Caïd Essebsi ou Marzouki : le dilemme cornélien d'Ennahdha et d'El Jebha
Caïd Essebsi ou Marzouki? Le 2e tour de la présidentielle ne divise pas seulement les Tunisiens. Il met les partis et notamment Ennahdha et le Front Populaire sens dessus-dessous. Car la ligne de clivage ne passe plus entre la droite et la gauche, les islamistes et les laïques mais traverse ces deux partis. Choisir entre les deux candidats relève désormais du dilemme cornélien.
Signe des temps : Ennahdha dont la discipline des militants est souvent citée en exemple est aujourd’hui divisée comme elle ne l’a jamais été en quarante ans d’existence au point de ne plus être en mesure de nier les divergences en sein, ni même de les minorer tellement ils sont évidents. Selon des rumeurs, Rached Ghannouchi aurait même menacé, lors des débats houleux qui ont marqué la dernière réunion du conseil de la choura, le week end dernier, de présenter sa démission. Sur Chemsfm, Zied Laadhari porte-parole d'Ennahdha a reconnu que les avis étaient «partagés», mais a démenti du bout des lèvres la menace de démission. Plus explicite, Houcine Jaziri l’un des dirigeants les plus en vue de ce parti, a avoué sur Mosaïquefm : «Nous avons des difficultés à arrêter une position claire sur le point de savoir s’il faut soutenir Marzouki ou Caïd Essebsi. Nous prônons toujours la neutralité, mais Il y a de nouvelles réalités dont il nous faudra tenir compte». Puis, résumant la situation: «Nous nous rejoignons sur certains points avec Nidaa Tounès alors que notre base sociale se reconnaît davantage en Marzouki». Il renvoie la balle aux militants de Nidaa : «Ils doivent faire l’effort nécessaire pour attirer les électeurs de notre mouvement». Avant de conclure par cet aveu qui donne à lui seul la mesure des changements intervenus depuis les élections législatives dans le paysage politique: «Nous ne voulons pas que Nidaa Tounès fasse naufrage, car ce sera aussi celui de la Tunisie». Comment en convaincre la base longtemps dressée dans la haine de ce parti qui lui avait été présenté depuis sa création comme un simple avatar de l’ex RCD et son président comme «plus dangereux que les salafistes». C'est-là, tout le problème de ce parti, un problème qui, il est vrai ressemble à la quadrature du cercle.
El Jabha n'est pas mieux lotie. Formée de partis marxistes et unionistes arabes, elle a du mal à adopter une position commune sur le choix de son candidat au deuxième tour, au point d'en reporter l'annonce à trois reprises. L'écrasante majorité de ses composantes est certes contre Marzouki, mais une forte minorité ne veut pas entendre parler d'un quelconque appui à Béji Caïd Essebsi pour des raisons qui tiennent selon elle à son passé politique, son attachement au libéralisme économique et au...vote, tout récemment, des élus de Nidaa à l'ARP contre la veuve de Mohamed Brahmi qui briguait le poste de vice présidente. On s'achemine donc vers une position ambigue où on se contentera d'appeler à ne pas voter Marzouki. Lors de sa dernière visite au siège du Front populaire, Si Béji a compris qu'il devait faire son deuil d'un appui «ferme et massif » à sa candidature compte tenu de l'hostilité d'une bonne partie du conseil des secrétaires des partis de la Jebha. Grand seigneur, il a déclaré comprendre les hésitations de ses ex alliés du Front de Salut et ne pas vouloir être la cause d'une division au sein du FP. Malgré tout, le non appui du front laissera certainement des traces tant en son sein qu'au niveau des relations avec Nidaa. Il est même probable que la cohésion à l'intérieur du Front qui a été le mobile principal de cette attitude sera mise à mal d'autant plus que l'une de ses principales composantes, les patriotes démocrates (El Watad) était pour un appui au président de Nidaa. Pour sa part, ce parti ne tardera pas à tirer les leçons de ce que certains de ses dirigeants qualifient de «lâchage». Il est même probable qu'il procèdera à un recentrage en se tournant vers les partis libéraux, l'UPL et AFAK en attendant sans doute la formation d'une grande coalition avec Ennahdha.
Ce qu'on peut regretter en définitive, c'est que le Front Populaire ait raté une occasion en or de devenir un parti de gouvernement. Au lieu de quoi, il a préféré se contenter de sa fonction «tribunitienne» en restant dans l'opposition. Décidément, c'est bien dur de sortir de l'adolescence politique.
Hédi
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