Scènes peu ordinaires de la vie ordinaire
A l’observation, tout porte à constater que le Tunisien change de mood. Tant mieux. Après la sinistrose de trois années de la Troika soufflant le chaud et le froid mais accouchant d’une consensuelle constitution, l’amabilité et le sens civique du devoir reviennent graduellement décrispant les mines et réconciliant les esprits à leurs états, sans euphorie ni paresse. Et tant pis pour les eternels grincheux.
En effet, le citoyen qui a protégé son quartier contre les intrus durant la Révolution a appris qu’il était désormais de son devoir de participer à sa propreté, sans attendre le passage irrégulier des bennes à ordures. Il témoigne de la bienveillance à l’égard des éboueurs municipaux dont l’activité pénible –et sous rémunérée- participe à la salubrité de l’environnement. La palme d’or revient içi aux habitants de la médina dont les ruelles proprettes dénotent un authentique sens citadin. Il n’y a pas de sot métier dit –on , pourvu que chacun accomplisse le sien avec conscience morale et professionnelle. Des médias ont revu leur copie pour revenir aux basiques de la déontologie et des maitres du barreau reviennent à la défense de la veuve et de l’orphelin après avoir soutiré suffisamment du grain à ceux qui se barricadaient auparavant derrière leur grenier fortifié. Des médecins redécouvrent le serment d’Hippocrate tandis que d’autres celui de l’ivrogne. La bière devient la boisson nationale la plus taxée parce qu’indexée -semble –t-il sur la promotion des arts et la culture, en général.
Coté administration, il semble que l’article 15 de la constitution ait fait son effet. Aux recettes des finances on adopte le système du récépissé nominal au lieu du timbre fiscal - autrefois tournant -à l’instar du fameux et virtuel bulletin de vote. Et si le réseau venait à faire défaut, le préposé au guichet n’hésite pas à renseigner sur la manière de remplir au bic la déclaration –rébarbative-des impôts. Par contre, les files s’allongent indéfiniment aux guichets municipaux de la capitale. Il faut compter une perte de temps de deux heures pour une légalisation de signature.Quant à obtenir un acte de naissance dans la langue de Molière , il faut se réveiller de bonheur.
Faire la navette trois ou quatre fois soit pour «défaut d’imprimé» soit pour rectifier votre genre! Par ailleurs, les agents affectés aux bureaux dits de relation avec le citoyen gagneraient à être plus formés en matière de communication et vestimentairement plus présentables. Une mention spéciale ira à celui du ministère de l’intérieur dont la courtoisie des hôtesses n’a d’égale que la célérité des agents s’agissant -par exemple- du renouvellement urgent d’un titre de voyage. Dans le même sillage, certains fonctionnaires d’ambassades bien que communiquant via des textos cybernétiques pour les visas se montrent plus compréhensifs lorsqu’on se présente in situ après avoir franchi le saut d’obstacle du gardien tunisien posté à la porte d’entrée. Cap franchi, bonjour l’extraterritorialité!
Avec un brin de curiosité , des scènes, peu ou prou ordinaires du type peuvent être par tout un chacun constatées sur des lieux publics ou privés. Elles trouveraient souvent une explication dans la méconnaissance des uns et des autres des règlements en vigueur, la bêtise du relent de l’incivisme ambiant ou le lent apprentissage du vivre ensemble ….
Et pour terminer une- vraie - anecdote : A la veille de l’élection présidentielle sur une ligne du métro, un barbu aux cheveux blancs prêche un discours « politique » mixé à la bonne parole. Aprés avoir critiqué un des candidats à la présidence de la république , il enchaine:
- Sachez que toute infraction sur terre sera, dit-il sanctionnée au ciel, le jour du dernier jugement.
Du fond du wagon –à toute heure bondé -une voix de jeune réplique:
- Sidi Escheikh et qui empochera –ce jour là-le montant de ma resquille!
Pour quelques secondes , l’ambiance se décante et presque tous les wagonés ont souri. Nos compatriotes sont indubitablement cool.
Habib Ofakhri