Blogs - 09.02.2015

Nidaa Tounès : mais qu'attend donc "Si Béji" pour siffler la fin de la récréation ?

Nidaa paye la rançon  de ses succès

Créé en 2012, Nidaa Tounès s’est inscrit d’emblée dans une dynamique de victoire, enchaînant les succès jusqu’à devenir le premier parti du pays, alors que son président s’installait à Carthage.Curieusement, le spectacle qu’il nous offre, aujourd’hui, n’est pas celui d’un parti conquérant et sûr de lui-même, mais d’une formation doutant de tout, incapable de parler d’une même voix, paralysée qu'elle est par ses querelles intestines, tel un attelage où les uns tirent à hue quand les autres tirent à dia. Un vent de folie souffle sur le parti. Les dirigeants de Nidaa étalent leurs désaccords sur la place publique, se soupçonnent des pires desseins, n’épargnant même pas le président à qui revient, pourtant, le mérite d’avoir créé le parti avant de le porter sur les fonts baptismaux et de le hisser là où il est aujourd’hui. Affranchis de la figure tutélaire de Béji Caïd Essebsi, certains de ces dirigeants sont même pris d’un besoin irrépressible de tuer le père, l’affublant des pires épithètes, après s’être répandus en obséquiosités à son endroit. Quand la contradiction dialectique tourne à la foire d'empoigne, quand le fossé entre les différents courants devient infranchissable, rendant la situation difficilement gérable, la diversité des opinions cesse d’être une source d’enrichissement du débat interne, pour se transformer en mélange détonant. Cela est d'autant plus vrai que Béji Caïd Essebsi n'est plus là pour pratiquer la procrastination qui lui avait réussi par le passé pour calmer le jeu, et forcer les protagonistes à poser, tout sourire, pour la photo de famille pour donner le change. Au lieu de tenter de rémédier à cette situation, on a préféré se réfugier dans la méthode Coué, relativiser ces divergences, prétendre qu’elles sont intrinsèques à la diversité des tendances au sein du parti, pour, enfin, arriver à la conclusion qu'il n’y a pas lieu de s’en inquiéter.

A vrai dire, Nidaa Tounès est en train de subir les conséquences de son péché originel. Parti attrape-tout, il a ratissé large sans le moindre criblage, privilégiant ainsi la quantité au détriment de la qualité. Nidaa compte une centaine de milliers d’adhérents venus de tous les horizons, où le meilleur côtoie le pire : entre les vrais patriotes et les militants sincères mus par le seul souci de sauver le pays d'un côté et les opportunistes qui ont mangé à tous les râteliers et les spécialistes du nomadisme politique, à l’ambition inversement proportionnelle à leurs qualités intrinsèques, de l'autre, le clash était inévitable.

Au lendemain des élections législatives, alors que les militants d'Ennahdha fêtaient bruyamment...la deuxième place de leur parti, ceux du parti vainqueur, en l'occurrence Nidaa Tounès affichaient un profil bas. Et pour cause : comment engager les réformes profondes que le parti avait promis à ses électeurs avec une majorité relative ? La question a été retournée dans tous les sens. En l'absence d'un soutien franc du Front populaire, l’apport du parti islamiste devenait inévitable dans tous les cas de figure. Il fallait en convaincre les Tunisiens. Le syndrome d'Ettakattol était encore dans tous les esprits. Mais les cadres du parti avaient tout simplement la tête ailleurs à Carthage pour les uns, au Bardo, pour les autres. Ils se voyaient déjà au pouvoir pendant plusieurs années comme leurs prédécesseurs d'Ennahdha. L'heure était au partage du butin. Faute d'avoir su gérer ses victoires, le parti n'est plus que l'ombre de lui-même. Le scénario-catastrophe que tout le monde redoutait. Aujourd'hui, on assiste à ce qui s'apparente à un processus d'autodestruction. Et du coup, c'est le retour du statut quo ante qui apparait en filigrane. l'hégémonie d''Ennahdha, la résurrection d'une nouvelle troika. Deux victoires électorales en deux mois pour retourner à la case départ. De quoi désespérer des centaines de milliers d'électeurs qui avaient cru au matin après la longue nuit intégriste.

En 1947, le chef de la France libre créait le Rassemblement du Peuple Français pour combattre à la fois  le régime parlementaire  et l’hégémonisme des communistes. Le succès est immédiat. Un demi-million d’adhérents dès la première année. Il recrute dans tous les milieux et les courants politiques et enchaîne les victoires aux élections cantonales, régionales, municipales et législatives. Commence alors un travail de sape de la part de ses aversaires.Ses meetings qui  attirent de plus en plus de Français sont perturbés par les milices communistes aux cris de «A bas les fascistes ». Le RPF est confronté à un véritable ostracisme de la part des autorités. Ses activités sont ignorées par la télévision publique. En 1952, des dissensions éclatent et aboutissent à une scission. L’année suivante, il perd les élections municipales. En 1955, le RPF, exsangue, se saborde.  

On a l’impression de revivre les premiers pas de Nidaa :la personnalité charismatique des deux fondateurs, la prétention commune à mettre fin à l’hégémonisme du parti dominant, le succès immédiat, l’ostracisme des autorités et de la télévision, le sabotage des meetings, le caratère attrappe-tout des deux partis, ces communistes qui ressemblent tant à nos LPR », et ce slogan «A bas les fascistes» qui est le pendant français de notre  «A bas les azlem». Il ne tient qu’aux dirigeants et militants de Nidaa de faire leur profit de cette expérience et d’éviter à leur parti le sort du RPF. Ils devraient mettre une sourdine à leur différends et en finir avec cette attitude suicidaire dans laquelle ils semblent se complaire, non seulement pour le bien de ce parti, mais aussi et surtout pour l'avenir de la démocratie dans notre pays.

Qu'attend donc Si Beji pour siffler la fin de la récréation ?

Hédi Béhi