Son Excellence l'Ambassadeur Abdeljelil Mehiri , tel que je l'ai connu
"Lorsque les hommes bons meurent , leur bonté ne disparait pas avec eux ; elle leur survit même après leur départ" Euripide.
Il y a quarante jours, nous quittait l'un des pionniers de la diplomatie tunisienne . Il y a plus de quarante ans, je le rencontrais pour la première fois. C'était au mois d'Août 1971 . Affecté à notre Ambassade à Prague , en tant que jeune Attaché , je venais donc prendre mes fonctions dans un pays qui peinait à sortir de la douloureuse expérience de l'invasion des armées du Pacte de Varsovie qui avaient tué dans l'oeuf le Printemps entamé par Alexandre Dubcek et ses camarades .
Le lendemain de mon arrivée au bord de la rivière Vltava , j'étais reçu dans le bureau de l'Ambassadeur MEHIRI . Avec son large et légendaire sourire, Si Abdeljelil m'a invité à m'asseoir dans son salon où se trouvait déjà mon ami et collègue feu Moncef BEN AMMAR qui était le numéro deux à la Mission. Si Moncef s'occupait des affaires politiques et de presse , les questions consulaires relevaient de la compétence de M. Mohamed BEN SALAH . Restait le dossier économique et commercial que l'Ambassadeur décida de me confier .
Ses yeux pétillaient d'intelligence derrière des lunettes à la monture nacrée et une bonté diffuse se dégageait de son visage . Il m'avait tout de suite mis à l'aise. La vie n'était pas facile aussi bien pour la population locale que pour les étrangers , en ces temps là , derrière «le Rideau de fer» . Si Abdeljelil fit de son mieux pour la rendre sinon agréable , du moins supportable aussi bien pour le personnel diplomatique que pour les quelques étudiants qui vivaient en République Tchécoslovaque .
Pour nous tous, il fut un père avenant et prévenant. Avec sa charmante épouse, Ella Fatma ( ravie prématurément à l'affection de son mari et de ses enfants ), Si Abdeljelil nous recevait régulièrement dans sa magnifique résidence située dans l'un des quartiers les plus chics de la capitale.
Il m'a notamment appris à ne pas réfléchir avec mon épiderme ( dixit Mohamed MASMOUDI), mais à utiliser la raison quand il s'agit de défendre les intérêts supérieurs de la Tunisie. Jeune et exalté, j'étais encore révolté par l'immolation de l'étudiant Jan PALACH . Avec sa longue expérience et sa patience, l'Ambassadeur m' avait inculqué ce qu'est la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.
Il a surtout beaucoup fait pour que les liens d'amitié et de coopération dans les domaines économique , culturel, de la santé et de l'enseignement se développent avec les deux pays d'accréditation: la Tchécoslovaquie et la Hongrie pendant les trois années qu'il y a passées ( 1970- 1973 ).
Si sur le plan professionnel, je lui suis plus que reconnaissant, c'est surtout sur un niveau plus personnel que je lui dois tant . C'est en effet grâce à Si Abdeljelil que j'ai pu terminer mes études supérieures à Strasbourg . Non seulement , il m'avait encouragé à m'inscrire à l'Université, mais il m'a également poussé à m'y rendre régulièrement et à passer mes examens . Comme l'avait fait à Tunis Si Azzouz Lasram ( que Dieu lui accorde santé et longue vie ).
Mais l'Ambassadeur MEHIRI n'était pas seulement un diplomate chevronné. C'était également un sportif confirmé. Champion de natation, il s'adonnait quotidiennement à sa passion dans l'une des piscines de Prague. Il a essayé de m'inoculer le virus de nager , mais j'étais déjà féru d'arts martiaux que je pratiquais avec quelques étudiants tunisiens dont Rafik MEDDEB , qui suivait à l'époque des cours de cinématographie pour devenir plus tard un excellent metteur en scène.
Nombreux sont ceux qui connaissent Abdeljelil MEHIRI diplomate, sportif et même dirigeant du Club Africain, mais rares sont ceux qui savent que cet homme aux allures de gentleman racé, discret et modeste jusqu'à l'excès fut un militant tenace quand il s'agissait de défendre la cause de l'indépendance de la Tunisie au début des années 50 à l'instar de si Taieb MEHIRI. Bon sang ne saurait mentir.
Les forces occultes du colonialisme désuet et agonisant avaient attenté plus d'une fois à sa vie. En plastiquant sa voiture à Hambourg en 1958 notamment. Elles le poursuivront une décennie plus tard en plaçant une bombe dans le jardin de sa résidence de Consul Général à Marseille, en raison de son engagement pour la cause du F.L.N algérien.
L'Ambassadeur MEHIRI n'était pas à l'aise lorsqu'on évoquait ces épisodes héroïques de son existence. Sa devise était que le courage n'est pas l'audace , mais la vertu . Et vertueux , il l'était jusqu'au bout des ongles . N'a-t-il pas fait ses premières armes comme Premier Secrétaire à notre Mission à Rome aux côtés de feu Habib BOURGUIBA Jr, qui lui aussi avait hérité de son père cette vertu qui est celle d'aimer son pays au-dessus de tout!
La Tunisie, Si Abdeljelil l'avait servie aux quatre coins du globe: en Europe Occidentale et Orientale ( Italie 1957-59 ; France 1959-66; Tchécoslovaquie et Hongrie 1970-73 ; Pologne 1975-80 ) . En Afrique (Côte d'Ivoire, Ghana , Guinée et Libéria 1966-69) . Au Moyen -Orient (Koweït 1984-87). Aux Nations-Unies (New-York 1973-74).
Il fut également Gouverneur de Bizerte (1969-70 ) et PDG de Tourafric (1980-84).
Une carrière riche et bien remplie d'un grand militant doublé d'un diplomate raffiné qui doit faire la fierté de tous ceux qui le regrettent aujourd'hui et en premier lieu sa fille Chafika , ses deux fils Walid et Youssef ainsi que son frère cadet Si Abdelmajid.
Reposez en paix Monsieur l'Ambassadeur et Excellence Abdeljelil MEHIRI. Ce fut un honneur pour moi de vous avoir connu et un privilège d'avoir exercé à vos côtés!
Mohamed Mouldi Kefi