Lassé par tant de tiraillements, frustré par tant de concessions, Abdelhamid Jellassi, 50 ans, vice-président d’Ennahdha et président du comité électoral a fini par jeter l’éponge et remettre sa démission de ses fonctions tout en restant dans les rangs. On pouvait s’attendre à ce geste de tous sauf de ce militant coriace qui a enduré sans le moindre gémissement torture, privations et brimades durant plus de 16 ans d’emprisonnement. Pour cet ingénieur en chimie diplômé de l’ENIG (Gabès), originaire de Menzel Temime, formé au sein du mouvement scolaire islamiste puis l’UGTE, son engagement au sein du Mouvement de la Tendance Islamique (MTI), converti en Ennahdha, devait être irréductible. Dans la famille, il n’était pas le seul à payer. Sa femme aussi, Mounia Brahem, enseignante, l’avait suivi de prison en prison, pour le soutenir, subissant son lot de surveillance, harcèlement policier et pressions psychologiques, entre deux arrestations.
A peine remis en liberté en 2006, Abdelhamid Jelassi replongera dans la clandestinité pour travailler avec Hamadi Jebali, Ali Laarayedh et d’autres compagnons de lutte à la reconstruction du Mouvement.Il prendra à bras le corps cette mission après le déclenchement de la révolution, en s’occupant plus particulièrement de l’ensemble de l’intendance administrative et financière et sera chargé de la campagne électorale pour les élections du 23 octobre 2011.L’appareil, c’est lui, en tête de l’iceberg immergé et peu connu d’Ennahdha. La voix rauque, suite à une maladie contractée en prison, le verbe précis et le message percutant, Abdelhamid Jelassi est l’homme qui compte dans l’organigramme, tout près du chef du parti, Rached Ghannouchi.
S’il n’intègre pas les gouvernements successifs de Hamadi Jebali et d’Ali Laarayedh, c’est pour rester garder la maison à Montplaisir. Incontournable dans toutes les grandes décisions, il fait partie des véritables rares hommes clefs. On le retrouvera de nouveau à la tête du comité électoral pour les législatives d’octobre 2014, déployant la même énergie, veillant à la stratégie opérationnelle, fournissant le soutien logistique demandé par les troupes. Affligé par les résultats du scrutin, il nous déclarait le soir-même qu’il faudrait "faire preuve de beaucoup de patience et de clairvoyance الصبر و التبصر ».
Le choc était dur, mais habitué à pire, Abdelhamid Jelassi était capable d’encaisser beaucoup plus lourd. Si le départ de Hamadi Jebali, le 11 décembre dernier donnait un signal politique significatif, la démission de Jelassi prend une dimension également opérationnelle, tant il est aux commandes directes de l’appareil. Ses compagnons ne désespèrent pas de le raisonner pour le faire revenir sur sa décision. Ils avaient essayé de faire de même auparavant avec Jebali, sans enthousiasme, ni insistance, mais avec Jelassi, il semble qu’ils y iront avec plus de conviction.
Lorsqu’il avait été arrêté, il avait laissé sa femme enceinte de leur fille qu’il n’a revue que plus de 16 ans après.Juste avant de replonger dans la clandestinité et la revoir trois ans plus tard alors qu’elle s’apprêtait à convoler en justes noces. Une part de lui-même lui était échappée, et ce n’est pas son unique sacrifice personnel vécu dans la chair. Tout cela finit par lui remonter en surface et l’amener à se remettre en question. Quel sens doit-il donner à son engagement ?