Avant de rejoindre le gouvernement Mehdi Jomaa, Hakim Ben Hammouda, notamment, partageait avec les lecteurs de Leaders ses analyses. Retrouvant sa liberté d’action, l’ancien ministre de l’Economie et des Finance, et économiste reconnu, reprend ses chroniques, en retour au bercail. Bienvenue !
A la fin de l’année 2013 j’ai décidé de rejoindre l’équipe constituée par Mehdi Jomaa pour conduire la dernière phase de transition. Une année riche en expériences, rencontres et débats. Mais, aussi une année remplie de défis à relever, de décisions à prendre et à mettre en œuvre dans l’urgence pour parer des fois au plus pressé. Et au bout de cette année, nous remettons le flambeau au gouvernement de Si Habib Essid avec le sentiment du devoir accompli.
Il faut dire qu’au moment où Mehdi Jomaa avait accepté de conduire cette phase de transition le pays sortait de la plus grave crise post-révolution. En effet, après l’euphorie des moments révolutionnaires des deux premières années, les pays du printemps arabes étaient entrés dans une période de doutes et d’incertitudes dès la fin de l’année 2012. Certains d’entre eux ont sombré dans la violence. C’est le cas de la Syrie où l’échec dans l’organisation d’une transition politique civile a été à l’origine de l’explosion d’une guerre civile qui a détruit le pays sans nécessairement déboucher sur une sortie de crise. Les autres pays du printemps arabe, sans atteindre la violence de la crise syrienne, se sont trouvés confrontés à une crise profonde et un éclatement de la société. Entre les succès de l’Islam politique, fort de ses victoires électorales après les premières élections démocratiques organisées dans nos contrées, et dont responsables cherchaient à imposer le modèle de l’Etat islamique et de la charia, et les forces démocratiques et de la société civile qui avaient décrété la désobéissance civile pour résister aux projets islamistes et imposer des projets inspirés de la modernité occidentale, les pays du printemps arabes étaient en pleine tourmente. Des situations difficiles qui ouvraient une grande période d’instabilité et indiquaient que les transitions politiques ne sont pas de longs fleuves tranquilles.
La Tunisie n’a pas échappé à ces tourments. Entre tentation d’enchantement et dissidence citoyenne, notre pays a connu une crise politique majeure. Cette crise a été portée à son paroxysme avec l’avènement de la violence sur la scène politique. Ainsi, les assassinats de Chokri Belaid, de Haj Mohamed Brahmi et les attaques contre les forces militaires ont mis le pays au bord de l’irréparable. Et, la peur que la révolution tunisienne sombre dans l’abîme devint alors une réalité. Cette inquiétude, ces peurs et une vieille tradition de dialogue héritée du réformisme tunisien ont emmené l’élite politique à ouvrir les voies du consensus afin d’échapper à cette crise annoncée. Ce qui fût fait après de longues et interminables discussions conduites par le quartet.
Notre pays a pu échapper à la descente aux enfers que d’autres pays du printemps arabes ont connue. L’adoption consensuelle de la Constitution à la fin du mois de janvier 2014 a été le premier pas dans cette sortie de crise. La nomination de Mehdi Jomaa et la formation d’un nouveau gouvernement de compétences indépendantes pour conduire la dernière étape de la transition a été la seconde étape dans ce scénario.
C’est dans ce contexte que la nouvelle équipe est arrivée au pouvoir. Un contexte marqué par les séquelles d’une crise politique profonde, l’accroissement du défi terroriste et une importante dérive économique. Le quartet avait fixé la feuille de route du nouveau gouvernement avec comme priorités l’organisation des élections législatives et présidentielles, la lutte contre la menace terroriste et l’amélioration de la situation économique. Un programme de l’ampleur de l’œuvre de Sisyphe et qui exigeait probablement un haut degré d’inconscience et une grande dose d’engagement pour accomplir cette tâche en moins d’une année.
Au niveau politique, la crise de l’année 2013 et la perte de confiance entre les différents acteurs politiques avaient pesé de tout leur poids tout au long de l’année. Et, pourtant il fallait s’atteler à des tâches aussi lourdes que celles de la révision des nominations pour s’assurer de la neutralité de l’administration, du contrôle des mosquées. Mais, la tâche la plus lourde concernait l’organisation des élections. Une tâche d’autant plus difficile qu’il fallait désigner la commission électorale, définir le code électoral et enregistrer les électeurs. Pour beaucoup l’organisation de ces élections était de l’ordre du miracle et certains étaient prêts à accepter un report des élections. Mais, nous avons maintenu le cap car nous étions persuadés qu’il était nécessaire que cette phase de transition se termine au plus vite. Le gouvernement a redoublé d’efforts pour réussir cette étape et faire de ces élections un nouveau moment de communion populaire comme le furent celles de 2011. Et, ce fut une grande réussite. Les trois tours de ces élections ont été un important succès tant en terme de participation comme d’organisation. Les résultats ont été largement acceptés et la fin de ce processus nous a permis de mettre en place les nouvelles institutions élues de manière démocratique.
Au niveau sécuritaire et après des années de déstabilisation des forces de police, le pays avait les plus grandes difficultés à répondre aux attaques terroristes. Les terroristes avaient pris le temps de s’installer et de bien préparer leurs attaques mettant en danger notre modèle de transition démocratique. Et, il fallait agir fort et vite. Une nouvelle stratégie a été mise en place basée sur le retour de confiance des forces de sécurité dans leur capacité, l’implication des populations dans le combat anti-terroriste, une plus grande coordination entre les forces de sécurité et des efforts en matière d’équipement en dépit des difficultés des finances publiques. Une stratégie qui a porté ses fruits et qui a permis aux forces de sécurité de passer à l’offensive et de renverser la tendance et d’anéantir les capacités des forces terroristes.
Au niveau économique, la crise politique a été à l’origine d’une plus grande détérioration de l’environnement économique au début de l’année 2014. La croissance était en berne, les finances publiques en crise avec des doutes sur la capacité de l’Etat à assurer ses engagements, l’inflation forte, le déficit courant à son apogée et la confiance de la communauté internationale perdue. Là également le défi était énorme et il fallait réagir au plus vite. Une large consultation et un dialogue économique national ont été organisés sur les priorités économiques et le programme d’urgence. Des propositions qui ont trouvé leurs places dans la loi de Finances complémentaires et dans l’accélération des réformes économiques. Et, depuis la situation économique a nettement changé avec une forte réduction du déficit budgétaire, une accélération des réformes et le retour de la confiance des investisseurs et des institutions multilatérales.
Ainsi, la transition politique réussie, le recul de la menace terroriste et le début de redressement économique sont au cœur du bilan de cette courte année aux affaires du gouvernement Jomaa. La Tunisie a meilleure allure aujourd’hui qu’il y a un an, ce qui explique le sentiment du devoir accompli.
Aujourd’hui une nouvelle page est ouverte avec la fin de la période de transition. Notre pays dispose d’institutions élues et stables, un important appui international et un gouvernement de Si Habib Essid fruit d’un large consensus sont autant d’ingrédients pour faire de la Tunisie une nouvelle démocratie et surtout l’économie émergente de la région.
Hakim Ben Hammouda