Le sénateur américain John McCain, en Tunisie ce week-end, a exprimé sa fierté d’y être, signalant sa certitude que notre pays vit un « moment marquant de son histoire ». Il a également fait part de son optimisme quant à la réussite de l’expérience tunisienne, un modèle pour le monde arabe et islamique en termes de libertés et de respects des droits humains.
La délégation du Congrès conduite par le sénateur est venue, en effet, apporter le soutien de l’ami américain à la nouvelle Tunisie pour aider sa « démocratie naissante à sortir victorieuse de a conjoncture régionale et mondiale périlleuse ». Elle a salué notamment le fait que le rétablissement dela sécurité soit le premier souci du nouveau gouvernement entré dans le même temps en fonctions, précisant ce qui tombe sous le sens, à savoir que « cela permettra de renforcer le partenariat entre les deux pays dans ce domaine ».
Voilà pour l’écume des choses si l’on ne va pas aller aux creux des apparences. Quid toutefois du dessous des cartes?
Il n’y a de sécurité que juridique
On le sait et tous les observateurs, notamment juristes, politistes, psychosociologues et historiens le diront : il n’y a de véritable sécurité que si elle est d’abord juridique. Or, il n’en est rien en Tunisie, le pays continuant de relever de l’arsenal juridique de la dictature où les entorses aux droits humains sont nombreuses. Ce qui mine la nécessaire confiance dans le gouvernement et son action.
Aussi, la question qui se pose légitimement avec la visite de la délégation américaine est de se demander si elle signifie que l’intérêt de son pays pour la Tunisie est une pure question sécuritaire, au sens militaire presque ? Traduit-elle une intention arrêtée de faire de notre pays coûte que coûte un marché ouvert, et de force s’il le fallait, au capitalisme mondial dans sa déclinaison la moins avenante, celle qui ne s’embarrasse pas de sauvagerie ?
En effet, abordant l’appui économique de son pays à la Tunisie, le sénateur s’est limité à une lapalissade, évoquant les opportunités multiples qui existent — comme si on ne le savait pas — et la possibilité d’envisager une convention de libre échange, laquelle ne serait nullement tout bénéfice pour la Tunisie dans les conditions actuelles de déséquilibre des rapports internationaux.
Manifestement, l’ami américain demeure fidèle à la vision occidentale réductrice de ses rapports avec une Tunisie où comptent seuls ses intérêts, notre pays étant désormais « propice aux investissements », comme l’a bien précisé M. MacCain. Ce qui veut dire, en langage clair, à un possible capitalisme dévergondé, un libéralisme outrageant, car sans éthique.
Or, cela ne suffira point, sauf à faire revenir en arrière le pays, avec une main de fer au pouvoir. En effet, pour que cela soit possible dans l’État de droit qu’on cherche à faire naître dans le pays, il est absolument nécessaire de toiletter son arsenal juridique des lois scélérates. On vient, au reste, d’avoir une illustration éloquente avec un touriste étrangerdont les conséquences seront catastrophiques pour notre tourisme et notre morale islamique violée au nom justement de fausse morale officielle.
Bien plus que les États-Unis et l’Europe ne veulent le reconnaître, ils peuvent agir en ce domaine, comme ils le font dans d’autres, en mettant la pression sur le gouvernement pour ne plus tarder à décréter pour le moins un moratoire à l’application des lois les plus contestables. C’est cela qui aidera au retour de la confiance, principal moteur de la nécessaire reprise économique, et ce bien avant les fameux investissements ne pouvant avoir d’effet que dans un climat de libertés et non de contraintes.
Or, lerégime coercitif d’antan ne saurait plus être accepté par un peuple réveillé à sa force sociétale, du fait entre autres des changements majeurs qui ont affecté le monde,n’autorisant plus un recours aux concepts périmés régissant encore lesrelations internationales sans graves dommages immédiats.
Accompagner la maturité du monde
L’ami américain peut vraiment aider la Tunisie dans une œuvre qui la dépasse, son modèle s’il vient à réussir ayant forcément des retombées internationales. Pour cela, il doit le faire en décidant de contribuer activement à la transformation radicale de la nature des rapports multilatéraux dans un monde qu’il domine et qui est arrivé à une maturité nécessitant qu’on cesse une politique puérile.
Ce qui revient à dire qu’il a l’obligation de donner le signal de rupture officielle avec le paradigme ancien qui ne tiendra plus avec l’arrivée du nouveau en cours d’installation. Une telle rupture se traduira entre autres par un acte éminemment stratégique, étant gros de conséquences, et qui est la courageuse décision de l’ouverture des frontières devant les hommes et non plus seulement aux marchandises.Car tout le reste ne relève que de la littérature de gare !
Parler de sécurité et d’investissements dans un pays qui étouffe à cause de la fermeture des frontières, où les jeunes sont obligés pour vivre de choisir l’aventure, c’est se condamner d’office à l’échec !Il faut donc que ces jeunes soient détournés de l’aventure terroriste dont ils se font d’ailleurs les chefs à force de désespoir, ce qui renseigne sur la gravité de leur mal-être malgré ou à cause de leur maturité attestée politiquement dans le pays.
Or, sans en être seule responsable, la fermeture des frontières en est une cause majeure, et leur ouverture est la seule en mesure de réaliser le choc psychologique nécessaire au salut. Il faut l’admettre, les solutions répressives et purement sécuritaires privilégiées aujourd’hui de par le monde seront inefficaces dans un monde où les États ne sont plus les seuls à agir. À force de désenchantement d’un monde fini dans sa conception antique, de tels États sont devenus quantité négligeable face à des groupes déterminés ; et le désespoir peut être une matrice de la volonté.
Aujourd’hui, il faut tenir compte de l’imaginaire des gens et leur permettre de rêver à défaut de manger à leur faim, puisque la sagesse populaire dit « Qui dort dîne ». Or, qui dort rêve aussi !Et pour nombre de jeunes le rêve est aujourd’hui dans la nécessaire liberté de circuler, de bouger, de voir du pays, d’aller à la rencontre d’autrui afin de ne pas le rejeter comme il les rejette. C’est fatal et banal à la fois à comprendre.
Les États-Unis pourraient aider sérieusement à ce que le modèle tunisien réussisse ; c’est même leur responsabilité en tant que chef de file de l’Occident qui demeure cet horizon incontournable pour la Tunisie. Ils le feront en donnant l’exemple pour l’ouverture inéluctable des frontières, ayant le courage d’ouvrir les siennes aux Tunisiens en transformant le visa actuel en un visa biométrique de circulation, outils qui finira pas s’imposer tôt ou tard.
Cela aura certes peu d’impact sur les rapports tuniso-américains, la communauté tunisienneoutre-Atlantique y étant réduite ; mais cela aura un impact capital et de pure positivité mondiale sur les rapports tuniso-européens, en déterminant l’Europe à s’inspirer de l’exemple américain, l’amenant enfin à répudier son dogmatisme actuel en matière migartoire en Méditerranée pour y ériger un espace de démocratie.
À ce propos, ayant déjà appelé l’ambassadeur américain en Tunisie à pareille initiative salutaire, et je lui renouvelle ici cet urgent appel : Open letter to the Ambassador of the United States in Tunis : Consolidate the gains, Mr. Ambassador !
C’est la seule action véritablement utile en l’état actuel des choses, tout le reste n’étant que du baratin diplomatique cachant mal des intérêts purement mercantiles en un monde qui a soif d’éthique. Aussi, plus que jamais, la politique gagne à réussir sa transfiguration afin d’être une « poléthique ».
Farhat Othman