à la lisière du gouvernorat.
- Rentrez chez vous, dit la cheffe du centre, et filez moi les numéros de portable. Je vous appelle dés que le matériel se soit arrivé. Sa mine était triste. Mais que faire elle doit assumer sa responsabilité. Une femme -courage.
- Ah bon le matériel s’auto-achemine maintenant; rétorquais-je. Mais pourquoi ce va et vient alors que notre centre se situe à dix minutes de route du centre de dispatching!!
Réalise-t-on qu’on est déjà dimanche et que les bureaux de vote doivent être aménagés préalablement pour ouvrir à 7 heures du matin! Patience. Je rentre illico chez moi en m’aspergeant d’une douche écossaise. Une façon de vaincre la lassitude.
vers 3 h10 du mat; le téléphone retentit –Bonjour. Retour sur le lieu .Enfin vers 3H45 des gaillards endossant le dossard de l’isie débarquent en vitesse pour délivrer badges- feuille de présence et colis de matériel arrachant une signature de décharge .
Faites confiance dit l’un d’eux; s’il manque des éléments ils seront délivrés demain.
- Mais demain c ‘est déjà aujourd’hui; cher monsieur!
- Au revoir et bonne continuation.
Au café du coin
Heureusement. En déballant le matériel du bureau à bibi désigné tout y est. Maintenant, il faut resceller l’urne et porter les numéros au procès verbal de l’opération de vote. Sans cette procédure on rate- en principe- le coup d’envoi de l’opération. Les collègues absents devraient rejoindre leur poste à 6 h du matin. Allez, ce n’est pas le moment de se dégonfler. Maintenant il faut agencer les tables du travail et les isoloirs. Le temps semble s’immobiliser et le dateline se profile. A l’aube; un cri strident émanant de quatre hauts parleurs– perchés au haut du minaret dominant l’établissement- appelle les fidèles à la prière. A chacun sa prière. Je fais un saut au premier café du coin pour un double expresso serré .Mince pas d’oseille dans la poche!. Qu’importe le serveur est une connaissance du quartier.
Retour à la hâte au bureau. Il est 7 heures du matin et la file commence à se former. Disciplinés et stoïques; les électeurs étaient souriants. Les hommes fraîchement rasés; des bambins et des femmes aux couleurs bariolées. La vue de ces mines joyeuses me rassurent quant à la détermination citoyenne. La démocratie prend racine.
7H15: démarrage de l’opération de vote. La file est toujours disciplinée alors que je suis quelques peu médusé en pensant que si l’on parvenait un jour disposer d’ autant d’autobus de transport public que de bureaux de vote; les usagers ne feraient plus de bousculade adrénalinées pour rejoindre le boulot ou leur domicile ( trêve de rêve). Une électrice s’est trompée de choix. On lui file un autre bulletin de vote. Elle en a le droit ; une seule fois.
C’est le premier bulletin altéré ou périmé qui sera consigné – en toute discrétion - dans une enveloppe.
Quelques minutes plus tard un jeune aux yeux gonflés et visiblement surexcité se dirige vers l’isoloir vociférant un charivari franco-tunisois.
- Que se passe-t-il monsieur
- J’ai raté ma croix
- Qu’importe vous avez droit à un deuxième et dernier essai.
En lui tendant un second bulletin il s’acharne à dépecer le premier en hurlant:
«tous des nahdhaouis put….de mer...e». Ayant réussi à le calmer en demandant à un membre du bureau de bloquer la porte de sortie pour lui soutirer le bulletin déchiré. Il a maintenant le choix entre quitter la salle sans tapage ou avoir affaire aux agents de l’ordre. Il quitte la salle en rasant les murs devant l’étonnement des représentants des listes des candidats et des observateurs de la société civile.
Il n’y a pas doute que ce jeune «mercenaire» était soudoyé pour foutre la gabegie. Soudoyé par qui? La fête de la démocratie s’est poursuivie dans la sérénité. Aux intervalles creux je me suis arrangé pour que les trois autres membres de mon bureau puissent aller accomplir -à tour de rôle leur devoir électoral-Les enfants en bas âge accompagnant leurs parents ont eu droit à des selfies et un bout du doigt imprégné- face à l’encre indélébile. Ne sont-ils pas les éligibles et les électeurs de demain!
Un sommeil fragmenté
A 18H18-l’opération de vote a pris fin. Une longue nuit attend –par ailleurs la deuxième partie; à savoir l’opération de dépouillement .Elle sera fatigante sous l’œil attentif et du fair play des représentants des formations politiques-des ong locales (une mention spéciale à ATID-Mourakiboun-le pôle civil pour le développement –la Ltdh -jeunes sans frontières; la consœur de radio express fm .et des organisations internationales ( le national démocratic institute (ndi) et l’international institute for democracy and electoral assistance (idea). Excusez les autres omission involontaires.
Quelques minutes après 11 heures; l’opération manuelle de dépouillement arrive à terme. Sans interruption comme l’était l’opération de vote. Applaudissements.
A présent ; il faut remettre tous les documents sous scellés avant d’afficher à la porte du bureau une copie du procès verbal des résultats.
A minuit ; le calvaire n’est pas au bout de la peine .Avec l’aide du collègue H.chtourou; il faut adresser par sms via l’application ussd adoptée par l’isie les résultats de dépouillement des 59 listes en lice. Une séance de pianotage entrecoupée de quelques miaulements de félins insomniaques.
En regagnant le home vers 3 heures de la matinée du lundi 27 octobre; je plonge dans un sommeil fragmenté jusqu’à 3 heures de l’après midi .Au réveil la famille était curieuse de savoir comment avais-je tenu le coup. Réponse: d’abord des milliers de collègues étaient dans mon cas à travers le territoire national et à l’étranger. Ensuite la démocratie émergente en Tunisie mérite de tels sacrifies. Quant à la fatigue il faut la mettre sur le compte du jet lag auquel les journalistes sont peu ou prou habitués.
H.O