Quand MM. Netanyahou et John Kerry surfent sur la notion d'animal
Cinq personnes ont été tuées mardi 18 novembre 2014 dans l’attaque par deux jeunes Palestiniens - eux-mêmes exécutés par la police- d’une synagogue ultra-orthodoxe du quartier HarNofde Jérusalem-Ouest, bastion du parti religieux Shass. Le chef de cette formation, le grand rabbin séfarade d’Israël OvadiaYosef - décédé en octobre 2013 - a longtemps été de toutes les tractations politiques, étant «faiseur de rois» des gouvernements israéliens. Il a même remis une amulette à Netanyahou pour lui assurer le succès aux élections.
Les Palestiniens, des non-humains?
A l’occasion de ce nouveau drame, Benyamin Netanyahou - dont le langage ordurier est infiniment riche dès qu’il s’agit des Arabes- a qualifié les agresseurs d’ «animaux humains»(Le Monde, 20 novembre 2014, p. 3)… alors que, bien entendu, les pilotes de F-16 et les tankistes qui foudroient des écoliers, des ambulances ou des enfants palestiniens jouant sur la plagesont, eux, la crème de la race humaine et des parangons de morale et d’éthique ! De son côté, le Secrétaire d’Etat américain, M. John Kerry, a parlé, à cette occasion, d’une conduite qui «n’a pas sa place dans le comportement humain».
Comme les plus fanatiques des sionistes - dont des parlementaires israéliens- qui traitent de «cafards» et de «serpents» les Palestiniens, M. Kerry, à son tour, assimile le peuple palestinien à des non-humains. Il marche ainsi sur les brisées de Netanyahou et sur celles du défunt rabbin du Shass - «un géant de la Torah » pour le Premier Ministre- qui déclarait en 2001, dans une synagogue de Jérusalem: «Les Palestiniens pullulent dans la Vieille Ville [de Jérusalem] comme des fourmis. Qu’ils aillent au diable et le Messie les expédiera en enfer». Ce «saint homme» - né à Bagdad et ayant vécu au Caire- remettait çà en août 2010 en déclarant, pour torpiller les négociations de Washington : «Que Dieu fasse périr les Palestiniens et en premier lieu leur président Abbas». Nul ne peut être en faveur de la violence notamment contre des gens non armés qui prient.
Mais MM. Netanyahou et Kerry - tout comme la plupart des médias occidentaux - semblent avoir oublié la tuerie à la mitraillette du Dr Baruch Goldstein, un colon qui assassina de sang froid, le 25 février 1994, dans la mosquée du Caveau des Patriarches à Hébron, 25 Palestiniens et blessa 125 autres lors de la prière du Sobh, au petit matin. Goldstein, médecin militaire, était un fondamentaliste religieux du mouvement Loubavitch et membre du parti ultra Kach dont le leader Meir Kahane fut assassiné aux Etats Unis. Goldstein était connu pour refuser ses soins aux Arabes - même ceux appartenant à l’armée. Suite à son massacre, certains Israéliens voulurent ériger un monument à la mémoire de cet assassin !
«Comportement humain» M. Kerry? Le Professeur Rashid Khalidi, de l’Université Columbia à New York, décrit par le menu les nombreuses reculades de l’administration américaine face aux exigences du gouvernement israélien et écrit: «Ni la violence quotidienne systématique d’Israël contre les Palestiniens sous occupation- depuis 2000, plus de 1600 enfants palestiniens de seize ans ou moins ont été tués dans les territoires occupés, soit une moyenne de deux par semaine- ni les attaques massives d’Israël contre Gaza en 2008-2009, au début de son mandat et en juillet 2014, n’ont provoqué de condamnation d’Obama ou de son administration». Pour ne rien dire de «l’aide américaine fournissant des armes mortelles pour éliminer les Palestiniens, les donations «caritatives» défiscalisées pour la poursuite du projet de colonisation coulant toujours à flots et la défense continue d’Israël dans les forums internationaux» (in «Palestine: le jeu des puissants» sous la direction de Dominique Vidal, Sindbad-Actes Sud, Arles et Institut des Etudes Palestiniennes à Beyrouth, 2014, p. 45).
En fait, Jérusalem est en ébullition depuis juillet dernier sous l’effet catalyseur de l’horrible calvaire infligé par des colons au jeune Mohamed Abou Khdeir brûlé vif. Ce nouveau drame qui frappe la Ville Sainte est l’œuvre des extrémistes au pouvoir en Israël qui encouragent l’intensification de la colonisation à l’est de la ville sur fond de répression et d’occupation. L’arrogance et les intrusions sauvages à répétition des colons dans les maisons palestiniennes à Jérusalem-Est font régner une tension insoutenable. Les Palestiniens ne peuvent jamais se faire délivrer un permis de construire, sont étranglés par les tracasseries policières, par les 101 permis divers nécessaires pour résider dans la villeet en sortir ainsi que par les ukases des archéologues israéliens qui mènent des fouilles pour prouver la judaïté de la cité, fouilles qui menacent les fondements de tout le patrimoine palestinien. Pour ne rien dire des tentatives d’intrusion de membres de la Knesset sur l’esplanade des mosquées- inspirés probablement par la profanation des lieux par Ariel Sharon en 2001 et qui donna le signal de la seconde Intifada- ni de la fermeture de cette esplanade le 30 octobre dernier.
Après la mort violente de plusieurs Israéliens et Palestiniens au cours des dernières semaines à Jérusalem, Netanyahou n’a à la bouche que des menaces et a promis de réagir «d’une main de fer». La police et l’armée israéliennes ont investi dès mardi matin Jabel Mukaber, le quartier de Jérusalem-Est d’où seraient originaires les auteurs de l’attaque. D’ores et déjà donc, les punitions collectives pleuvent. Dix membres de la famille de Ghassen et Oudaï Abou Jabel - les auteurs de l’attaque de la synagogue - sont entre les mains de la police. Leur maison sera détruite (celle du chauffeur du camion-bélier a été détruite mercredi) et cette politique - ainsi que d’autres mesures comme un port d’arme plus facile pour tous les Israéliens- continuera, a promis mercredi un Netanyahou plus menaçant que jamais. De plus, le ministre de la sécurité intérieure Yitzhak Aharonovitch envisage d’aller plus loin encore avec l’interdiction d’enterrer à Jérusalem-Est les Palestiniens tués par la police et l’armée (Rosa Moussaoui, L’Humanité, 19 novembre 2014, p. 16).
De son côté, l’éditorialiste du quotidien Haaretz (19 novembre 2014) sous le titre « Netanyahou et ses ministres mettent en danger le public », se demande si le Premier Ministre vise à mettre fin au cycle de ces tragédies et si mettre un point final au bain de sang est parmi ses buts ultimes. Il s’étonne de ses furieux assauts et des accusations insensées proférées contre le Président Abbas –accusations catégoriquement écartées et démenties par le chef des renseignements israéliens (Shin Beth) en personne, Yoram Cohen, mardi à la Knesset. Netanyahou, avec ses sorties, n’a autre but en fait que de reproduire lescénarioéculé: «il n’y a pas d’interlocuteurs palestiniens pour la négociation» et de préparer le terrain pour les prochaines élections en coiffant au poteau ses rivaux les plus à droite.
Pour un Etat palestinien
La motion votée à la quasi-unanimité du Congrès des députés(Chambre basse des Cortes Generales, le Parlement espagnol) demandant mardi 18 novembre 2014 au gouvernement de Madrid de reconnaître l’Etat palestinien est dans la droite ligne de celle votée par la Chambre des Communes et la reconnaissance par la Suède de l’Etat palestinien. Reste à vérifier maintenant si le Ministère des Affaires Etrangères israélien continuera à se gausser. Le 24 juillet dernier, la chancellerie israélienne ironisait sur les sympathies affichées par le Brésil à l’égard de la Palestine qualifiant le plus grand pays d’Amérique du sud de «nain diplomatique». Elle a resservi la même morgue à la Suède dans son communiqué du 30 octobre 2014 affirmant que «le Moyen-Orient est bien compliqué, trop pour un pays habitué au montage des meubles Ikéa ». (Lire Jean-Jacques Kourliandsy, Lettre d’informations de l’IRIS n° 528 du 20 novembre 2014).
Déstabilisés par la lettre envoyée par 660 figures publiques israéliennes aux parlementaires européens leur demandant de se prononcer pour la reconnaissance de l’Etat palestinien, Netanyahou et son branlant gouvernement d’ extrémistes ne savent plus où donner de la tête et mènent le pays et la région à la catastrophe. Ils n’ont d’yeux que pour les prochaines élections et la faiblesse de leur coalition souligne tous les jours, publiquement, leurs profondes et graves divergences. C’est ainsi que l’ex-ambassadeur d’Israël en France, M. Elie Barnavi assure, à propos de cette lettre qu’il a signée (L’Humanité, 17novembre 2014, p. 5-6) : «Sans Etat palestinien, l’avenir d’Israël est compromis» et avertit : «Il faut sortir de ce triangle stérile entre Israéliens, Palestiniens et Américains» et de conclure:«Sans pression politique forte, il n’y aura pas de paix dans la région». Autre signataire de cette missive à l’UE, la fille du général Moshé Dayan, Mme Yael Dayan affirme: «Il faut provoquer un choc. Les Palestiniens sont en colère et ils ont raison. On ne peut attendre dix ans en se disant que la reconnaissance d’un Etat palestinien arrivera bien un jour parce que c’est la seule solution possible…Israël a été reconnu, pourquoi pas la Palestine?». Quant au cinéaste Avi Moghrabi, il condamne l’occupation, fidèle en cela à «l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre» (résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations Unies en date du 22 novembre 1967).
Tout ceci prouve que les références à la zoologie de MM. Netanyahou et Kerry sont hors de propos et remettent en mémoire cette pensée d’un président américain: «Plus je regarde les hommes, plus j’aime mon chien». Comme sont hors de propos les commentaires faisant de ces drames «une guerre de religion». Il s’agit d’abord et avant tout de colonisation et du droit d’un peuple, fait d’hommes et de femmes, à décider de son sort- le dernier et seul peuple encore occupé de la planète en ce début du XXIème siècle….
L’espoir de la libération demeure car «le feu des poèmes» de Mahmoud Darwich galvanise et inspire:
«Palestiniennes ta naissance et ta mort
Je t’ai portée dans mes vieux cahiers
Feu de mes poèmes
Je t’ai portée vivres de mes voyages
Et j’ai crié, en ton nom, dans
Les plaines :
Chevaux de Rome, je vous connais
Même si le terrain a changé
Prenez garde».
(«Un amoureux de Palestine », traduit par Abdellatif Laâbi in Mahmoud Darwichet Rachid Koraïchi « Une nation en exil. Hymnes gravés », Editions Barzakh Actes Sud, Arles, 2009)
Mohamed Larbi Bouguerra