Commémoration de l’abolition de l’esclavage en Tunisie, les leçons de l’histoire
En ces jours où la Tunisie semble se réconcilier durablement avec ses bonnes traditions réformistes, elle commémore aussi le 169éme anniversaire de l’abolition de l’esclavage, événement qui inaugura l’ère du réformisme tunisien et le débat pour une nouvelle société qui s’en suivit.
Au delà de l’évènement qui mérite qu’on s’y attarde un instant, il y a plus d’un enseignement à en tirer.
Ce n’est pas un hasard si la Tunisie fut le premier pays de la rive sud de la Méditerranée à avoir aboli l’esclavage ; pas seulement la rive sud, mais de tout le bassin de la Méditerranée si nous considérons que l’abolition française de l’esclavage dans les colonies n’intervint qu’en 1848. En effet, les élites tunisiennes, issues de l’école polytechnique du Bardo, de la zeytouna et réunies autour du prince réformateur Ahmed bey 1er étaient particulièrement attentives et réceptives face au bouillonnement des nouvelles idées libérales et idéaux humanitaires portées par les passeurs d’idées et nouveaux intellectuels qui voyageaient et importaient à Tunis même, nouveaux produits et concepts nouveaux. Ibn abi Dhiaf en cite des exemples dont Ahmed faris al-chidiyaq, intellectuel libéral d’origine syro-libanaise qui introduisit en Tunisie l’imprimerie et diffusa en même temps les nouvelles idées libérales dont celle de la nécessité d’abolir l’esclavage. Ce que la méditerranée apporta à notre pays, ce n’était pas uniquement l’entrée précoce du pays dans le mercantilisme, c’était aussi la libre circulation des idées qui ont fini par mettre Tunis au rythme de la modernité et de l’humanisme triomphant. A la suite d’Ahmed bey, des réformateurs tels Kheireddine et le général Hussein allaient continuer cette marche réformatrice avec plus d’éclat et de vigueur.
Deuxième enseignement à tirer de cet événement : la vitalité de l’esprit éclairé et de l’ijthad des grands cheikhs de la Zeytouna. En effet, le prince Ahmed bey, en bon monarque éclairé, adossé à l’institution zeytounienne ne manqua pas de s’appuyer sur l’avis des deux Muftis malékite (cheikh Ibrahim Riyahi) et Hanéfite (le Cheikh Bayrem).
Là aussi, la sentence des deux savants exprimait sans équivoque la vocation humaniste et rationnelle de l’Islam tunisien. Les deux maîtres mots des fatwas prononcées furent « L’aspiration naturelle de l’homme à la liberté et le principe des droits humains à respecter « Tachawouf al-insan ila al hurriyya, wa al-mauamala insaniyya ». En puisant dans les valeurs humanistes de l’Islam, l’effort d’interprétation allait conforter des choix qui vont inscrire le pays en entier dans la nouvelle histoire en marche.
Certes, la pratique ne suivit pas mécaniquement le droit ; en effet malgré la réussite de la réforme et la libération des milliers d’esclaves à Tunis comme dans les grandes villes du royaume, la résistance de l’esclavage se maintenait, notamment dans le sud oasien et les zones tribales, où l’esclavage répondait aussi à des besoins économiques et aux vieilles habitudes des chefferies tribales. D’ailleurs, l’une des revendications des chefs de la révolte tribale de 1864 était le retour à la pratique de l’esclavage. Mais le droit a fini par vaincre et par transformer et les habitudes et la norme.
Que tirer de cette histoire dont nous sommes fiers : tout simplement que la dimension méditerranéenne est bien inscrite dans notre histoire et notre destinée, et ce n’est pas la volontaire omission de cette dimension dans le texte de la Constitution qui va effacer cette histoire. L’histoire se charge toujours de réparer les erreurs des hommes. L’Islam, comme tout système de croyance est appelé à répondre aux aspirations des hommes pour une vie meilleure, sinon c’est la sclérose et l’aliénation face aux dogmes qui s’installent.
Enfin qu’attendons nous pour inscrire l’esclavage, son histoire et son abolition dans nos livres d’histoire comme l’une des meilleures introductions à l’histoire des droits humains dans notre pays. Cette revendication, nous l’avons formulée dans nos colloques et séminaires avant et après la révolution.
Dans ce contexte bouillonnant, des voix s’élèvent parmi nos concitoyens de couleur et qui dénoncent à juste titre les mille et une brimades et humiliations qu’ils subissent au quotidien. Il n’est plus admissible, dans ce pays qui s’enorgueillit des ses antécédents en matière de liberté et de dignité que de pareils agissements soient tolérés. Il y va de notre dignité.
Abdelhamid Larguèche