Enfin, un second tour!
Les résultats de ce premier tour de l’élection présidentielle vont consolider la démocratie, on s’en rendra compte dans quelques années. Les déçus qui n’ont pas vu leur candidat gagner dès le premier tour se feront une raison.
Un mois de campagne de plus ne sera pas de trop pour commencer à ancrer des traditions. L’élection présidentielle à deux tours deviendra la règle, et il faut s’en féliciter dès à présent. D’autant que les enjeux ne sont pas les mêmes. Chaque tour a ses enjeux et chaque tour a ses règles. L’apprentissage est toujours en cours, et tant qu’à faire, autant aller au bout de la leçon. Tout ce qui se construit aujourd’hui servira aux générations futures, c’est l’histoire qui s’écrit petit à petit et à cette échelle-là nous sommes si peu de chose.
Alors, bien sûr que nous avons perdu du temps au cours de ces quatre dernières années, et que tout cela a des conséquences certaines sur l’économique et le social, mais ce n’est pas une raison pour saborder le principal des acquis, les élections et avec elles le pluralisme, le combat politique et l’engagement citoyen. Certes, du combat d’idées il n’en fut point question jusque-là, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Les électeurs ont démontré une grande capacité de discernement en ne se laissant pas divertir et en allant dès le premier tour à l’essentiel. Les votes se sont portés massivement sur cinq candidats sur les vingt-sept officiellement inscrits, et majoritairement sur les deux premiers. Peu importe qui ils sont, les votes se sont fortement cristallisés, et il faut en tirer un enseignement majeur pour les prochaines échéances, les trublions et les fantasques n’ont pas leur place dans ce scrutin.
Malgré le passage au régime parlementaire, il est clair que les Tunisiens attendent beaucoup de leur président. C’est un élément à retenir pour l’avenir de notre modèle de gouvernance. La Constitution a limité les pouvoirs du président de la République, mais pas les attentes du citoyen envers lui, qui restent immenses. Et ce n’est pas là le seul décalage de la Constitution par rapport aux attentes des masses.
Le feuilleton de l’annonce des résultats des sondages à la sortie des urnes aura été un échantillon de ce décalage. Tant la Constitution paraît avoir été écrite du temps des hiéroglyphes. Que n’avait-on pas vu les médias appeler à la désobéissance civile, et aller contre une décision du tribunal administratif, en des temps pas très éloignés. Preuve que les choses changent, même quand elles ne le paraissent pas.
Le candidat sortant, président de la République en exercice, est deuxième du scrutin, et il aura beau se féliciter d’être au second tour, il y a là, malgré tout, un vote sanction de son bilan. Il aura tout fait pour éluder ce débat, allant jusqu’à faire une campagne, jugée violente, contre son adversaire désigné. Il n’aura pas réussi à convaincre complètement.
Les Tunisiens reprochent au candidat sortant son bilan, et principalement de s’être laissé prendre en otage des luttes internes des islamistes et de ne pas avoir su défendre l’unité de la Tunisie dont il se voulait pourtant le chantre. Ils ne lui reprochent pas tant de n’avoir pas fait que d’avoir laissé faire.
Les résultats de BCE montrent qu’il n’a pas réussi à mobiliser au-delà des électeurs de Nidaa aux législatives. C’est en partie un échec pour un candidat qui se voulait rassembleur. C’est en ce sens que le second tour est important, dans la mesure où un Président doit nécessairement rassembler au-delà de son camp pour s’imposer comme le président de tous. Le second tour devrait lui en donner l’occasion, à condition qu’il veuille bien aller à la rencontre des Tunisiens et non de ses militants. Mais il faudrait aller plus loin dans l’analyse, pour comprendre pourquoi cet état de fait. Surtout si l’on constate que le candidat suivant a rassemblé au-delà de son camp et au-delà des votes pour son parti aux législatives. Ce candidat a bénéficié de son image d’icône de la lutte contre la dictature, certes, mais il s’est surtout démarqué par sa campagne positive qui a fait écho aux discours de la peur.
Ces éléments tendent à laisser penser que les électeurs ont vu en BCE plus un chef de parti qu’un chef d’Etat. Cela n’est probablement pas lié à la personnalité du candidat, dont la stature n’est certainement pas en cause, mais plus à l’identité du parti Nidaa, et à son ADN encore flou. C’est l’un des principaux enjeux de l’avenir, qui va résider dans la capacité de ce parti à se forger un ADN, loin de toute filiation avec l’ancien régime. Ce parti a gagné les législatives, qui lui ouvrent le chemin pour diriger le pays, il doit dès lors étoffer son propos pour lui donner plus de structure, plus de fond et sortir enfin du discours lénifiant des contes pour enfants.
Les Ben Ali boys, quant à eux, n’ont pas convaincu, ils ont pensé, à tort, qu’ils pouvaient prétendre à un retour en grâce, le passé oublié et la page tournée. Oui elle est tournée et eux font désormais partie du passé, c’est aussi un des acquis importants de ces élections. Il y avait la crainte qu’ils viennent manger la laine sur le dos du candidat de Nidaa, qui affichait les couleurs du Destour, mais il n’en sera rien, c’est à peine s’ils auront réussi à lui mordiller les chevilles. Lui assurant, même, un petit réservoir de voix, qu’il saura s’adjuger, sans scrupules ni marchandages inutiles. Appréciable, à l’aube d’un second tour qui s’annonce difficile, ou pour le moins tendu.
Le Président sortant et son parti ont été portés à bout de bras par Ennahdha en 2011. Si le parti a été laminé aux législatives, cela n’aura pas été le cas du candidat à la présidentielle, qui fait mieux que résister. Il est évident qu’il a bénéficié des voix des électeurs d’Ennahdha, qui a montré sa capacité à mobiliser ses électeurs, sans tambour ni trompette, et ainsi démontré qu’un parti pouvait être propriétaire de ses voix, au moins dans une certaine, large, mesure. Mais ces électeurs ont-ils à ce point le sens du sacrifice pour se mobiliser plus nombreux au second tour? Ennahdha va-t-elle prendre position explicitement pour le président sortant ? C’est là tout le suspense des jours à venir.
Les réserves de voix paraissent jouer en faveur de BCE. Mais il semble que Nidaa ne va pas s’enfermer dans la logique arithmétique du report des voix, préférant compter sur la mobilisation du second tour. Dans le même temps, le parti de gauche paraît privilégier l’appel au vote contre plutôt que le vote pour. Le second tour se jouera donc principalement sur la capacité de mobilisation dans un camp comme dans l’autre.
Est-ce qu’on va encore, lors du second tour, vivre une campagne centrée sur la peur au lieu de l’espoir, ou une vraie campagne, digne de ce nom, pour voir s’affronter deux camps, programme contre programme, vision contre vision, projet contre projet ? Est-ce qu’on change de recette entre les deux tours ? Pas sûr.
W.B.H.A.