Opinions - 04.02.2015

L'emprunt obligataire : pourquoi cette précipitation ?

Emission obligataire en dollar
Beaucoup d’encre a coulé depuis qu’on nous a annoncé la sortie de la Tunisie sur le marché obligataire américain. Des débats télévisés ont été, même, tenus pour tirer au clair les tenants et les aboutissants de cette opération. Je ne voudrais pas m’étendre sur la légitimité de l’opération, je vais tout simplement en analyser l’aspect opportunité. 
 
Mr. Moez Labidi a développé, dans son dernier article, tous les facteurs qui montrent la portée limitée de cette sortie et ses retombées financières. Je partage son analyse. Sur un autre plan, on nous a présenté cette opération comme une première et la Tunisie ne devrait en tirer que fierté. Il faut, pourtant, revenir à l’histoire pour relever que la TUNISIE n’en est pas à sa première opération. Pour avoir été pendant de longues années responsable de ce secteur à la tête d’une pléiade de jeunes experts, cette opération peut être qualifiée d’inopportune, On ressent, à l’écoute de ceux qui ont piloté cette transaction, la hâte, la précipitation et même la soif d’expérimenter une telle opération sans parler de ce fameux ROAD SHOW qui permet, entre autres, aux responsables de faire le tour des places financières alors qu’ils sont au seuil de la sortie du gouvernement. 
 
Pour revenir à l’opportunité, je pense qu’il aurait fallu se retenir jusqu’ à connaître la physionomie du nouveau gouvernement et son investiture en ce qu’il renseignerait le marché sur l’étendue et la pertinence de son programme, sur les soutiens dont il bénéficierait et sur les compétences appelées aux commandes de la nouvelle gouvernance. Aujourd’hui, que le gouvernement, qu’on qualifierait volontiers d’un gouvernement de salut national est constitué, nous sommes en droit d’espérer une lecture très positive des marchés et une très probable amélioration de notre rating.  Sous cet angle, la tâche devrait, donc, revenir à la nouvelle équipe pour engager des ROAD SHOW, non d’emprunt pour lever des fonds comme il fut fait, mais plutôt d’exercice de préparation et d’information aux marchés, Cela fut conduit et vécu durant la deuxième moitié des années quatre vingt, années où le pays était au bord du précipice. Paris, Londres, Tokyo, et Manama furent préparées et sollicitées à coups d’informations et de communications. Les résultats furent très positifs assurant une sortie de crise sans dégâts. L’opportunité, pour la présente opération, n’est donc pas avérée.
 
Par ailleurs, l’on sait que lors du ROAD SHOW, l’on est amené à présenter aux marchés l’évolution attendue de l’économie tunisienne dans tous ses agrégats, politiques, économiques, financiers, sociaux et sécuritaires, à évoquer les perspectives de croissance, d’équilibres budgétaires, de prélèvements obligatoires et fiscaux, de ressources autres telles les privatisations, de paiements extérieurs, des prix et des salaires et de leur évolution sur la période d’engagement, soit dix années. Tous ces aspects, tous ces paramètres sont du ressort exclusif de la nouvelle équipe gouvernementale qui l’inclura dans son programme fondamental d’action, Il n’est, donc, permis à aucun d’en évoquer le profil en dehors des autorités qui seront bientôt, dans quelques heures, aux commandes du pays.
 
Quant aux conditions, il faut en parler plus longuement.l’emprunt obligataire s’évalue en sus du coupon, par les autres charges qui lui sont connexes. De menues charges et commissions grèvent l’engagement. Il s’agit, entre autres, des commissions de souscription, de placement, de gestion, de recouvrement pour ne citer que l’essentiel, sans oublier les flat fees. Il est, en outre, d’usage qu’une émission s ‘effectue à un prix : au nominal, en prime ou en décote. Tous ces éléments doivent être intégréset contribuent dans la détermination du coût effectif de l ‘opération. Quant au coupon, il me semble qu’il se situe à un niveau exagérément élevé, par référence aux niveaux actuels des taux à long terme. La différence représente la rémunération des  risques encourus par le souscripteur. 
 
Par ailleurs, il faut reconnaître que cet emprunt, émis dans les conditions connues, constituera, avec l’ensemble de ses composants, la référence pour les opérations futures.Il faudra beaucoup de temps, un travail ardu et une expérience affutée et confirmée pour s’en détacher et en améliorer les conditions. Enfin, l’on se rappelle l’initiative de si BEJI lors du sommet du G8 en 2011, où il fut question d’un plan d’aide et de relance de l’économie tunisienne. Où pourrait-on situer cette démarche après cette opération faisant appel aux fonds privés alors que son architecte est aujourd’hui Président.  Aura-t-elle une chance d’être ressuscitée après « l’engouement » du marché international à l’égard de cet emprunt. Cet espoir risque d’être définitivement compromis à moins d’un miracle, d’un coup de maitre.
 
Abdelmajid Fredj