Elyès Jouini : Je me souviens
Afin de conforter mon choix pour le vote du 21 prochain, j’ai souhaité relire la Constitution pour m’imprégner à nouveau du rôle du Président de la République et afin de déterminer qui parmi les deux candidats – au vu de la loi fondamentale – a réellement une carrure de présidentiable.
Car la question est simple. Qu’attendons-nous d’un présidentiable ? Et j’ajouterais en contrepoint, et que craignons nous ?
Sont alors remontés à la surface quelques souvenirs, quelques occasions au cours desquelles j’ai eu le privilège de côtoyer Béji Caïd Essebsi, l’esprit d’autant plus libre et la capacité de discernement d’autant plus vive que je n’attendais rien ayant pris le soin de démissionner publiquement avant même ces premiers échanges.
Certains ont agité le chiffon rouge du taghaouel, d’un président omnipotent et omniprésent qui nous rappellerait des souvenirs pas si anciens.
Il est donc important que le futur Président de la République laisse le Gouvernement gouverner et l’Assemblée légiférer. Qu’il sache reconnaître et respecter le périmètre de chacun.
Je me souviens, pour ma part, du premier jour de Béji Caïd Essebsi, Premier Ministre, à Carthage. Un officier supérieur se présente demandant les instructions pour la sécurité du nouveau Premier Ministre. La réponse ne se fait pas attendre : « Vous êtes l’homme de l’art, faites comme il se doit».
Pour moi, cette anecdote n’est pas anodine. Elle révèle le tempérament d’un leader capable de reconnaître le talent de chacun et de faire confiance à ceux qui l’entourent au point de mettre sa vie entre leurs mains.
Je me souviens également de lui, inquiet du report, par l’ISIE de l’époque, des élections initialement prévues le 24 juillet 2011 tant il avait à cœur de tenir son engagement d’organiser les premières élections libres en Tunisie au plus tôt et tant l’idée de se réjouir de ces quelques semaines de plus au pouvoir lui était étrangère. Soucieux également de l’indépendance de l’ISIE, il l’a laissée fixer une nouvelle date (le 23 octobre) non sans avoir proposé toutes les modalités d’assistance possible pour que l’ISIE puisse réaliser sa tâche dans les meilleures conditions et les meilleurs délais. Respect des instances et respect des engagements.
Mais laisser le Gouvernement gouverner, l’Assemblée légiférer et respecter le rôle dévolu à chaque instance ne signifie pas pour autant, se désintéresser des affaires de l’Etat. Bien au contraire, la constitution prévoit que le Président définit les politiques générales dans les domaines de la défense, des relations étrangères et de la sécurité? nationale.
Alors je me souviens à nouveau d’une des premières décisions prises par Béji Caïd Essebsi : se rendre à Alger et à Rabat pour renforcer les liens avec ces deux pays frères tout en veillant à n’en froisser aucun puisqu’il faudra bien visiter l’un avant l’autre.
Je me souviens également de lui au cours d’un déjeuner, dressant un tableau magistral de la géopolitique régionale et méditerranéenne devant son hôte avide de conseils et impressionné par la stature de son vis à vis. C’était à l’Elysée.
Il est évident pour moi que cet homme là ne perdra jamais de vue la place et le rôle de la Tunisie tant dans son environnement maghrébin immédiat que dans ses relations avec l’Europe et le reste du monde.
Mais la constitution va plus loin puisqu’elle stipule que le Président de la République représente l’Etat.
Je me souviens alors de lui à Aix en Provence, à l’invitation du Cercle des économistes, standing ovation de la part d’un public pourtant habituellement blasé, composé de patrons, de prix Nobel, de personnalités politiques venues du monde entier.
Je me souviens également de lui à Deauville devisant tour à tour avec Ban Ki-moon, avec Angela Merkel, avec Barak Obama, forçant le respect de chacun et confirmant, en chacune de ces circonstances et s’il en était besoin, sa stature d’Homme d’Etat.
Et en chacune de ces circonstances, je suis témoin qu’il n’avait qu’un seul objectif : rétablir la confiance internationale en la Tunisie pour faire revenir les investisseurs, pour faire revenir les touristes, pour faire revenir la croissance, pour éviter que les taux d’intérêts des emprunts - indispensables à la balance des paiements - ne s’envolent. Je me souviens de lui ne se laissant griser ni par les promesses, ni par les financements offerts et encore moins par la flatterie.
Car il ne cherchait pas à plaire. Il était soucieux, avant tout, de l’intérêt supérieur de la Tunisie.
Je me souviens de tout cela en même temps que de tant de choses qui ont marqué les trois ans de présidence de Marzouki et que je préfèrerais oublier.
Alors, inutile de se demander pour qui voter, et même si certains auraient aimé avoir la possibilité de choisir, et même si certains auraient préféré une autre alternative, et même si certains auraient préféré un réel débat, il y a bien deux candidats mais il n’y a qu’un seul présidentiable !