Le compromis historique compromis?
On s'attendait à une élection dans un fauteuil de M. Béji caïd Essebsi, représentant de la restauration de l'ancien régime pour les uns, garant de la Tunisie moderniste pour les autres.
On en était même à annoncer un compromis historique, les dirigeants du parti islamiste ayant fait le choix de ne soutenir aucun candidat, ce qui était de fait un soutien pour leur rival majeur.
Conversion ou non d'Ennahdha à la démocratie?
Or, une telle décision a été arrachée au forceps et ne cadrait pas avec les fondamentaux du parti. En cela, elle semblait apporter une preuve manifeste de la conversion du parti islamiste à la démocratie en envisageant de gouverner avec l'ennemi d'hier, lui ouvrant une voie royale vers Carthage.
C'était soit oublier la base du parti toujours tentée par l'intégrisme ou en tenir compte pour ne donner aucune conséquence à une décision de pure forme ne devant emporter aucune conséquence concrète, Ennahdha ne rompant pas avec ses habitudes de dire dans le même temps le vrai et le faux.
À cela s'ajoute bien évidemment la forte capacité de nuisance de l'actuel locataire du palais de Carthage, allié privilégie du parti islamiste il y a peu et qui ne manque pas d'atouts pour menacer de laver le linge sale de la famille au cas où on l'expulserait d'un palais où il a pris ses habitudes, en arrivant à faire quasiment une propriété privée qu'on défendrait pas tous moyens, puisqu'on part du principe qu'il s'agit d'un droit imprescriptible.
La question majeure que pose donc ce qui doit être considéré comme le premier tour de la présidentielle est toujours de savoir si Ennahdha a vraiment changé, s'il a la maîtrise de l'orientation de ses adhérents, pourtant réputés disciplinés?
On le disait, après sa relative défaite aux législatives, concentré sur les futures élections locales et régionales, près de participer à un gouvernement de conciliation nationale. C'était apparemment sans compter sur les turpitudes du passé et ce qu'elles pouvaient impliquer de contrariété sinon de chantage politique dont les adversaires de la realpolitik (sincère ou simulée) n'auraient pas manqué d'user.
Un autre compromis historique?
Voilà donc le compromis historique annoncé qui semble sérieusement compromis ! Deux hypothèses demeurent pour le sauver.
La moins probable et qui demeure la plus sérieuse pour attester de la conversion véritable à la démocratie d'Ennahdha : une improbable ruée dans les brancards de sa direction, en arrivant à sommant ses militants à l'abstention pour le moins et s'engageant plus clairement sur l'entrée à Carthage de M. Béji Caïd Essebsi. Plus que jamais, c'est la condition sine qua non pour la survie politique d'Ennahdha sur une scène politique apaisée.
La plus probable serait un autre type de compromis historique exigeant tout autant de sacrifice idéologique des militants de la gauche en soutenant sans états d'âme celui qui était il n'y a pas longtemps était le parèdre du mal au côté du diable islamiste. La base suivra-t-elle le courage de son leader qui l'avait bousculée pour s'y allier pour le salut du pays ou se laisserait-elle tenter par les appels tardifs du président provisoire qui se souvient d'elle au moment où il manque de voix réellement populaires pour justifier son ambition d'un quasi-dictateur : ne pas lâcher le pouvoir !
Ce serait alors un autre compromis historique, plus authentique en quelque sorte, puisqu'il rappelle mieux celui qui a failli réussir en Italie et auquel réfère la formule compromesso storico, à savoir l’accord entre la Démocratie chrétienne, qui était bien moins chrétienne que laïque, et le parti communiste encore assez dogmatique.
Il ne faut toutefois pas oublier que le compromis d'origine échoua pour diverses raisons dont surtout l'assassinat du leader de la Démocratie chrétienne. Échappera-t-on à la violence pour que l'histoire ne se reproduise pas en Tunisie?
Farhat Othman