Moncef Marzouki, Dr Jekyll ou Mr Hyde
On était très nombreux le 20 novembre dernier à pousser un ouf de soulagement quand Moncef Marzouki nous avait annoncé qu’en cas de défaite à l’élection présidentielle, il quitterait définitivement la vie politique pour se consacrer à la lecture et à l’écriture. Naïfs comme on l’était, on l’avait cru. Enfin, un chef d’Etat arabe qui n'hésitera pas à tirer les leçons de son échec, comme Jospin, Blair, Zapatero, et bien avant eux de Gaulle en 1969. On s’en voulait presque de l’avoir injustement critiqué pendant les trois années qu’il a passées à Carthage et de lui avoir prêté de noirs desseins. Mais comment ne pas le croire ce jour-là. Il était tout miel, tout doux, parlant d’unité, de tolérance, de transition douce.
Un mois plus tard, le Dr Jekyll a enfilé le costume de Mr Hyde. C’est un autre homme qui se dressait depuis le balcon de son quartier général, haranguant la foule, diabilisant son adversaire, au lendemain du scrutin du 21 décembre, à la fois aigri par sa défaite, mais aussi grisé par les centaines de milliers de voix qui se sont portées sur son nom, lui qui avait été élu en 2011par à peine 7 000 voix et grâce aux plus grands restes. Il ne quittera pas la vie politique. Il sera le chef de l’opposition. Il annonce la naissance du Mouvement du peuple des citoyens, s'octroyant à la fois le monopole du coeur et du patriotisme. L’un de ses lieutenants claironne : Marzouki est plus grand que le CPR. Il lorgne déjà le million de voix qu’Ennahdha lui avait «prêté». Un véritable butin de guerre à la mesure de ses ambitions. Le discours œcuménique du 20 novembre a cédé le pas à un discours manichéen, populiste qui a remué les milliers de jeunes massés sur la Grand Place de l’Ariana, au lendemain du scrutin du 21 décembre. A l'en croire, Il existe deux catégories de Tunisiens : d’un côté «les forces révolutionnaires, le lumpenprolétariat, les déshérités» et de l’autre, «les bourgeois, les hommes d’affaires, l’ancien régime, l’argent sale, la contre- révolution». Dans la foule, c'est le délire. Cette loghorrée révolutionnaire, bien que passée de mode, plait encore, notamment aux jeunes en mal d'idéal. Marzouki n'a cessé de jouer sur ce registre pendant sa campagne au point d'embraser une partie du sud tunisien.
Il n'est pas indifférend de noter que ses plus farouches contempteurs se trouvent être des hommes qui l'ont bien connu pour l'avoir côtoyé en tant qu'amis, collaborateurs ou compagnons de lutte. Leurs témoignages sont néanmoins utiles parce qu'ils nous renseignent sur l'homme, ses lubies, ses faibesses, ses sautes d'humeur, en nous fournissant les pièces manquantes au puzzle qui permettent de situer le personnage dans toute sa complexité. Le résultat est édifiant : cet homme est dangereux. Il pratique le double langage. Il est imprévisible, croit avoir la science infuse et ne recule devant rien pour assouvir sa soif de pouvoir. Lors de la cérémonie de passation, le 31 décembre dernier, il affichait une mine d'enterrement, un rictus au coin des lèvres comme pour donner le change.
«Ce n’était donc qu’un homme comme les autres», s’était exclamé le grand écrivain Goethe en apprenant que Napoléon, dont il était un grand admirateur, avait trempé dans le coup d’Etat du 18 brumaire. Le militant droit-de-l’hommiste est devenu un homme de pouvoir comme les autres, sensible aux honneurs qu’il procure quitte à dresser les Tunisiens les uns contre les autres.
Il est heureux pour la Tunisie qu’entre Béji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki, entre le militant des droits de l’homme et l’homme d’Etat, les Tunisiens ont choisi ce dernier. A vrai dire, Caïd Essebsi est la parfaite antithèse de Moncef Marzouki. Que de dissemblances : le tempérament, la formation, la carrière politique et surtout le sens de l’Etat. Le premier, formé à l’école bourguibienne, en est tout imprégné. Le second en est totalement dépourvu. En trois ans, Marzouki a dévoyé l’Etat par ses accoutrements d’abord, mais aussi par ses frasques, ses revirements, son inconstance, son sectarisme et ses ingérences dans les affaires intérieures de pays voisins ou amis comme l’Egypte. Son donquichottisme l’a conduit à prendre des positions ridicules comme sa condamnation des essais nucléaires de... la Corée du Nord. Il ne sera regretté que par ses partisans et peut-être aussi par ceux qui puisaient dans ses bourdes une source inépuisable d’inspiration.
Hédi Behi
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