Mehdi Jomaa ne doit pas être fort à l’aise en conduisant depuis ce samedi la délégation tunisienne au XIVème Sommet de la Francophonie qui se tient jusqu’à dimanche à Dakar. Pour une fois, il sait qu’il ne rapportera pas grand-chose de ce déplacement à l’étranger. Juste des contacts utiles, notamment son entretien avec le président français François Hollande. La Tunisie vit mal sa francophonie, la Tunisie n’a pas bien préparé ce sommet, la Tunisie n’a pas su en tirer bénéfice : tel est le constat amère que font les Tunisiens. La responsabilité n’en incombe pas au gouvernement actuel qui s’est efforcé de renouer les liens rompus de par le monde, mais à une approche essoufflée depuis déjà près de cinq ans. Alors que l’Afrique dont une bonne partie est francophone, offre le potentiel de croissance économique et d’opportunités d’affaires le plus attractif, nous perdons pays dans les mécanismes de la francophonie, après avoir vu la BAD quitter Tunis sans profiter de sa délocalisation pendant 11 ans sur nos rivages.
Vivre mal la francophonie
C’est ne pas l’assumer en héritage d’enrichissement et d’ouverture, ne pas en faire l’un des leviers du savoir et de la culture. La pratique de la langue française, actuellement parlée par plus de 220 millions de personnes sur les cinq continents et qui seront 700 000 millions en 2050, notamment en Afrique, régresse en Tunisie. La presse tunisienne de langue française voit son lectorat se réduire en peau de chagrin, le livre aussi, la presse française et les livres francophones aussi, sans parler d’autres indicateurs. La francophonie risque de se cantonner dans un communautarisme rétréci, presque mal vu, sinon décrié... Alors que la croissance sera
Un sommet mal préparé en Tunisie
Aucun débat préalable, aucun objectif précis fixé. Tout se passe quasi inaperçu, dans la plus grande indifférence. Pourtant, la Tunisie était avec le Sénégal et le Niger, à l’origine de la création en 1970 de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (
ACCT), l’ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie (
OIF) et y a joué pendant des décennies un rôle de premier plan. Bourguiba, Senghor et Diori en sont les pères fondateurs. Puis, y a perdu pied. Pour ne prendre que l’exemple de la France, en termes de débat et de préparation technique, Hollande avait confirmé Jacques Attali, le 17 avril dernier, dans une mission d’étude et de réflexion à la tête d’un groupe de travail « pour proposer des actions concrètes au service d'une stratégie francophone économique ». Il s’agit, plus précisément, de « mesurer le poids économique de la Francophonie dans l'économie mondiale, à identifier les secteurs porteurs où la Francophonie est créatrice de valeur et à préciser les leviers sur lesquels agir ».
Dans son
rapport remis en août dernier à Hollande, Attali a présenté 53 propositions regroupées autour de 7 axes. Il s’agit d’augmenter l'offre d'enseignement du et en français, en France et partout dans le monde; renforcer et étendre l'aire culturelle francophone; cibler 7 secteurs clés liés à la francophonie, pour maximiser la croissance de la France et des autres pays francophones (tourisme, technologies numériques, santé, recherche et développement, secteur financier, infrastructures, secteur minier); jouer sur la capacité d'attraction de l'identité française pour mieux exporter les produits français et conquérir de nouveaux francophiles ; favoriser la mobilité et structurer les réseaux des influenceurs francophones et francophiles ; créer une union juridique et normative francophone à travers la mise en place d'un guichet douanier pour les francophones dans les aéroports des pays francophones volontaires ; se donner comme projet de créer à terme une Union économique francophone aussi intégrée que l'Union européenne. Voici pour la France, qu’en est-il du côté tunisien : le désert en termes de préparation stratégique.
Pas de bénéfice direct escompté
Aucun secrétaire général tunisien n’a pu, jusque-là, diriger cette organisation. Aucun candidat n’a pu cette année présenté pour succéder au sortant, l’ancien président du Sénégal Abdou Diouf. Aucun grand autre poste élevé n’est attribué à la Tunisie. Comme si on manque de candidat de valeur, comme si aucun Tunisien ne peut y postuler. Nous avons raté tant de hauts postes dans les organisations régionales et internationales et nous risquons de continuer à en perdre.
Rien ne sert aujourd’hui de complaindre. Il appartient aux nouveaux dirigeants de la Tunisie, à notre diplomatie au premier rang, de réviser toute l’approche d’implication dans les organisations régionales et internationales. Plus d’intensité et d’efficience, sur la base d’une véritable stratégie. De retour du Sommet de la Francophonie à Dakar, Mehdi Jomaa doit laisser à ses successeurs une feuille de route précise et nous prendre tous à témoin de sa mise en œuvre.
Taoufik Habaieb