Tunisie : Lettre ouverte à Béji Caid Essebsi et Cheikh Rached Ghannouchi
A vous deux, vous maitrisez 70% de l’électorat tunisien et 71% du parlement. Félicitations à la Tunisie pour l’apparition de vos deux formations, deux forces majeures et équilibrées dans le pays. Le moment est venu pour nous tous de nous mettre au travail pour construire notre deuxième république sur les fondations de notre nouvelle constitution.
Nos aspirations sont largement au-dessus de nos ressources ainsi même si les divers programmes électoraux convergent sur le diagnostic et en grande majorité les objectifs de redressement du pays sont ambitieux il faut que nous soyons unis pour les réaliser.
Certains continuent à pointer les erreurs du RCD pendant quelques décades avant la révolution et les erreurs de BCE en 2011, d’autres continuent à pointer les erreurs de la Troïka voire même du gouvernement de technocrates pour se donner bonne conscience suite à l’exclusion démocratique d’une grande frange de sensibilités de la gauche jusqu’au centre. Le dénigrement de l’autre n’étant pas une aide, étant donné que la cohabitation avec l’autre est incontournable, autant viser un meilleur vivre ensemble de toutes les sensibilités de la société, dans le sillage de notre nouvelle constitution.
L’Union n’est pas juste souhaitée, elle est vitale
Notre société compte de nombreuses divisions lesquelles si alimentées ou mal atténuées, risquent fort d’hypothéquer tout regain de confiance et de stabilité, ces ingrédients étant indispensables à la construction de notre nouvelle Tunisie.
Vous êtes à vous deux les seuls à détenir une chance historique de mobiliser l’ensemble des forces vives de la Tunisie et de les aligner pour consolider la sécurité du pays, avancer les programmes de réformes structurantes des institutions de l’Etat et libérer le développement économique et social de notre Tunisie.
Il est très important de ne pas décevoir son électorat et de ne pas renier ses valeurs mais je vous prie de retenir qu’il est vital de ne pas rater le redressement de la Tunisie. Vital pour la Tunisie, pour les institutions de l’Etat, vital pour les entreprises et les citoyens, pour la société civile et même pour les partis politiques et leurs leaders ! Cette occasion de redresser le pays ne se présentera pas deux fois tellement nous sommes dans une situation de détresse !
Il s’agit ici de ne pas faire passer ses intérêts individuels ou partisans devant les intérêts de la Nation.
Une division conduira à la perte de la Tunisie
Avec le maintien ou l'entretien d'une division de notre société, le déficit de confiance et l'incertitude quant à la stabilité de la Tunisie peuvent représenter entre un et deux points de croissance en moins pour notre économie. A moins de vouloir arranger exclusivement une minorité heureuse, la non Union Nationale a un coût en terme de paix sociale et un coût en termes de développement et de création d'emplois et par conséquent est loin de l'intérêt de la Nation!
Une bonne partie des réformes structurantes et incontournables étant impopulaires, une division de la Nation peut être porteuse au pire d'un potentiel de blocage en cours de mandat, et au mieux d'une alternance dans 5 ans, anéantissant dans les deux cas les chances de redressement du pays selon la vision de la majorité au pouvoir!
Une Union Nationale sécuriserait notre sauvetage
L'Union étant par définition inclusive et non exclusive, permettrait à chaque sensibilité politique d'expliquer aux siens la nécessité des réformes structurantes adoptées et les efforts qu'elle engage pour chacun des citoyens.
Les plus rancuniers et revanchards des islamistes qui ont souffert d'une exclusion qui s'est comptée en décennies pour certains se sont déjà rangés à la raison de l'unité de la société et de l'inclusion au moment où la Troïka avait voté la non exclusion des ex-RCD ! Ces mêmes ex-RCD totalement rétablis dans leur citoyenneté en moins de 3 ans après la révolution, gagneraient ils à laisser un quelconque risque de sentiment d'exclusion gagner une partie des islamistes?
Une Union Nationale verrait un gouvernement de compétences représentant avantageusement toutes les formations et portant un programme de redressement de la Tunisie faisant l'unanimité tout au long de son exécution.
Toutes les sensibilités ne pouvant se retrouver dans le gouvernement ni dans le parlement, il devient essentiel de donner corps à nos projets de Conseil Economique et Social (court-moyen terme) et de Haut-Commissariat au Plan (vision Tunisie 2030) qui seraient ouverts à la société civile (bien au-delà du quartet) en plus des instances de l’Etat.
Gardons à l’esprit qu’une division pousserait toutes les forces politiques non alliées à Nida à s'opposer à BCE aux élections présidentielles pour éviter l'hégémonie d'une prochaine dictature potentielle!
L'une des leçons de notre campagne électorale est que les divers partis font le même diagnostic et s'accordent sur la majorité des objectifs de la prochaine législature. Peu de choses séparent les tunisiens et ce qui rapproche BCE de CRG est bien plus important, noble et vital que ce qui peut les séparer.
L’Union fera la force de la Tunisie
Chers leaders de 70% des votants et de 71% des sièges au parlement, mettez la main dans la main et laissez la porte ouverte à ceux qui veulent d'une Union Nationale, parlez d’une seule voix pour que notre Tunisie puisse vibrer d'une même fréquence le temps de son redressement et de rétablissement de la confiance et de la stabilité.
Il y a 25 ans et après 45 ans de division/rupture les allemands de l'ouest puissants ont ouvert les bras à leurs frères allemands de l'est et tous se sont approprié la cause d'une nouvelle nation qui est aujourd'hui la plus puissante en Europe.
Si nous voulons mettre fin à la succession de périodes de transitions pseudo-démocratiques sans développement et de commencer une période de construction de notre nouvelle Tunisie, je suggère qu'on ne laisse aucune chance aux sentiments d'exclusion de nos citoyens, que chacun se sente dignement représenté dans la nouvelle construction et engagé pour les efforts que la Nation attend de lui.
Mounir Beltaifa