Faut-il aller au Forum de Davos?
La réponse est bien évidemment oui. A moins de verser dans un populisme suspect qui mettrait l’accent sur le coût particulièrement élevé du séjour dans cette station de ski huppée des alpes suisses, il y a toutes les bonnes raisons du monde d’y être. Car a contrario de ce que croient nombre d’observateurs on n’y parle pas qu’entre grands de ce monde.
Klaus M Shwab Président en exercice de l’organisation du Forum a fait savoir que cette 45esession réunirales dirigeants des 1500 plus grandes entreprises (5 MM$ au minimum chacune), 300 responsables politiques du monde entier ainsi que nombreuses personnalités du monde intellectuel et des médias, session donc qui devrait se dérouler dans le cadre de ce qu’il nomme «le nouveau contexte mondial». Qu’est-ce à dire?
Assuré du soutien de la majorité des membres de cette fondation, K Shwab a livré les principaux axes de discussion et d’échange: le changement climatique et l’accord attendu de la conférence de Paris (fin 2015 sur la réduction des émissions). Les risques géopolitiques de propagation des conflits et de la menace terroriste. Les dangers d’une «déflation» à l’échelle internationale, doux euphémisme pour désigner le cauchemar d’une récession qui pourrait s’étendre. Un agenda chargé, mais somme toute sans grandes surprises, si ce n’était ce choix des mots dont on connait l’importance dans ce genre de rencontres; une sémantique très codifiée: Un nouveau contexte global! Mais en quoi?
Plusieurs signes avant-coureurs témoignent d’une certaine prise de consciencede dérives dangereuses de la poursuite de recettes qui ne semblent plus marcher comme les cures d’austérité imposées à de nombreux Etats suite à la crise de leur balance des paiements. Ou bien encore le mouvement trop hiératique des monnaies qui bouscule la stabilité (la chute du peso argentin, la glissade de la livre turque ou le décrochage du franc suisse). Dans la foulée également de la nouvelle «tax bill» suggérée par B Obama, une réflexion pourrait s’engager sur l’exil fiscal des firmes multinationales et des contribuables aisées qui mettent à mal les finances publiques des Etats (évasion estimée en moyenne autour de 10%). Un possible temps fort autour de cette questiond’une nécessaire « solidarité fiscale » d’autant plus plausible que le rapport sur les inégalités de richesses de l’UBS-OXFAM a fait le buzz dans toutes les rédactions, un document explosif de seulement 9 pages, relayé et commenté par tous les médias et toutes chaines de télévision à l’échelle planétaire…sauf en Tunisie !!!
La formule lapidaire de K Shwab se fait donc l’écho d’un sentiment général que de nombreux dérèglements assombrissent l’horizon,et qui mériteraient que l’on y trouve remède. Des solutions très concrètes existent dans les tiroirs dans divers domaines d’urgence: Coté monétaire ladéfinition d’un ajustement du panier de monnaies sorte de nouvel étalon. Coté fiscalitéune taxe type Tobin,la levée du secret bancaire, etl’harmonisation des législations anti-paradis fiscaux. Coté lutte contre le terrorisme et le fanatisme, la réhabilitation de politiques sociales proactives et le renforcement des moyens pour de l’éducation. Resterait à réunir toutes les bonnes raisons d’une volonté commune. Des considérations certes planétaires aux débouchés très incertains!
Alors en quoi serions-nous concernés? Faut-il céder aux sirènes des détracteurs qui ne voient dans cette réunion que l’incarnation renouvelée de la domination économique occidentale, de la gouvernance libérale? Certes, mais la politique de la chaise vide nous priverait de précieuses rencontres, et ainsi prendre le risque de rompre le processus de reconstitutiondu capital de sympathie dont nous avons tant besoin.
Encore faudrait-il que nous nous y soyons préparés. Que des contacts préalables aient été organisés. Que nos dossiers soient convenables étayés et ficelés.
Mais là, en l’occurrence le doute est permis.
Le premier ministre en exercice mais sortant a indiqué qu’il y serait. Soit! Mais pour y dire et faire quoi? Pas l’ombre d’une indication comme si sa présence n’était qu’une simple formalité protocolaire : Représenter la Tunisie…un peu court, tout de même. Sans doute devrait-il être accompagné du gouverneur de la Banque Centrale…qui luia de nombreuses préoccupations qu’il souhaiterait voir partager par ses homologues. Mais là aussi aucune précision, aucune requête particulière ni plaidoyer annoncé!
Il est vrai que nous sortons d’une longue période d’élections et que le jeu démocratique de l’exercice du pouvoir politique est encore balbutiant. A preuve, l’interminable composition du nouveaugouvernement qui montre, si besoin était, que les mœurs de notre classe politique sont loin d’avoir changé. Pire nous sommes toujours enfermés dans cette logique détestable des « arrangements et des accommodements ». Alors, il y a fort à parier que nos demandes de soutien, auront été insuffisamment préparées par une administration centrale en attente, depuis bientôt deux mois,d’instructions claires.En outre et à en juger par l’intensité des tractations autour des nominations, on se demande à quel moment les partis et leurs ministrables auraient trouvé le temps de discuterpuis de s’accorder sur un contenu programmatique commun concret, présenter une vision unifiée. Plus généralement et s’agissant de ministres du gouvernement sortant, embourbés dans un nouveau soubresaut de conflits sociaux, on imagine leur peu d’empressement pour aller arpenter les couloirs du Forum, prendre la parole en séance plénière, multiplier les rencontres, organiser des points de presse…le cœur n’y est pas comme dit l’expression ! Encore une histoire de rendez-vous manqué…possiblement! Pourtant plusieurs thèmes de cette 45e session nous concernent au premier chef.
Illustration : La probabilité, de voir la Banque centrale européenne annoncer un rachat de dettes souveraines le 23 janvier, est de plus en plus forte. Confortée par la Cour de Justice de l'UE, Mario Draghi et son conseil d’administration pourrait décider de mettre en œuvre ce programme d'"assouplissement quantitatif" (Quantitative Ease) en achetant aux banques la dette souveraine de certains Etats, afin de faire relâcher l’emprise des effets dévastateurs des politiques austéritaires. Du coup cela pourrait aussi constituer un «effet d’aubaine» pour nous, permettant à notre banque centrale d’engager un dialogue sur un possible réaménagement de notre dette….Qui ne tente rien, n’a rien!
Seconde illustration : l’un des thèmes centraux de ces rencontres sera la relance des grands programmes d’infrastructures. Dans son adresse, sur «l’état de l’union» B Obama a donné le ton. Le fléchissement continu du taux d’investissement (mais aussi observé un peu partout ailleurs) et ses effets néfastes sur la croissance exige une contre action, celle de la relance des infrastructures publics. Dans la foulée le Roi Abdullah II de Jordanie ne va pas manquer de marquer les esprits en demandant la mise en œuvre d’un programme mondial de développement des infrastructures et services numériques. Chose à laquelle pense sérieusement la BM et pour laquelle nous aurions pu apporter notre concours et soutien.
Sommes-nous scotchés par nos problèmes internes au point de n’avoir rien à dire, ni peut être espérer obtenir s’agissant des grandes questions qui agitent la planète?
A naviguer sur le site du Forum, une surprise de taille saute aux yeux : Une absence totale de toute référence, cette année, à la Tunisie. Il faut remonter à 2011 et 2012 pour trouver la trace d’une présence active….
Alors simple question à notre classe politique: Mais où est donc passé ce souffle des premiers temps de cette révolution qui nous faisait aller défendre nos couleurs haut et fort dans cette instance privilégiée du concert des nations ?
Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement