Présidentielle : un triomphe dès le premier tour?
Avec le démarrage de la campagne présidentielle ce week-end, c'est la question qui se pose au vu de la nouvelle donne politique dans le pays; et elle concerne M. Béji Caïd Essebsi qui a toutes les chances de faire une entrée triomphale à Carthage à l’issue du probable second tour.
Mais pourquoi cela ne serait-il pas dès le premier tour ? Quelques indices concordent pour permettre d’envisager comme peu farfelue cette éventualité, se révélant même parfaitement plausible.
Élan des législatives
Il y a d'abord cette impulsion donnée par les législatives qui ont plébiscité le tandem formé par les partis de MM. Caïd Essebsi et Ghannouchi. À eux deux ils ont une majorité très confortable permettant de gouverner sans heurts ni anicroches sauf à ne pas savoir s'entendre sur l'essentiel.
Or, il semble que les deux gourous de la politique en Tunisie aient décidé de mettre entre parenthèses les questions qui fâchent pour se concentrer sur ce qui compte. Et aujourd'hui, c'est sortir la Tunisie de la crise avec le retour de la stabilité et de la sécurité dans ce pays au peuple paisible dans sa quasi-totalité.
Nouvelle stratégie d'Ennahdha
C'est ce qu'a compris le parti islamiste bien conseillé par son soutien américain, indéfectible pour l'instant. M. Ghannouchi a eu la sagesse de comprendre qu'il valait mieux durer en politique que de se presser à vouloir réaliser des objectifs qui ont besoin de temps et surtout de terrain favorable. Or, le terreau tunisien est pour l'instant propice à l'hégémonie de son principal rival.
Aussi, comme il l'a fait au lendemain de la Révolution, le parti Ennahdha conclut une alliance stratégique dont le principal but est de jeter un voile sur ce qui relève du tabou dans son dogmatisme. Cela a réussi dans le cadre de la défunte troïka alors qu'Ennahdha était théoriquement en position de force, mais réellement un colosse aux pieds d'argile, tirant sa force de ses partenaires et de la garantie démocratique laïque qu'ils lui apportaient.
Et cela réussira aussi aujourd'hui dans le cadre d'une nouvelle troïka qui sera à connotation libérale ou un tandem où il dispose d'un atout majeur, les clefs de Carthage pour y faire entrer le nouveau président que la Tunisie est appelée à avoir.
Compromis historique inéluctable
On aura donc forcément un compromis historique entre Ennahdha et Nida qui seront alliés ou non aux deux autres paris libéraux qui ont tiré leur épingle du jeu aux législatives.
C'est que l'idéologie libérale est le trésor de guerre du parti Ennahdha, ce qui lui garantit l'appui précieux des USA sans lequel ils n'auront pas réussi à investir la scène politique ni surtout à s'y maintenir.
Certes, le libéralisme nahdhaoui est sauvage, mais cela est de bonne guerre pour les financiers d'un monde globalisé ayant besoin d'espaces de semi-droit où leur capitalisme est en mesure e retrouver la liberté échevelée perdue et qui a contribué, malgré son caractère écervelé à certaines de ses plus grandes réussites historiques.
L'islamisme au service du capitalisme
Le mérite de Ghannouchi est d'avoir compris qu'il en va pour l'islamisme comme pour le protestantisme, et que l'esprit de l'un est identique à celui de l'autre. Il suffit d'analyser la texture sociologique de la base du parti Ennahdha pour voir à quel point elle est à la base un esprit de commerce, sinon du lucre voilé de religion.
Or, s'il est une spécificité que le capitalisme partage avec l'éthique religieuse, islamique ou judéo-chrétienne, c'est la recherche du salut à tout prix, quitte à sacrifier certaines valeurs terrestres. Ce salut qui est — on l'a compris — la plus-value, c'est d'avoir le pouvoir, qui est l'investissement, pour finir par s'assurer ou espérer s'assurer cette plus-value. D'où l'inéluctabilité du consensus à l'heure qu'il est en Tunisie.
Le triomphe du libéralisme
Restreint ou élargi, le compromis historique entre islamistes et libéraux augure un partage de pouvoir ayant l'assentiment incontournable des partenaires occidentaux de la Tunisie.
Son mérite principal est de permettre la poursuite de la transition démocratique autour de l'axe central du libéralisme. Ennahdha ayant adoubé le principe de l'État de droit, civil qui plus est, et Nida au nom de l'autorité de l'État étant prêt à ne pas trop chicaner sur les questions relevant des libertés et des droits de conscience et de moeurs avec l'inévitable refonte du dispositif juridique de l'ancien régime toujours en vigueur.
Aussi, rien n'empêchera l'entrée triomphale à Carthage de Béji Caïd Essebsi à Carthage grâce à l'appui décisif de son rival qui se donnerait alors un atout de taille, celui de prétendre pouvoir lui dire en cas d'anicroche : qui t'a fait roi?
En politique, cela n'aura certes qu'un poids relatif, moral tout au plus, mais la nécessaire réhabilitation de la fonction présidentielle suffira à faire accepter une telle hypothèse, la faisant relever pour le futur président de l'acte patriotique par excellence, au vu de l'état de délabrement de la symbolique attachée à la fonction présidentielle.
Réhabilitation de la fonction présidentielle
On sait le sens aigu de l'État et de son prestige chez Béji Caïd Essebsi, commis par excellence de ce que son mentor Bourguiba y avait sacrifié sa vie.
Or, dans un tel État, la fonction présidentielle a été rabaissée à un niveau inimaginable par son actuel titulaire depuis l'accession au pouvoir de la troïka. Ce dernier plus soucieux de son maintien à Carthage qu'à l'intérêt de la Tunisie, il a écorné l'image de notre pays, faisant fi des traditions et coutumes s'y attachant.
Comme il importe de réparer urgemment une telle image, tous les sacrifices nécessaires pour cela sont considérés comme bienvenu politiquement puisque la présidence garde son aura intacte en Tunisie et dans le monde.
De plus, elle doit reproduire l'âme tunisienne, en condensant une tolérance à toute épreuve, une ouverture sur le monde et une volupté de vivre faisant toute la force de la volonté de vivre à la tunisienne.
Nécessaire transfiguration du politique
Au vu de telles urgences et leurs implications, on comprendra que la question de la nécessaire refonte de la législation liberticide de la dictature risque fort d'être déclassée en une priorité de seconde classe. On dira que rien ne presse, que la législature et le mandat présidentiel coïncident sur une durée confortable de cinq ans.
Aussi, il est à prévoir que le compromis historique soit surtout à connotation politique, évacuant pour la première et seconde année les questions risquant de fâcher en se concentrant sur les plus nécessaires des urgences ayant tait à l'économie et à la sécurité. L'autorité de l'État sera une priorité nationale et son rétablissement risque de faire oublier la nécessaire transfiguration de la pratique politique par la refonte des la législation liberticide.
Or, il est de la plus haute importance de ne pas céder à une telle tentation, ce péché mignon des régimes arabes mélangeant autorité de l'État et abus de pouvoir quitte à planifier sur un échéancier à paliers, avec un court et un long termes, le premier pour l'assainissement de la pratique du pouvoir avec l'abolition des lois qui sont à la source des abus, le second pour l'éradication de toues les lois corsetant la liberté privée, y compris celles des moeurs supposées à tort islamiques.
Une refondation de l'action diplomatique
Les réformes évoquées sur le plan national sont inévitables et ne peuvent être différées trop longtemps, car la mentalité qui doit changer en dépend.
Toutefois, elles sont susceptibles de créer des remous politiques, le choix de société libéral qu'elles impliquent nécessitant une évolution des idéologies partisanes prenant du temps.
Aussi serait-on bien inspiré procéder dans l'immédiat juste par des déclarations d'intention et, dans cette attente, envoyer au peuple des signaux rassurants, gros d'effets et de retombées bénéfiques dans des domaines auxquels le peuple ne saurait rester insensible.
Il s'agit du domaine diplomatique où il est capital de refonder notre action pour agir en vue de la création en Méditerranée d'un espace de démocratie, première étape pour une aire de civilisation entre l'Occident et l'Orient dont la Tunisie nouvelle démocratie sera la cheville ouvrière.
Concrètement, cela voudra dire que la Tunisie revendiquera le droit à la libre circulation de ses ressortissants tout en posant officiellement sa candidature à l'Union européenne. Parallèlement, elle annoncera son intention d'avoir des rapports directs avec l'État d'Israël sur la base du retour à la légalité internationale du partage de 1947.
Ce serait là une excellente façon de mettre à profit l'esprit consensuel pour saluer la jeunesse tunisienne sans laquelle il n'y aurait pas eu de révolution dans le pays, qui est avant tout une révolution mentale sui generis.
Ce serait aussi une manière de rappeler l'Occident à ses valeurs que la Tunisie revivifie sur sa propre terre, et au sein de cet Occident, à l'ami américain particulièrement auquel les Tunisiens renverront son passé africain encore pas assez valorisé bien qu'il fut capital dans ce qu'est le géant américain aujourd'hui.
Surtout, par la normalisation avec Israël, cela éviterait que le compromis historique en Tunisie relève de la politique politicienne, mais bel et bien un compromis faisant date dans l'histoire.
En effet, notre conviction est que le parti islamiste demeurera un colosse aux pieds d'argile qui se nourrit pour se tenir debout des turpitudes de ses partenaires chois ou imposés par la conjoncture. Il ne deviendra vraiment grand que lorsqu'il sera dans l'obligation, y compris en étant forcé par ces partenaires du jour, de grandir, devenir mature. Et cela ne peut se faire que sur des questions délicates sur lesquelles il n'ose encore trancher. Or, sa maturité est dans ces questions.
Farhat Othman