Profession gardien de phare
Kamel, 44 ans, est gardien de phare, fils de gardien de phare. L’une des rares exceptions dans sa catégorie. Son père, Abdelmajid, avait passé 38 ans de carrière sur les îles de La Galite, Galiton Cani et Plane avant de finir par s’installer à Ras Angela.
Il prendra sa retraite en 2001. Kamel l’avait suivi partout durant sa prime enfance, et quand il devait aller à l’école, il était «descendu» à Tunis, auprès de ses grands-parents. Mais, aux moindres vacances, il revenait à la maison, au bas d’un phare. Cela a toujours été son chez-lui. Recruté en tant que civil en 1990, il suivra les pas de son père, sur le même parcours, et le voilà aujourd’hui gardien de phare à Ras Angela.
Taoufik, 42 ans, maître principal à la Marine nationale, a été lui aussi gardien de phare, mais y accédant par une autre voie : les écoles de formation. Généralement, les recrues qui s’engagent dans la carrière militaire passent par l’une de ces écoles, comme celle des quartiers maîtres à Menzel Abderrahamen. A leur sortie, ceux qui optent pour les Phares & Balises sont reçus dans un centre de formation spécialisé où ils reçoivent une instruction spécifique de 3 à 4 mois leur permettant de s’initier à la signalisation maritime, le fonctionnement et l’entretien des phares, notamment leurs optiques et les règles à respecter. Commenceront alors pour eux des stages dans des phares isolés, sur des îles. «Ils y complèteront au concret leur formation, indique le capitaine de vaisseau major Zouheir Jendli, commandant le service des Phares & Balises. Ils y apprendront la vie dans un phare, du plus simple au plus exigeant. Vivre ensemble, travailler en équipe, préparer le pain, conserver et utiliser à bon escient les approvisionnements, demander ses provisions, organiser sa vie quotidienne, gérer les imprévus et respecter les consignes. En fait, son emploi du temps est bien chargé, tant il a de tâches à accomplir».
Tout est fourni
Autant la Marine est exigeante sur le travail demandé, autant elle veille sur le confort des gardiens de phare. Des logements entièrement meublés sont mis à leur disposition. Sur les îles isolées, ce sont essentiellement des célibataires, rarement de jeunes couples, avec des enfants non encore arrivés à l’âge de la scolarisation. A terre, c’est mixte, des familles et des célibataires. Jamais un gardien n’est livré à lui-même, ils sont au moins deux, mais en fait quatre, voire cinq.
L’inventaire d’un phare est intéressant à lire. Les maisons sont bien équipées: cuisinières, frigos, congélateurs, chauffages, literie, draps et couvertures, postes télé, paraboles satellitaires, etc. Tout est fourni par l’administration (le ministère de la Défense) , des produits d’entretien aux fournitures de bureau. Grâce au taux journalier amélioré octroyé aux gardiens, ils peuvent passer commande de l’approvisionnement de leur choix. Pour les phares isolés, un ravitaillement est assuré chaque mois. Il y a de tout : fruits et légumes, lait, pâtes alimentaires, conserves, eau minérale, boissons gazeuses, jus, pain, etc. En prévision du mauvais temps qui empêcherait les opérations de ravitaillement, il faut recourir à la caisse de secours qui ne peut être ouverte que sur autorisation. En effet, lors de chaque ravitaillement, on tire des produits déjà conservés dans cette caisse et on les remplace par les nouveaux produits arrivés. Si on reçoit dix boîtes de concentré de tomates, on les place dans la caisse d’où on retire autant de boîtes qui y avaient été mises auparavant. Ainsi, la date limite de consommation est bien respectée.
Une pharmacie bien garnie est mise à la disposition des gardiens de phare et de leurs familles. Outre les trousses de secours, elle contient divers médicaments de premiers soins. Les médecins de garde peuvent être consultés à distance. En cas d’urgence, l’évacuation est organisée par vedette, voire par hélicoptère
«On finit par prendre le rythme, explique un gardien de phare. Pendant les dix premiers jours, on profite des légumes frais reçus pour faire la cuisine. Puis, on se rabat pendant les vingt jours suivants sur les pâtes et les conserves. On s’organise en conséquence. Sur nombre d’îles, il est très difficile de cultiver des légumes, la terre est rocheuse et le vent ne laisse rien pousser. Mais à terre, on peut être mieux loti et avoir des potagers». Dans l’inventaire, il y a aussi la boîte à outils : tout ce qu’il faut pour le bricolage, l’entretien électrique et mécanique, la menuiserie, la plomberie, la soudure, la peinture, les optiques, tout...
Des équipes solitaires, mais solidaires
Faut-il une équipe si fournie ? «Oui, on doit être au moins quatre pour pouvoir jouer une partie de cartes, nous répond un gardien sur le ton de la boutade, mais la vraie raison est facile à comprendre. Le régime de travail nous accorde une belle récupération pour un mois en poste. Alors avec les congés et les récupérations, on est souvent à quatre. Mais, les tâches sont nombreuses. Il faut se relayer nuit et jour, sans discontinuité, et veiller à ce que le phare soit toujours allumé de nuit. Il y a aussi toutes les tâches d’entretien de l’optique, de la machinerie, et des bâtiments. Les phares sont très exposés aux phénomènes climatiques et aux effets de la mer. Nous devons tout le temps lutter contre la corrosion, repeindre, réparer et veiller à la bonne tenue de l’ensemble».
«Dans la nuit, côtoyant les dangers, le marin a besoin de votre feu, rappelle le manuel remis aux agents de phares. Votre feu doit réaliser exactement son caractère propre, sinon le marin risquerait de le confondre avec un autre feu. Vous auriez organisé la catastrophe!». Tout doit alors être nickel : les glaces de la lanterne et les anneaux de l’optique doivent être nettoyés de manière à briller comme du cristal. Le rythme des lumières doit être exact, sans jamais varier, etc.
C’est un métier qui est fondé sur la compétence, l’expérience et l’amour du métier, avec un sens aigu des responsabilités, l’esprit d’initiative et celui de l’observation, avec méthode et dans l’ordre. Chaque détail compte. L’amour du métier ? Kamel, qui a hérité de son père cette « mission » de gardien de phare, compte-t-il la transmettre à ses enfants ? «S’ils en veulent !, répond-il sans grand espoir. Mais d’autres jeunes prendront le relais sûrement!» Les phares, c’est plus qu’une mission, c’est une passion, affirment tous ceux qui sont dans les Phares et Balises.
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