La carambole…où le jeu de billard à trois bandes !
Pardonnez ce détour! La scène politique sortie des urnes ressemble, à s’y méprendre, à ce jeu de billard à l’ancienne. Pour marquer et valider le point gagnant, le joueur qui a la main doit faire rebondir sa bille sur au moins trois bandes avant de toucher la dernière bille ou toucher au moins trois bandes avant de caramboler les deux autres billes adversaires. Vous l’avez compris, une métaphore pratique pour illustrer ce qui pourrait se passer dans les prochaines semaines, s’agissant de la formation d’une coalition parlementaire suffisamment stable ou de la constitution d’un gouvernement cohérent à large légitimité (> 109 voix).
Les billes, selon les versions du jeu, peuvent être plus de trois. Elles représentent les acteurs-joueurs, tandis que les bandes du billard figurent leurs conditions, leurs exigences minimales à une participation, à une coalition parlementaire et/ou à un gouvernement
Examinons tout d’abord le point de vue strictement arithmétique. Nida Tounès qui a de facto la main avec ses 85 élus, va entamer des consultations. Il lui faut, -a minima-, franchir le seuil de 109 voix pour s’assurer une majorité simple, mais 145 voix pour une majorité qualifiée. Selon les dernières indications, seule Afek apparaît acquise à cette idée de coalition, partageant de nombreux attendus avec Nida, même si ou cours de pourparlers elle cherchera à faire monter les enchères. Mais cela ne fait que 94 voix.
UPL 16 élus, ou Front Populaire 15 élus, mais ce sera l’une sans l’autre, tant ces deux formations s’opposent, chacune d’elle pouvant, certes faire l’appoint et permettre d’atteindre cette courte majorité à 109 à 110 voix…mais pas plus!
L’arithmétique est implacable et oblige à reconsidérer «le scénario impensable». Celui d’un rapprochement, d’une entente avec Ennhadha qui recueille 31% et 69 parlementaires.
Qui l’eut cru? Un scénario cauchemardesque pour cet électorat qui a fui les formations historiques, se réfugiant chez Nida Tounès, l’imaginant seul rempart contre l’islamisme.
Un de ces retournements, -pied de nez-, dont l’histoire a le secret et qu’elle réserve à ceux qui pris au piège de leurs propres hallucinations le voit resurgir. Qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre disait Marx : Autrement dit s’habituer à l’idée d’une composante islamiste dans le paysage politique et ce durablement et avec laquelle il faudra composer!
Nida prend toute la mesure de cette équation impensable ! Mais certainement pas impensée. Les stratèges du mouvement ont déjà anticipé ce rapprochement jugé contre-nature, et cherchent manifestement à l’habiller, car il en va aussi de sa crédibilité de chef d’une future majorité de gouvernement à défaut d’une majorité d’idées.
Et c’est là que les trois voire quatre bandes du billard-jeu resurgissent. Il faudra bien que Nida Tounès fasse des concessions voire des compromis difficiles, incertains et possiblement fugaces. Un régime des partis à la française (3e et 4e république), à l’italienne, prédisent déjà de nombreux observateurs et analystes, qui fustigent par avance les tractations de coulisses.
Si donc l’arithmétique seule ne produit rien de plausible, la méthode tactique et spéculative des «arrangement et des accommodements», déjà bien présente dans le paysage ces dernières années, a toute les chances d’être féconde.
Aucun acteur-joueur ne s’y trompe. Le calcul qualitatif est de mise.
Le Front Populaire, par exemple, qui a construit une image de radicalité aura toutes les peines du monde à se décider à l’aune des avantages-inconvénients d’une participation à un gouvernement de salut ou du cantonnement dans une opposition critique mais constructive. De nombreux avers et envers d’une même médaille, aux prolongements importants…ceux des futures confrontations locales et régionales à l’horizon de 12 à 18 mois.
Mais à vrai dire aussi, -et pour confortable que puisse paraître la position du parti islamiste-, celui-ci est pris malgré lui, dans cette logique des «arrangements et accommodements».
Unité nationale et consensus restent idéologiquement dominants dans l’opinion publique. Prendre le risque de refuser tout dialogue expose à un dangereux isolément. Ennhadha devrait donc fort logiquement faire également monter les enchères. En face Nida sera contrainte de limiter ces concessions, afin de ne pas trop prendre à rebrousse poil son électorat naturel et ne pas désespérer cette fraction non acquise qui s’est ralliée par dépit, par défaut. Mission impossible ? Pas si sûr.
Une quadrature introuvable en apparence, d’autant plus que Nida et ses protagonistes ne savent que faire de cette formation surgie de nulle part, l’UPL berlusconienne.
Aussi et il n’est pas incertain de voir se renouveler une médiation. Celle des deux piliers du Dialogue National, qui croyaient leur rôle terminés. UTICA et UGTT pourraient devoir rejouer ce rôle de facilitateur d’une issue introuvable par les seules lois logiques de la politique. Une combinazione toujours possible!
Seule inconnue au tableau, l’issue des prochaines élections présidentielles. L’élection du leader de Nida Tounès donnerait à cette formation de plus amples marges de manœuvre. L’inverse lui compliquerait la tâche. Nida va donc jouer dans un premier temps, la montre!
Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, il y a donc gros à parier que le pays va connaître de nouveau des périodes d’instabilité, certes renouvelées dans leurs formes, mais toujours aussi préjudiciables et dommageables à la tant espérée relance économique.
Alors un nouveau gouvernement de technocrates ? Le scénario est plausible !
A suivre
Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement.